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Critiques de Pierre Bayard (303)
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Qui a tué Roger Ackroyd ?

Aujourd'hui, 15 août, journée de relâche pour tout le monde, j'en profite pour vous évoquer un livre que je trouve vraiment très intéressant. Je n'ai pourtant pas lu au préalable le fameux livre dont il ne fait que parler, le Meurtre de Roger Ackroyd de l'inévitable Agatha Christie. Toutefois, malgré cette lacune, aucun problème pour suivre ce livre et je dirais même, un très vif intérêt.



Bien évidemment, pour ceux qui ne jurent que par la compréhension de l'énigme originale, je vous conseille vivement de lire d'abord le livre avant de vous plonger dans cette " enquête sur l'enquête ". Car c'est ni plus ni moins à cela que Pierre Bayard nous convie.



Le livre se divise en quatre parties. Dans la première, l'auteur nous présente le déroulé de l'histoire effective du roman d'Agatha Christie et son dénouement. Ce faisant, il souligne un certain nombre d'entorses plus ou moins grandes faites au " canon " du genre ainsi que de pointer un certain nombres d'incohérences relevées dans la résolution de l'énigme proposée par Hercule Poirot.



Dans la deuxième partie, l'auteur nous invite à reprendre avec lui l'enquête, notamment en la comparant à quelques autres ouvrages de l'écrivaine britannique qui présente avec l'oeuvre en question des parallélismes troublants.



La troisième partie de l'ouvrage est de loin celle qui m'a le moins intéressée. L'auteur s'y lance dans une analyse un peu théorique et technique sur ce qu'est un délire du point de vue psychanalytique. Même s'il démontre l'intérêt de cette digression pour la suite de son propos, je m'y suis ennuyée et c'est ce qui fait que je ne hisse pas l'ouvrage dans son entier jusqu'aux graal suprême des 5 étoiles.



Enfin, la dernière partie, forte de ces enseignements sur ce que l'on nomme effectivement " délire d'interprétation ", nous amène à comprendre que dans une enquête policière de ce type, le romancier sème un nombre incalculable de fausses pistes ou de soupçons raisonnables. Il choisit, presque arbitrairement, de privilégier une des inférences possibles au détriment de beaucoup d'autres qui auraient été au moins aussi plausibles.



Ce faisant, il démontre, de manière selon moi très convaincante, que la solution retenue par Poirot ne semble pas la plus crédible ni la plus parcimonieuse. Au moins deux autres pistes semblent plus probantes, dont l'une qui a sa préférence, eu égard aussi à certains commentaires ultérieurs d'Agatha Christie à propos d'un personnage en particulier de ce roman.



Donc, une analyse littéraire vraiment captivante, menée exactement comme une enquête policière et aussi intéressante à lire, si ce n'est la faiblesse sus-mentionnée de la troisième partie. En tout cas, un livre qui ravira les amateurs de romans policiers d'enquête en leur en dévoilant certains des secrets de fabrication. Idéal donc pour les vacances, mais, comme toujours, précision doit être rappelée qu'il ne s'agit que de mon avis sur la chose, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?

C'est la crise, n'est-ce pas ? C'est l'angoisse : les feux partout, le pouvoir d'achat en berne, des perspectives bien moins réjouissantes que celles de la Renaissance italienne. Bref, autant de bonnes ou de mauvaises raisons de ne pas partir en vacances (je vous laisse soupeser et assaisonner à votre sauce la part du non vouloir et du non pouvoir). Et donc, vous risquez d'être fort dépourvus : qu'allez-vous raconter à vos collègues, à votre famille, à vos amis, quand la bise sera venue ? Rassurez-vous, j'ai la personne et le livre qu'il vous faut !



On sait déjà que Pierre Bayard aime beaucoup prendre son lecteur à rebrousse-poil, jouer avec les paradoxes. En effet, ses essais ou analyses sont toujours stimulants à lire, car ils tentent de bousculer les idées reçues : vous pensiez connaître le fin mot du Meurtre de Roger Ackroyd ? du Chien des Baskerville ? ou, plus récemment, des Dix petits Nègres ? Point de tout cela, le chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, pourfend toutes vos certitudes en la matière.



Concernant l'acte même de la lecture, il nous enseigne — aussi incroyable que cela puisse paraître — l'art de ne pas lire tout en ayant l'air de l'avoir fait dans son ouvrage demeuré le plus fameux : Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ?



Ici, vous aurez compris qu'il s'agit d'une habile déclinaison de la formule avec Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? Évidemment, le postulat est apparemment paradoxal, mais, mais, mais, et c'est là tout l'art de Pierre Bayard, apparemment seulement.



Dans une première partie, l'auteur nous offre une sélection d'oeuvres ou d'auteurs demeurés célèbres en qualité de voyageurs, ou, plus précisément, en qualité de rédacteurs de récits de voyage, ce qui, on le verra, n'est pas exactement la même chose. Car, il est vrai, quand on y réfléchit, qu'est-ce qui nous prouve que celui qui dit avoir voyagé a effectivement voyagé ?



La Chine de Marco Polo ? Hmm, c'est louche… Jules Verne, qui nous a légué tant de récits de voyages au travers de ses héros ? Encore plus louche… Édouard Glissant et son Île de Pâques ? En voici un, au moins, qui nous dit ouvertement qu'il n'y a jamais mis les pieds. L'Amérique de Chateaubriand ? Très étrange, décidément…



Ensuite, après ce bref panorama, Pierre Bayard nous présente — et c'est là que c'est assez osé, je trouve — différentes situations où il peut être intéressant de donner le change, de faire illusion, de donner à son lecteur ou à son auditeur l'impression que l'on a effectivement parcouru les lieux dont on parle (hormis le cas sus-mentionné de n'être pas parti en vacances) : vous êtes scientifique, par exemple, (anthropologue notamment), vous êtes journaliste, vous êtes sportif (et vous voulez faire croire que vous avez accompli tout le périple quand tel n'est pas le cas), ou, plus immoral s'il est possible, vous souhaitez tromper des membres de votre entourage (pour toutes sortes de raisons, souvenez-vous du " héros " de l'horrible fait divers raconté par Emmanuel Carrère dans L'Adversaire). Eh bien oui, vous êtes conduits à parler de lieux où vous n'êtes jamais allés.



