Philippe Pujol

À Marseille, le FN se constitue à partir de fragments de cadavres : celui, encore chaud, de l'Algérie lui tiendra lieu de coeur, le fantôme antisémite et des lambeaux d'islamophobie feront office de système nerveux. Une greffe de clientélisme et de populisme complétera cette funeste créature imbibée de la peur perpétuelle du déclassement. Le chômage lui a donné la vie, et, maintenant affamée, elle rôde pour arracher le morceau.

Sur Facebook, un médecin marseillais a ironisé sur l'expression "Faille LAtérale du Système Hospitalier" en créant l'acronyme F.LA.S.H., qui espérait-il, et je le cite, "mettrait en lumière les défauts majeurs du système hospitalier et de tout le système de santé". (p.129)

A Marseille, le bus change de couleur. Un orange bien voyant pour qu'on pense bien fort à la présidente de la Métropole quand il en passe un.

"La gentrification n'existe pas à Marseille, on est dans l'aseptisation. On gomme les quartiers populaires. On fait des immeubles moches, on leur met Netflix à la maison, ils restent là-haut et surtout, on n'aménage plus rien en bas. Ce sont des villes fantômes. Comme sur Euromed."

"Tu n'as pas de stratégie de valorisation du patrimoine municipal, c'est fait au tout-venant. Pour eux, la politique d'éradication de l'habitat indigne n'est pas prioritaire. Tu as tout un parc immobilier à Marseille qui se dégrade. Et une fois qu'il est largement dégradé, ça passe à l'autre délégation sous le service de Sogliuzzo où là on délivre les arrêtés. Mais c'est déjà trop tard. Quand l'arrêté de péril est délivré, c'est qu'il y a déjà le feu. Le travail normalement en politique publique est fait en amont pour éviter de se retrouver avec un immeuble qui s'effondre et d'éviter d'avoir un arrêté de péril."

Depuis, les autorités veulent anéantir les joyeux Turlurons, entre autres au prétexte de rénover la place de leur quartier, une exclusion par le prix des logements et par l'élimination des usages populaires. Le langage administratif est plus mesquin: "penser les aménagements de manière à interdire tout usage déviant de l'espace", comme mentionné dans l'appel d'offre. Fini les jeux pour enfants, les terrains de boules, les bancs publics et l'ombre des arbres qui ont déjà été arrachés. Fini la déviance populaire, la voie publique sera désormais là pour le touriste. Pour s'asseoir, on consommera dans les bars en toc à l'installation favorisée par la municipalité. "Pas question que ce chantier se fasse sans bordel", prévient Alèssi Dell'Umbria.
Donc, la ville de Marseille, par la Soleam, son bras armé urbanistique, venait de construire ce mur de béton à 390 000 euros ceinturant la place pour faciliter les travaux, et ce quelques jours avant que les immeubles de Noailles ne tombent, comme de désarroi.

Sur un panneau de la rue d'Aubagne, un dessin d'enfant a été accroché, représentant une maison debout près d'une maison effondrée, au-dessous d'un unique nuage qui distribue ses gouttes. Une écriture appliquée et très scolaire coiffe le ciel dessiné d'un épais trait bleu: "c'est pas la pluie.""
Quelques jours après l'effondrement, Le monde révélait qu'un des propriétaires du 65, rue d'Aubagne via une société immobilière était non seulement élu au conseil régional PACA mais aussi l'avocat du syndic de la copropriété. Xavier Cachard ouvrait le bal des élus indignes.

L'insistance du prêtre au confessionnal lui paraissait suspecte. Elle percevait une curiosité malsaine plutôt qu'une quête de vérité profonde. Elle en fut certaine quand, à un petit râle, elle comprit que le prêtre se masturbait. (page 95)

Certains fument de l'huile de vidange dans une cave, d'autres poussent de la fonte sous stéroïdes dans un squat au sommet d'une tour.

Voilà des types programmés à l'ennui, capables de ne rien foutre, au ralenti, le cerveau escargot, les épaules rentrées comme pour porter le poids du vide, et du shit plein la tête.

Yasmina, née sur le territoire national, a aussi lutté pour obtenirla nationalité française, pour en finie avec cette idée qu'"un émigré engendre un émigré". Elle lutte encore contre les expulsions décidées par la seule préfecture de police. Autant de revendications qui aboutissaient à la marche de 19983, puis à la naissances de SPS Racisme en 1985. Les choses n'ont pas évolué comme elle l'avait rêvé. "Ce qui devait être un processus de politisation a été cassé, on a réduit une prise de conscience politique de classe à une protection du bon petit beur avec "Touche pas à mon pote.""

Allons, il faut bien l'avouer : derrière le maquillage et les liftings, Marseille est une ville défraichie, abîmée par des systèmes rebattus comme les anecdotes de son maire. Depuis bientôt cinquante ans, Marseille n'en finit pas d'être en voie de développement. Certains pensent plutôt que la ville n'en finit pas de décliner, comme le montre la paupérisation des quartiers populaires. La création de richesse y est si rare, si faible que ce qui existe n'est redistribué que par la voie du clientélisme partagé en plusieurs vases clos.
Le clientélisme associatif : un réservoir à électeurs qu'il ne reste qu'à vider une fois les élections passées.
Le clientélisme communautaire : la persistance artificielle d'un phénomène tendant à se dissoudre dans la capacité réelle et naturelle de Marseille à intégrer ses immigrés.
Le clientélisme locatif : la répartition des habitants dans la ville en fonction du piston et de son corollaire, la fabrique des ghettos, leur ségrégation et leurs tensions.
Le clientélisme à l'emploi : ou comment entretenir l'inégalité et abîmer l'égalité vue comme un déclassement à combattre.
Le clientélisme éducatif : machine à ghetto scolaire, source de galère.
Le clientélisme syndical : Force ouvrière fournissant des fonctionnaires formatés au burlesque administratif.
Le clientélisme immobilier : ventre d'une ville à la découpe sans cohérence urbanistique. Des infrastructures vitales insuffisantes : maisons de retraite, crèches, réseaux routiers. Des transports en commun presque inexistants. (...)
Et ce clientélisme, aussi volumineux et protéiforme soit-il, ne bénéficie qu'à ceux qui sont en place et intégrés depuis suffisamment longtemps pour pouvoir rendre quelque chose en retour. Pour ceux-là, il faut que rien ne bouge.

"Vous m'avez tant donné, n'est-ce pas ? On m'a laissé tant de chances.Tant de personnes se sont occupées de mon cas : des profs, des assistantes sociales, des éducateurs, des psychologues, des juges, et tout l'arsenal de la bonne conscience poisseuse qui tartine les "cas" comme moi. Mais vous me laisserez penser qu'il n'y a rien de naturel à apprécier la bonté quand elle ne vous est pas destinée. Votre charité ne m'est pas destinée, je l'ai toujours su. On cache les monstres que l'on crée. Alors oui, je suis devenu de ces cramés qui prennent du plomb dans la tête qu'avec de puissantes détonations. Il en faut bien qui meurent, sinon qu'écriraient les journalistes, que raconteraient les politiques, que penseraient les gens, les honnêtes citoyens que les premiers veulent comme lecteurs et les seconds comme électeurs? Je suis une arme politique, et on m'a fabriqué pour exploser au bon moment. Les armes ne sont pas faites pour aimer."