Si l'on se résume : 1) cela existe ; 2) vous pouvez être amenés à devoir le faire, donc, assez logiquement 3) comment vous y prendre ? Selon Pierre Bayard, il convient tout d'abord de bien cerner ce qu'attend celui ou celle qui va écouter ou lire vos discours : sa bienveillance vis-à-vis de vous tiendra à ce que vous aurez su ou non écouter et retranscrire dans votre soi-disant expérience les fantasmes ou les attentes de cet autre.



En second lieu, vous devez prendre de la hauteur afin de déceler l'esprit du lieu, plus que le lieu lui-même. Ensuite, ne pas hésiter à créer un composite entre ce que vous savez du lieu (par d'autres sources que votre expérience propre) et la part assumée de votre subjectivité. Plus votre expérience paraîtra personnelle et plus elle sera convaincante.



Il existe un quatrième point dans l'analyse de Pierre Bayard, qui, personnellement, m'a très peu convaincue (toujours les vieux démons de l'auteur où il nous fourre de force sa psychanalyse foireuse dans le gosier) et que je vous laisse le soin de découvrir par vous même. Il demeure pour moi un ouvrage assez intéressant, certes, peut-être pas autant que d'autres que j'ai déjà pu lire du même auteur, mais de cela comme du reste, ce sera à vous de décider, car, ce lieu précis de ma propre subjectivité, où vous n'êtes jamais allés, ne signifie manifestement pas grand-chose.
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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Que Dieu me savonne !

Et que Bernard Pivot me pardonne !

Je ne l'ai pas lu, et du coup sans l'avoir lu, j'ai décidé de ne pas le lire, car sans avoir l'intention d'en parler en ne l'ayant pas lu, je me porte aussi bien que ceux qui en parlent en l'ayant lu.

Donc on pourrait ne pas lire les livres dont on va parler !

Voilà un théorème qui ouvre de nouvelles perspectives.

Et qu'en est-il de sa transitivité* ?

A-t-on le droit de lire un livre dont on ne va pas parler ?

A-t-on le droit de ne pas lire un livre dont on ne va pas parler ?

A-t-on le droit de lire un livre qui n'a pas été lu ?

A-t-on le droit de lire un livre qui n'a pas été écrit ?

Déjà, avec Mr Pennac, le droit du lecteur avait bien progressé.

Merci Mr Pennac !

Nous avions acquis le droit de griffonner, de corner, d'abandonner, de lire n'importe où, et n'importe quoi, le droit de grappiller, de lire à haute voix ou de nous taire ...

C'est encore parfois ce que l'on fait de mieux.

Que Dieu me savonne !

Et que Bernard Blier, Jean Lefebvre, Michel Serrault et Tsilla Chelton me pardonnent !

C'est pas parce qu'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule ...



*Je ne suis pas sûr du terme "transitivité", je n'ai pas lu, durant mon année de sixième, le manuel de math dont par contre je pourrai bientôt faire une critique passionnante, acerbe, drôle mais cependant émouvante, et finalement si juste.













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La vérite sur ''Ils étaient dix'' (La vérité sur ''..

Bluffant!

Dix petits nègres, nouvelle version.

Fan inconditionnelle d’Agatha Christie dans ma jeunesse, c’est avec quelques préjugés que j’ai ouvert ce livre car on ne touche pas aux chefs- d’œuvre.

Contredire Agatha Christie, décortiquer son célèbre roman afin d’ en exposer les failles, démontrer que l’assassin de l’île du Nègre ne peut être celui désigné et en proposer un autre, il fallait oser!

Sauf que Pierre Bayard par son intelligence et sa perspicacité, son art de l’analyse et de la démonstration, son esprit critique et déductif aiguisé le fait fichtrement bien et convainc à la fois du bien-fondé de sa démarche et de la crédibilité de sa version plus cartésienne.

Le narrateur est le véritable assassin, astucieusement parvenu à brouiller les pistes et s’échapper de l’île en toute impunité.

Après avoir fait un captivant résumé de « dix petits nègres » il propose une contre-enquête minutieuse avant de dévoiler son identité et son ingénieuse façon de procéder.



Mais ce n’est pas qu’un roman policier, l’auteur étaye son propos par une évocation des techniques « d’aveuglement » du lecteur, analysant succinctement les mécanismes psychiques, cognitifs ou perceptifs en jeu, pouvant empêcher de discerner les invraisemblances.

Il ajoute une analyse comparative avec d’autres oeuvres du genre s’appuyant sur le rationalisme et fait réfléchir à la fois sur la genèse du genre policier et sur notre perception en tant que lecteur.

Il dissèque les énigmes d’espaces clos en relevant les types de procédés utilisés par certains maîtres du suspens (comme le génial John Dickson Carr) pour rendre possible un crime qui ne l’est pas.

Son écriture est fluide et claire, son récit efficace et captivant.

Bien sûr on a parfois envie de rappeler à Pierre Bayard que c’est une fiction, que toute œuvre est critiquable (même la sienne) et que l’art d’Agatha Christie est justement de nous aveugler sans que l’on se focalise sur les incohérences même si certains détails peu crédibles nous interpellent.

Il n’en reste pas moins qu’on est tenu en haleine et très curieux de connaître l’identité de l’assassin et son modus operandi.

A lire !











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Hitchcock s'est trompé

"Et si Hitchcock s'était trompé ?"



Un Pierre Bayard sans peur ( et sans reproche) en contre plongée sur le film "Fenêtre sur cour"... Sous les yeux d'Hitchcock, car le réalisateur est présent. Dans le film; Hitchcock remonte la pendule dans un des appartements faisant face à celui du héros: Jefferies ( James Stewart ).



"Cette capacité plus grande du cinéma à montrer la réalité présente en fait deux avantages. Sur le plan policier, tout d'abord, elle constitue un défi à l'intelligence...au point d'être par moments, aveuglé par l'évidence de son spectacle ?"



"Il détourne l'attention d'un autre meurtre – bien réel celui-là ..

Le héros soupçonne Lars Tornwald, son voisin, d'un meurtre ( hors caméra) alors que le public découvre dans la cour, un chien mort, étranglé ...



Et si Hitchcock s'était trompé?

Le véritable meurtre de "Fenêtre sur cour" n'est pas celui hypothétique d'Anna, l'épouse invalide de Lars Thorwald ( le coupable selon James Stewart?) ,mais du ... chien, « Puppy ».

"Le crime était presque parfait." Un crime impuni...



L'auteur pose la question des droits des animaux ( "Aucun animal n'a été maltraité dans ce film!".) Tandis qu' Hitchcock montre, dans le panoramique inaugural, un chat qui va sauter de balcon en balcon, puis se glisser dans les appartements...

Un cas de voyeurisme passionnant, via les yeux du félin!



"Un meurtrier ne ferait jamais défiler son crime devant une fenêtre ouverte. "Lisa Carol Fremont,( Grace Kelly) " la fiancée de James Stewart.

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La vérite sur ''Ils étaient dix'' (La vérité sur ''..

Je commencerai cette chronique par une mise en garde : si vous n’avez pas lu "Dix petits nègres" et qu’il est dans votre pal, ou si vous désirez le relire un jour, passez votre chemin car Pierre Bayard, pour les besoins de son écrit, a été obligé de spoiler.



Cet essai est intelligent et bien argumenté ! L’auteur commence, après un exposé sur les personnages et les meurtres, par apporter une notion essentielle sans laquelle son écrit ne pourrait voir le jour tel qu’il nous est proposé, même si cette notion peut paraître délirante : les lecteurs se scindent en deux groupes :

le premier groupe ce sont les ségrégationnistes : lecteurs qui pensent que les personnages de la littérature romanesque n’ont pas d’existence propre ni d’autonomie, ils sont pure création de l'écrivain qui les a façonné, ils n’existent parce que le lecteur leur donnent vie et leur existence prend fin quand se referme le livre. Il n’ont comme liberté d’action que ce que l’auteur veut bien leur donner.

Le deuxième groupe, ce sont les intégrationnistes qui pensent au contraire, que les personnages ont une part de décision, une autonomie et peuvent agir suivant des plans élaborés par eux-même ils peuvent donc prendre des décisions différentes de celles de leur auteur... Bien-sûr, Pierre Bayard se réclame du second groupe puisque dès le début, il affirme être le véritable assassin des dix personnes qui séjourne sur l’île du nègre.



Il va donc affirmer qu’il est l’auteur de la sombre machination orchestrée sur cette île, sans se dévoiler, les adjectifs sont écrits avec les deux accords possibles, et pas une fois jusqu’au bout de sa démonstration, il ne laissera la possibilité au lecteur de faire des hypothèses.





Il commence donc par démonter l’histoire d’Agatha Christie, en montrant par quels stratagèmes le lecteur est bluffé : omissions volontaires et non-dits, mise en doute de la signature du criminel, mise en doute de certaines actions des personnages que je ne pourrais citer. Je reconnais que deux actions m’ont posé question lors de ma lecture de dix petits nègres : j’avais pourtant affirmé n’avoir rien vu lors de ma relecture, mais tout de même, deux questions m’ont effleurée durant quelques secondes, je suppose que je les ai chassées par respect pour cette œuvre littéraire et son auteure.



Il insiste sur les illusions créées chez le lecteur en expliquant que celui-ci est éloigné de l’essentiel parce qu’il est capté par certains aspects de l’histoire et éloigné de ce qui pourrait l’amener à se poser les bonnes questions, et parce qu'il est victime d'un phénomène d'aveuglement tant optique que cognitif bien détaillé dans cet essai.



Puis il explique comment, en tant que criminel officiel, il a organisé ce piège : il crée alors un autre scénario tout à fait plausible quoique certainement discutable sur certains points.



Qu’en ai-je retiré ? Que si on avait confié l’organisation du meurtre de dix personnes sur une île à quinze écrivains, on aurait eu quinze scénarios différents et discutables car ce genre de scénario n’est pas facile a imaginer, Agatha Christie l’avait affirmé elle-même.

Que j’ai envie de laisser les incohérences du roman de côté parce qu’elles n’empêchent aucunement la lecture, personnellement ce qui compte pour moi en premier lieu, c’est l’ambiance créée par Agatha Christie.



J’ai beaucoup aimé cet essai de Pierre Bayard, et je ne manquerai pas de lire d’autres écrits émanant de sa plume raffinée, intelligente qui m’a beaucoup appris. J’ai beaucoup aimé cette histoire de ségrégationnistes et intégrationniste, j’ai d’ailleurs tendance à me rapprocher du second groupe, ce qui me permettrait d' accorder à Jeanne Eyre, à Winston Smith, à Esméralda la liberté qui leur permettrait de revisiter leur roman d’appartenance.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

"Le Marchand de Venise, hein ! Voilà une pièce, monsieur ! le génie ! Merveilleux, monsieur, c'est merveilleux ! Prenez tous les personnages, et où trouvez-vous quelque chose de semblable ? Prenez Antonio, prenez Sherlock, prenez Saloonio...

- Saloonio, colonel ? Ne feriez-vous pas erreur ?"

(S. Leacock, "Saloonio : une étude de critique shakespearienne")



L'histoire humoristique de Stephen Leacock parle de l'astucieuse tactique du colonel Hogshead, qui veut éblouir un ami par sa connaissance de Shakespeare. Plutôt qu'accepter qu'il se trompe, il va établir une vision radicalement novatrice de l'ensemble des pièces du célèbre dramaturge, à travers le métaphysique personnage de son invention, l'insaisissable Saloonio. C'est évidemment très drôle...

Le bon colonel n'a probablement jamais lu "Le Marchand de Venise". Il est tout aussi possible qu'il ait complètement oublié, ou qu'il en ait seulement entendu parler par un tiers.

Sans peur et sans reproche, Pierre Bayard examine toutes ces situations, en se posant la question si on peut vraiment parler des livres que l'on n'a pas lus, comment s'y prendre, et surtout à quoi bon.



Le titre délibérément provocateur est déjà susceptible de déstabiliser le lecteur potentiel : soit il va se jeter dessus en espérant un poilant canular, soit il se sentira vexé par son impertinence. Dans les deux cas, c'est un bon coup de marketing. Si Bayard a vraiment conçu son livre comme une vaste blague, mea culpa, je n'ai rien compris, car je n'ai pas ri beaucoup. S'il l'a écrit dans le but de susciter une polémique, alors c'est une réussite. Une déclaration d'amour à la littérature présentée comme une apologie de la non-lecture : un paradoxe dont on s'arracherait les cheveux ! En tout cas, j'ai bien lu "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?" et je cherche en vain comment en parler, ou même à savoir ce que j'en pense vraiment.



Pour commencer, j'ai bien apprécié la première partie.

Elle parle des problèmes de mémoire de Michel de Montaigne, des "hommages" de Paul Valéry à Anatole France (qu'il n'a pas lu), du "bibliothécaire idéal" de Robert Musil qui n'a jamais lu un seul livre de l'immense bibliothèque impériale de la Cacanie... et des nombreux autres exemples de la savante non-lecture.

La question si "le livre que l'on a lu et dont on a oublié le contenu, ou pire, on a oublié qu'on l'a déjà lu" peut encore être considéré comme un "livre lu" vaut largement la réflexion à plusieurs autour d'une bouteille de prune à 65°. Et comment ne pas être d'accord avec l'évocation de l'importance de l'"aperçu général", qui englobe forcément les ouvrages importants que l'on n'a pas lu et que l'on ne lira probablement jamais ? Bayard encourage son lecteur à se déplacer dans le panthéon littéraire selon ses envies et sans culpabiliser, glaner des informations et créer des liens, et à réfléchir sur de nombreuses possibilités dans la perception de nos lectures, ce qui est une bonne chose. Ceci dit, il ne découvre pas l'Amérique en nous révélant qu'il est impossible de lire tous les livres du monde, ni de se souvenir de tout ce qu'on a lu.

Etrangement, le plus grand attrait de ce chapitre sont les extraits des romans qui parlent de la non-lecture. Ils font sourire, interpellent, donnent véritablement envie de lire Musil, Eco, Greene ou Siniac, et par ce fait contredisent l'idée même de l'essai de Bayard.



C'est ici que les choses se corsent.

Oui, on peut en effet très bien parler des livres qu'on n'a pas lus. C'est d'ailleurs souvent le cas, et vu le nombre décourageant de titres qui se présentent à nous, on ne peut pas faire autrement. Si on prend "Ulysse" de Joyce, que Bayard appelle au secours pour soutenir sa théorie, on sait que peu de lecteurs ont réussi à le lire jusqu'au bout, et pourtant on ne peut pas nier son importance dans l'histoire littéraire. Certes, mais il me vient une hypothèse (sans doute complètement saugrenue) que la non-lecture avertie d'"Ulysse" (ou de n'importe quel autre livre) n'est possible que grâce aux lectures pertinentes des autres qui la précédent. Ces lecteurs mis au bûcher, la communauté des non-lecteurs érudits périra avec eux, dans les flammes de leur propre ignorance.

Les citations De Wilde amusent beaucoup ("Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer !"), mais je ne suis pas convaincue qu'avec leur deuxième degré, elles suffisent pour soutenir les bases de ce qui va suivre.



La deuxième partie de l'essai décrit toutes sortes de situations qu'un hardi non-lecteur peut rencontrer en société. Rencontre d'un professeur avec un étudiant, rencontre avec un auteur, ou avec un être aimé. Dans ces cas, selon Bayard, rien de plus charmant que de commencer à inventer ses "propres" livres. Ses recommandations m'ont fait fortement penser au proverbe tchèque "la tête effrontée apporte plus qu'un riche domaine". N'ayez pas peur d'exprimer ce qui vous passe par la tête ; on ne sait jamais si par hasard vos observations ne seront pas justes.

L'auteur découvre une autre Amérique en rappelant que chaque interprétation d'une oeuvre littéraire reste subjective, et chacun peut y voir autre chose :

"Le titre de l'oeuvre, sa place dans la bibliothèque collective, la personnalité de celui ou celle qui l'évoque, l'atmosphère qui s'instaure alors dans l'échange oral ou écrit, sont, parmi beaucoup d'autres possibles, ces prétextes dont parle Wilde, permettant de parler de soi-même sans trop s'attarder sur l'oeuvre".

Rien de plus simple que d'en déduire que personne ne sera plus en position de nous reprendre sur un discours le plus idiot qu'il soit.



Ceux qui pensent que la gradation de la théorie a atteint ici son climax se trompent. L'auteur n'a pas peur d'aller encore plus loin, en qualifiant les hâbleries de ce genre de louable "acte créatif" (par opposition à la lecture passive), qui propulse la critique littéraire dans les sphères d'un art autonome, en la "libérant" de sa secondaire et dégradante fonction de commenter un livre lu.

Je ne sais pas, les amis... il ne vous est jamais arrivé de changer d'opinion sur un livre après l'avoir lu ? Ou d'être énervé par l'insupportable jargon universellement omniscient des journalistes qui n'ont (probablement) pas eu envie de lire l'ouvrage qu'ils doivent critiquer ?



"Comment parler des livres que l'on n'a pas lus" complète parfaitement l'image de l'époque où il est important de parler, peu importe le sujet, qui se transforme idéalement en évocation de "moi-même". Il sera apprécié par ceux qui se sentent, pour des raisons différentes, gênés pour s'exprimer sur les sujets dont ils ne savent rien, qu'ils ne comprennent pas, mais ont tout de même envie d'apporter un peu de leur farine au moulin.

Instruisons-nous chez les autres lecteurs, n'ayons pas peur d'avouer qu'on n'a pas lu tel ou tel fameux classique (ce qui n'empêche pas d'en parler, évidemment), mais pas au détriment de la lecture ! Même nos avis les plus subjectifs doivent être basés sur quelque chose de concret, sans parler de l'irremplaçable richesse cachée dans un bon roman. Il se pourrait aussi que dans ce roman - écrit par quelqu'un d'autre - vous ferez tellement de découvertes surprenantes sur "vous-même" que vous n'aurez plus du tout envie d'en parler, ou alors bien autrement que prévu.

Le paradoxal essai de Pierre Bayard m'a autant plu que déplu, je vais donc trancher par les philosophiques 3/5, tout en me demandant si ce billet serait encore plus long s'il était basé sur la non-lecture du présent ouvrage.
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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Situation assez courante, surtout dans un métier qui à pour principale marchandise les livres. Vu le nombre de parutions à l'année, impossible de tout lire (car oui, les libraires sont en fait des humains comme les autres, sisi) Que faire alors pour ne décevoir nos clients ? Je vous le donne en mille : parfois on ment (un peu). Merci la 4 è de couverture, les sites et blogs littéraires et les clients lecteurs qui nous parlent !

Que faut-il ? De l'aplomb, de l'honnêteté (un peu tout de même) et une grande force de conviction. Parfois, vous pouvez même avoir envie de le lire, ce texte, ensuite !

Ce texte de Bayard, professeur de littérature, chroniqueur dit clairement que lire n'est pas indispensable pour parler des livres et de littérature. Que faire semblant, créer l'intrigue de toute pièce est beaucoup plus valorisant et surtout plus intéressant.

Et dites vous bien que ce n'est pas grave si vous n'avez pas lu tous les classiques de la littérature française parce que vous n'aimez pas ça. Vous serez bien loin d'être le seul (quoiqu'on en dise) !
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La vérite sur ''Ils étaient dix'' (La vérité sur ''..

Entre Pierre Bayard et moi, c'est une longue histoire d'amour. Et qu'il ne soit pas au courant n'y change rien. Il était encore inconnu et abscons que j'avais déjà succombé à ses études sur Laclos ou Maupassant (et pourtant, fallait s'accrocher). Depuis qu'il est devenu la star des lecteurs du Monde en rendant intellectuellement désirable la littérature de genre, je le partage avec plein de fans transis mais j'assume.

Je vais être claire : non, ce n'est pas son physique de bellâtre des amphis qui me fait craquer (quoique…) mais son goût immodéré pour l'analyse de textes qui est aussi, ça tombe bien, un de mes passe-temps favoris et pour laquelle il excelle, lui.

Pierre Bayard, c'est le Daniel Mesguisch du roman policier. Tandis qu'un metteur en scène vous colle sous les yeux une autre pièce que celle que vous avez lue et qui pourtant respecte le texte à la virgule, Bayard lui aussi se souvient qu'une oeuvre littéraire est un iceberg dont 80% de la masse est invisible : l'auteur ne pouvant tout dire, c'est au lecteur de reconstituer ce qui reste dans l'ombre (ou sous l'eau, vous aurez rectifié de vous-même).

Et, bien entendu, ce qui est tu est toujours plus intéressant que ce qui est dit. Comme dans Choderlos de Laclos : les lettres écrites par Merteuil et Valmont sont merveilleuses, mais cela ne nous dispense pas de réfléchir à ce qu'ils font quand ils n' écrivent pas, ni à ce qu'ils pensent qu'ils se gardent bien de dire.

Et c'est à cette enquête que nous convie Bayard, dont le génie est d'avoir réconcilié en nous tous nos modes de lecture. Nous alternons d'habitude la lecture distanciée et la lecture immersion, et se plonger dans un roman de la reine du crime est un redoutable lâcher-prise qui permet de suspendre tout sens critique pour entrer dans un univers parallèle. Or, si Bayard nous oblige à considérer un Agatha Christie comme un morceau de la réalité à étudier comme tel, en rationalisant notre lecture il nous raconte une nouvelle histoire aussi passionnante que celle d'origine, réconciliant cerveau gauche et cerveau droit.

Mais bon, vous savez ce qu'il en est des vieux couples : on finit par reprocher à l'autre ce qui justement nous fit fondre au tout début. Pierrot, tu m'avais déjà fait le coup du paradoxe du menteur et maintenant tu te cites toi-même (très mauvais signe, ça). Tu vis sur tes acquis, ça sent un peu le réchauffé. Bien sûr que tu lui fais encore ton numéro, à cette bonne vieille Agatha, mais franchement… les illusions d'optique, le biais cognitif… Tu m'as habituée à mieux.

Heureusement, j'ai bien vu ton appel du pied et je me suis précipitée sur le site intercripol, où, sous ton égide, des experts traquent les « personnages criminels qui croyaient, jusque là, avoir échappé aux foudres divines de la justice. » http://intercripol.org/fr/qui-et-quoi/qui-sommes-nous.html

Cette « plateforme collaborative, ouverte à tous les citoyen(ne)s de bonne volonté désireux d'oeuvrer à un monde fictionnel plus juste » est, me semble-t-il, pleine de pépites. le temps de repasser ma cape et de défroisser mon loup vénitien, c'est sûr : j'en suis !

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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Arrêtez de lire! ça abime les yeux, ça fait perdre du temps, ça coûte cher, il faut s'acheter des étagères, qu'il faudra épousseter, ça prend trop de place, et surtout ça ne sert à RIEN!

Contentez-vous d'être des non-lecteurs, et avouez franco que vous n'avez jamais lu Proust, ni Shakespeare, ni Montaigne, ni Le Parfum, ni Houellebecq. Mais attention, vous savez de quoi ça parle. Vous l'avez vu au cinéma, ou à la télé, vous avez lu des critiques, des amis vous en parlent, bref, vous en savez quelque chose. Il en est ainsi pour les milliers de livres que nous n'avons pas lus, que nous avons oublié, ou dont nous gardons un souvenir confus.

Le lecteur est comme un nageur, plongé dans l'immense océan de l'écriture, il dérive et s'accroche un moment aux Trois Mousquetaires, ou à Crime et Châtiment, à Jane Eyre, à Don Quichotte, jusqu'à ce que la vague les emporte ou que Moby Dick les avale.

Le lecteur est un naufragé. Peut-être est-ce la raison du succès de tous ces récits de voyage, ces romans de pirates et d'îles mystérieuses, ces histoires de héros des mers ou du désert. Parfois il croise un autre naufragé qui lui parle de certaines rencontres, inoubliables, magiques, surnaturelles. Des livres qui lui ont révélé ce qui est enfoui et caché au fond de lui, qu'il ignorait, qu'il taisait. Le lecteur transporte avec lui ces milliers de livres, livres d'images, romans de jeunesse, livres scolaires, de poche, de collection, livres-cadeau, livres volés, feuilletés, relus, rejetés, détestés.

Mais des phrases ont disparu, des pages manquent, elles se sont collées ou sont devenues blanches, elles se sont envolées, les mots se sont embrouillés, se sont dissous pour mieux faire partie de nous.

Cessez de lire pour savoir, pour comprendre, pour grignoter, comme des souris, la haute montagne des nouveaux_livres_qu'il_faut_lire.

Cessez de lire: écrivez!
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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Ce titre est provocateur et peut sembler viser à la moquerie, mais tout juste s’agit-il d’ironie. La douce ironie du véritable homme de lettres.



Passé le premier paragraphe assez osé, où l’auteur explique qu’il n’a pas le temps de lire, puisque il trop occupé à enseigné la littérature, on s’engage vite dans la véritable démarche de l’auteur : lire c’est quoi ? Nous lisons tous des livres, (enfin, je crois) mais tous à notre manière. Il y a les livres qu’on a lu de la première à la dernière ligne, les livres dont on nous a parlé et que bon finalement pas la peine de le lire pour en parler. Et puis il y a les souvenirs qu’on a des livres de notre lointain passé, avec ce que le temps opère de modifications à notre mémoire. Comme il y a un méta langage, il ya une méta lecture.



S’appuyant sur des exemples de lecteurs célèbres, Pierre Bayard fait surtout l’apologie de la lecture comme plaisir libre et renouvelé, qui n’obéit à aucun carcan. Il y autant de version d’un même livre qu’il y a de lecteurs. Ce qui reste en définitive, c’est le souvenir intérieur de ce livre, propre, de fait, à chacun de nous. Il y a une sorte de bibliothèque universelle, dans laquelle il nous est donné de tracer notre propre labyrinthe.



J’aime cet éloge de la lecture libre, parce qu’il la désacralise, il l’ouvre au plus grand nombre. Quel lecteur peut se targuer d’être le plus près de la vérité livresque ?
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Et si les Beatles n'étaient pas nés ?

Là où certains appellent à d'autres mythologies afin de faire prospérer une nouvelle ontologie, d'autres reviennent sur certains de nos monstres sacrés et se demandent à quoi aurait ressemblé le monde s'ils n'étaient pas nés.



Se recommandant de l'uchronie et de la physique quantique, Pierre Bayard poursuit sa trilogie consacrée aux univers parallèles et, sous des allures un peu provocatrices, démontre de manière progressive et assez pédagogique, le caractère construit de nos représentations.



Avant d'aller plus loin, je tiens tout de suite à lever un lièvre : l'utilisation de la physique quantique par l'auteur vaut celle de toutes les crèmes de jour récemment vilipendées : une vaste filouterie qui va encore nous ranger du côté des faiseurs de mots !



Mais passons cet abus de langage apparemment très tentant. Que serait le monde sans les Beatles donc ? Un monde où un autre groupe de pop anglaise au moins aussi bon, les Kinks, aurait pu prendre la vedette. Et la terre aurait tourné de la même manière pour autant.



Mais un monde sans Proust alors ? Ici, les conséquences imaginées mettent à l'honneur Anatole France qui aurait récupéré toute la gloire que l'existence de Proust lui aura, à partir des années 50, volée. Cette hypothèse permet d'analyser le rôle des manuels scolaires dans l'élaboration du canon littéraire d'une époque. le canon, c'est « l'ensemble des oeuvres littéraires et artistiques considérées comme essentielles dans une culture donnée à un moment donné. » : ce qui fait qu'on a trouvé naturel d'aduler Mauras un temps et BHL ensuite.



Un monde sans Proust, c'est aussi un univers où les habitants d'Illiers, jamais renommé Illiers-Combray, sont bien plus anonymes, sans les multiples salons de thé à madeleine et autres délicieux souvenirs proustiens, où Yoshikawa, le traducteur de Proust en japonais, notre amie Anna et tant d'autres seraient comme orphelins de quelqu'un qui n'a jamais existé.



Passant en revue différents univers où tour à tour on se serait passé de Shakespeare, Marx, Freud, Louise Labé ou Rodin, Pierre Bayard décline les différentes conséquences de son hypothèse. On commence benoitement avec Rodin qui, s'il n'avait pas existé, n'aurait pas éclipsé Camille Claudel. Certes. Heureusement, Bayard reconnait volontiers que Rodin, qui n'a jamais quitté sa femme pour sa maitresse qui en aurait perdu la raison, n'aurait pas suffi à lui seul à éteindre le génie de Camille Claudel et que son petit frère Paul, sa famille, toute la société patriarcale de l'époque ont bien contribué à en faire une folle assermentée. Mais sans doute que sans Rodin, Camille n'aurait pas été la même. Et peut-être qu'elle aurait eu davantage de succès. Ou moins de décennies internée.



On interroge un monde sans Marx, c'est-à-dire, non pas un monde sans la révolution russe parce que, pour des raisons que je n'ai pas bien comprises, Pierre Bayard s'arrête aux portes de l'histoire et ne traite que des effets propres à la littérature, mais un monde sans ce fondateur de discursivité (le terme est de Michel Foucault). Marx est en effet un de ces hommes dont les écrits généreront une foule de continuations, un univers de pensée tel qu'il constitue un type de discours à lui seul. Freud en est aussi, évidemment.



Le monde sans Beauvoir est, bizarrement et avec ce que j'ai pris pour une sorte de vengeance un peu mesquine, un monde où l'idylle entre une Beauvoir et Sartre aurait réuni le célèbre existentialiste et Hélène, la soeur de Simone, bien plus jolie et davantage portée sur les arts plastiques que sur la philosophie et les lettres. L'idée ici développée est que, sans la façon, qu'elle doit à sa relation avec Sartre, qu'a eue Simone de Beauvoir de lire la condition de la femme dans le Deuxième sexe, on ne décoderait peut-être pas avec le même regard féministe intransigeant bien des oeuvres antérieures. Dont le grand Meaulnes, si cher au coeur de Bayard (c'est donc pour ça qu'il aurait préféré caser Hélène avec Jean-Paul ?). Evidemment, vue la façon dont je trucide désormais beaucoup des romans De Balzac, Maupassant et même Flaubert, je ne peux nier l'influence rétrospective de ce genre de lectures sur des textes qui leur sont antérieurs.



On aborde aussi le cas de faussaires capables d'inventer les tableaux que les peintres n'ont pas eu le temps de créer mais qui auraient manqué à l'humanité. Là, ça m'a posé tout de même un problème : qui, et de quel droit, devrait décider que les oeuvres qui n'ont pu être créées devraient exister néanmoins ? Au nom de quoi devrait-on abolir les circonstances, parmi lesquelles la mort de l'artiste n'est pas la moins définitive, et suppléer au monde tel qu'il est en lui adjoignant ce qui n'est pas ? Selon quelle science exacte de, de quoi d'ailleurs : de nos besoins (Bayard parle de son désir d'un monde « le plus abouti possible »), de l'essence d'un corpus d'oeuvres, de la prééminence de l'oeuvre sur l'artiste ? devrait-on trouver souhaitable de faire une suite à la Joconde (l'exemple est de moi mais c'est l'idée), de peindre, certes avec un talent fou, toutes ces toiles, comme l'a fait Beltracchi ?



Il me semble que cela pose la prééminence du « chef d'oeuvre », notion que je trouve bien trop polysémique pour être opérante, sur tout le reste, y compris le fatras enchevêtré de causes multiples faisant que, oui, à ce moment-là, les Beatles se sont séparés, ou que le légataire de Kafka n'a pas brûlé les manuscrits de son ami. Ou que Camille Claudel n'a plus rien créé.



Au terme de ma lecture, rapide et facile, j'en suis là, à me dire que s'il passe élégamment en revue toutes sortes de situations dans lesquelles le monde aurait eu à se débrouiller sans telle ou telle figure majeure de notre panthéon littéraire ou idéologique, Pierre Bayard fait reposer la légitimité d'une telle réflexion sur une hiérarchisation assez fétichiste qui fait toujours préférer l'oeuvre à son créateur. Bien sûr, c'est pour rire, le procédé est léger, juste assez insolent pour provoquer l'Epochè (suspension du jugement) nécessaire à l'appréhension d'un autre possible et rien des conséquences envisagées n'a le sérieux d'un projet politique ou moral. C'est l'élégante démonstration d'un enseignant pédagogue et brillant. (Et qui le sait. Et qui en joue.) N'empêche, j'ai trouvé ces « et si… » étonnamment révélateurs d'un certain canon avec lequel je ne suis pas en phase.



Et si Pierre Bayard n'avait pas existé ? Eh bien, certains de ses autres livres m'auraient manqué, mais peut-être pas celui-là.

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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Bof, bof, bof... Ou comment parler d'un livre dont on espérait beaucoup, qu'on a lu consciencieusement et qu'on n'a pas aimé? L'auteur enfonce des portes ouvertes et le texte est ennuyeux. Voilà ce que je retiendrai de ce livre qui démarrai bien pourtant... Mais je n'ai pas accroché et je n'ai rien appris. Au final une grosse déception malgré un titre accrocheur.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Cet essai gentiment provocateur (et attention, je divulgache, parfois piégé) est un petit bonheur de lecture. Je l’ai lu, mais pour mettre en application ses préconisations peut-être aurais-je du écrire cette critique sans l’avoir ne serait-ce qu’ouvert ? Je dois avouer que j’aurais eu bien du mal à imaginer des arguments aussi réjouissants et intelligents que ceux qui s’y trouvent vraiment…



Pierre Bayard nous fait vertigineusement toucher du doigt le peu de certitudes que nous pouvons avoir en matière de lecture. Peut-on dire que l’on a lu un livre dont on n’a pas le moindre souvenir, et parfois même qu’on ne se rappelle pas avoir lu ? Et quand bien même on en aurait gardé quelques bribes, peut-on être sûr que celles-ci sont bien dans le texte ?



Quid des livres seulement parcourus ? Ou bien partiellement explorés ?



Notre ressenti d’un livre peut-il seulement être partagé ?



Grâce à de judicieux exemples et citations, cet essai ne relève pas de l’exercice de style un peu trop sec. J’y ai découvert quelques monuments de vacherie, comme le discours de réception de Paul Valéry à l’Académie Française : il aurait dû faire l’éloge de son prédécesseur, Anatole France. Et il s’arrange pour ne pas le nommer une seule fois et ne pas donner un seul exemple de son style ou de son œuvre !

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Comment parler des livres que l'on n'a pas ..

Excellent ouvrage qui nous plonge dans une réflexion sur l'acte de lecture, l'acte de non-lecture, l'art de briller en société (ou pas...), la capacité à se saisir de lieux communs ou de travaux concernant pes œuvres littéraires.

Bref, Pierre Bayard affirme, avec aplomb, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu un livre pour en parler. Dans un autre essai, il tient les mêmes propos concernant les films.

Il brouille les codes, s'en amuse et nous amuse.

Un essai savamment drôle ou drôlement savant, c'est selon, dont je vous recommande la lecture (ou pas).
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La vérite sur ''Ils étaient dix'' (La vérité sur ''..

Grande fan d’Agatha Christie, j’avais noté depuis quelque temps cet ouvrage dans un coin de ma tête. Il est assez facile et rapide d’en exposer le propos : le personnage que tout le monde croit coupable à la fin du roman n’est… pas le bon ! Le vrai coupable – évidemment connu d’Agatha Christie qui laisse des indices au fil de son récit – prend la plume pour rétablir la vérité ! Mais avant de connaître l’identité de celui qui a berné un nombre incalculable de lecteurs depuis 1939, le lecteur a droit à un résumé des Dix petits nègres (rebaptisé depuis Ils étaient dix). Bien sûr quiconque a lu ce roman policier ne peut en oublier la fin, mais le rappel de la trame narrative est inévitable pour le bon déroulement de cette contre-enquête proposée par Pierre Bayard. Cependant, il ne saurait être question de s’en tenir aux Dix petits nègres. L’auteur – toujours par l’intermédiaire du vrai coupable – se livre à un véritable exposé sur la littérature policière et ses motifs : le passage sur les énigmes liées à un espace clos est passionnant, de même que l’évocation des techniques d’aveuglement du lecteur. Enfin, la vérité nous est dévoilée : le lecteur est invité à adopter un nouvel angle de vue, en utilisant les indices disséminés et en contrant les invraisemblances. C’est indéniablement une belle démonstration. Mais. Parce qu’il y a un mais. Où est-ce que cela doit-il nous conduire ? Doit-on reconsidérer ce que l’on croyait être la vérité depuis des années ? Faut-il simplement le prendre comme un bel hommage à la reine du crime et envisager la solution de Pierre Bayard comme une solution possible mais peut-être également imparfaite ? Pour ma part, j’ai un avis bien tranché sur la question, qui fait qu’en définitive mon sentiment sur l’ouvrage de Pierre Bayard est partagé : j’aime la fin proposée par Agatha Christie, je l’ai toujours aimée, je lui trouve beaucoup de panache et je ne veux considérer que cette fin-là.


Lien : http://aperto-libro.over-blo..
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Qui a tué Roger Ackroyd ?

Avec ce petit essai, le spécialiste de littérature Pierre Bayard se livre à un exercice aussi original que divertissant : proposer une contre-enquête à celle réalisée par Hercule Poirot dans le roman d’Agatha Christie Le meurtre de Roger Ackroyd. Cette enquête, l’une des plus célèbres de la reine du crime, a fait plus largement date dans le genre étant donné l’originalité de sa construction, puisque la narration est confiée au docteur Sheppard qui finit par être démasqué par Poirot comme l’assassin.



Après avoir brièvement résumé les faits et l’enquête tels qu’ils sont exposés dans le roman, Pierre Bayard éclaire la singularité de ce roman au prisme des principes qui régissent le roman policier d’énigme. En amatrice de ce genre, j’ai été très intéressée par la discussion de ces règles qui semblent effectivement de vigueur dans les nombreuses enquêtes que j’ai pu lire, mais auxquelles je n’avais jamais directement réfléchi. On comprend qu’il s’agit essentiellement, de placer la solution en évidence, accessible à travers des indices, mais tout en la dissimulant en mobilisant un ou plusieurs procédés de déguisement ou de détournement. Pierre Bayard explique tout cela de façon passionnante, en évoquant de multiples exemples du genre – autres romans d’Agatha Christie, mais aussi par exemple La lettre volée, d’Edgar Allan Poe. On comprend que la culpabilité du Dr Sheppard est dissimulée de différentes manières, dont la rupture avec la règle d’un narrateur fiable, au-dessus de tout soupçon et exposant honnêtement les faits – puisque Sheppard ment par omission et use dans sa narration de multiples doubles-sens.



Pierre Bayard montre ensuite avec brio comment « la beauté esthétique du procédé tend à éclipser l’énigme policière », le lecteur restant si abasourdi d’avoir été dupé par Agatha Christie qu’il en oublie de questionner la plausibilité de la solution défendue par Hercule Poirot. En outre, la narration pleine d’ambiguïtés et l’éventualité d’omissions supplémentaires par le Dr Sheppard laissent subsister la possibilité d’autres résolutions, à l’origine de problèmes d’interprétation considérables. Pierre Bayard entreprend donc une contre-enquête, pointant les incohérences et le caractère alambiqué de celle d’Hercule Poirot. Après un détour moins limpide de mon point de vue par la psychanalyse, mobilisée pour réfléchir au « délire d’interprétation » qui pèse sur toute lecture, l’auteur argumente de façon extrêmement convaincante en faveur d’une solution alternative.



Pierre Bayard invente ici un exercice intellectuel très stimulant, susceptible d’être appliqué aux innombrables enquêtes du genre – entreprise qu’il a d’ailleurs déjà poursuivie avec des essais sur d’autres références comme Le chien des Baskerville d’Arthur Conan Doyle ou Dix Petits Nègres, d’Agatha Christie. Je me laisserai retenter avec plaisir !
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Qui a tué Roger Ackroyd ?

Je reconnais la grande magnanimité dans les efforts les efforts maladroits de Pierre Bayard pour disculper le Dr S. du meurtre de Roger Acroyd. J'apprécie particulièrement sa contribution à la chose psychanalytique sinon lacanienne qui tend à relire le texte dans ses manquements et ses trop-pleins de sons ou de sens. Je tire mon chapeau bas à son imagination pour trouver un autre meurtrier plus logique, plus coupable mais...

Mais tout le monde sait que le vrai assassin de Roger Acroyd, c'est le lecteur, qui, à la télé comme dans les romans, s'enivre du sang de ces victimes auxquelles les écrivains se doivent de donner vie pour les envoyer à la guillotine parfois bien avant la première page afin que soient comblés les instincts mortifères des lecteurs.

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Qui a tué Roger Ackroyd ?



Merci d'abord à Andras, qui m'a conseillé cette lecture. J'ai passé un excellent moment, voilà une approche originale de l'oeuvre, faite par un professeur en littérature française d'université, également psychanalyste.



Même si on n' a pas lu le roman d'Agatha Christie, l'étude brillante menée par l'auteur intéressera à coup sûr tout lecteur, et pas seulement de romans policiers.



Qui a tué Roger Ackroyd? Le simple fait de poser cette question laisse entendre que le coupable final ne l'est peut-être pas. L'auteur entreprend donc une contre-enquête. Mais avant , il évoque tous les ressorts du roman policier à énigmes, notamment le mensonge par omission et le principe de déguisement ou au contraire d'exhibition. De nombreux autres romans de la reine du crime sont évoqués, et je suis d'accord avec Agathe ( se reporter a sa critique...), c'est assez spoiler pour ceux qui ne les ont pas encore lus...



J'ai aimé en particulier la fine analyse de la narration à la première personne et les doubles sens qu'elle peut prendre. De même, considérer "Oedipe-roi" comme le premier roman policier est très intéressant. La dimension psychanalytique est évidemment aussi mise en exergue.



Je me suis prise au délire d'interprétation dont parle l'auteur, et en suis venue à désigner le même coupable que lui! À votre tour, tentez l'expérience! C'est intelligent, instructif, jubilatoire.
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Qui a tué Roger Ackroyd ?

Petit essai à ne surtout pas lire si on ne connaît pas la fin des romans Le meurtre de Roger Ackroyd et La nuit qui ne finit pas (ainsi que La dernière énigme). D’autres romans d’Agatha Christie sont mentionnés dans cet ouvrage, mais ces deux-trois là sont vraiment analysés en détail. Car Pierre Bayard commence par nous raconter quasiment dans le détail le meurtre de Roger Ackroyd tout en soulignant les incohérences du récit (Mince, il a tout à fait raison, et je ne m’en étais même pas rendu compte en le lisant). Il souligne au passage les entorses de l’auteur aux règles du genre (ouf, ça, ça ne passe pas du tout inaperçu!) Ensuite il compare ce roman à quelques autres d’Agatha Christie utilisant quelques procédés identiques, mais jamais tous en même temps. Dans une troisième partie il se lance dans des considérations psychanalytiques qui m’ont paru quelque peu difficiles à suivre, le lien de départ avec le roman m’a quelque peu échappé même si j’arrive à comprendre où il veut en venir. Pour finir, ayant démontré que dans un bon polar l’auteur sème un nombre considérable de pistes et de soupçons, au point que le choix de la piste qui est la bonne est finalement arbitraire, il lance sa contre-enquête. Et de nous proposer, en tenant compte des invraisemblances relevées, deux autres solutions tout ce qu’il y a de plus crédibles, dont l’une a largement sa préférence (et la mienne aussi). Cet essai, en dehors de sa troisième partie, est aussi captivant qu’un roman policier. C’est amusant de comprendre les procédés utilisés et surtout comment le lecteur se fait piéger et n’y voit que du feu. Je me suis laissée entraîner avec beaucoup de plaisir dans cette contre-enquête. Et même s’il montre les incohérences du meurtre de Roger Ackroyd, il n’enlève rien au livre car il l’enrichit d’un second niveau de lecture en quelque sorte et montre au passage qu’il est impossible de reprendre le procédé utilisé par Agatha Christie sans que le lecteur ne repense à Roger Ackroyd. Je n’en dirais pas plus, ce serait divulgacher, mais cet ouvrage est vraiment un must pour amateur de polar (et si possible lecteurs de la reine du roman policier).
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