Pierre Fournié et
Sophie de Sivry :
Aventuriers du mondeDepuis le Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud,
Olivier BARROT présente l'ouvrage "
Aventuriers du monde: les explorateurs français au temps des premiers
photographes", de
Pierre FOURNIE et
Sophie de SIVRY. La présentation est illustrée par des
photos anciennes publiées dans ce livre.
Le corps de ces femmes devient une métaphore du territoire national qui a été envahi et souillé par l'occupant.
[...]
Alors que la sexualité des hommes collaborateurs n'intéresse personne, car elle demeure une affaire privée, celle des collaboratrices est une affaire publique qui doit être châtiée d'un point de vue patriotique.
[p240]
Qui plus est, un imaginaire puissant a de tous temps été à l'oeuvre: une femme criminelle est - forcément - un monstre, petite-fille de Pandore, de Médée, d'Eve et de tant d'autres figures de la subversion du monde dont on recherche la marque du diable. Et notre époque, comme les précédentes, s'interroge toujours: comment celle qui donne la vie peut-elle tuer, trahir, détruire ?
Mais outre l’exécution de la sentence, on ajoute une peine particulière à leur sexe : l’humiliation des corps, par leur représentation dénudée et/ou obscène. Ce sont les sorcières à cheval sur un balai ; Jeanne d’Arc qui monte sur un bûcher, revêtue d’une robe transparente ; Marie-Antoinette, accusée d’inceste, représentée dans des positions pornographiques. Au xxe
siècle encore, on a puni les femmes coupables de « collaboration horizontale » avec les Allemands en leur rasant la tête. Comme si il ne suffisait pas de condamner, mais qu’il fallait aussi anéantir la dignité de la personne. Pour être bien sûr de lui ôter tous ses pouvoirs.
Le second enjeu est de l’empêcher à tout prix d’empiéter sur les pouvoirs de l’homme, voire de le dominer. Sans quoi, c’est le monde à l’envers, l’anéantissement de la virilité, bref le diable qui a pris le dessus sur son rival. Les sorcières furent accusées de détenir des pouvoirs surnaturels, donc diaboliques, comme de faire reculer la mort par leurs soins ou de la donner, par leurs sorts et leurs poisons. Jeanne d’Arc est coupable de s’être emparée du pouvoir militaire ; Marie-Antoinette, du pouvoir politique. Autant d’atteintes aux pouvoirs masculins qui méritent une condamnation sans appel.
Le premier enjeu est donc la possession et la maîtrise du corps de la femme, dont on craint tant le pouvoir érotique et la puissance sexuelle. Sa beauté est redoutable car elle invite à la tentation, au péché et donc à la chute de l’homme.
Qu’on le veuille ou non, toute femme a partie liée avec le démon de par sa filiation avec Ève ou Lilith. C’est donc une créature maligne qui appelle une stricte surveillance de l’homme qui la possède et la répression impitoyable des institutions qui la jugent.
Ce propos, largement partagé jusqu’au début du siècle dernier, suppose
qu’une femme «honorable» reste à la place qui lui fut assignée, peutêtre par Dieu, et à coup sûr par les hommes: silencieuse et soumise à son père puis à son mari. La présumée coupable est celle dont on parle, non seulement dans les archives judiciaires, mais aussi dans les pamphlets, les salons ou le village, parce que d’une façon ou d’une autre elle a défié la norme. D’aucuns diront la loi divine
Quand elles comparaissent devant les magistrats qui les interrogent, ces derniers (qui furent longtemps des hommes) se posent cette question essentielle: sont-elles coupables? Mais les interrogatoires montrent que l’éventuelle culpabilité des femmes a été longtemps plus subtilement questionnée que quand il s’agissait d’un homme. Leur vie affective, leurs pratiques sexuelles donnaient lieu à des questions qu’on ne posait pas, a priori, aux hommes.
Sous l'Ancien Régime, il était d'usage de tondre les prostituées, comme de les marquer du sceau de l'infamie au fer rouge.
Qu'elles participent collectivement aux poussées révolutionnaires du XIXe siècle - notamment à la Commune de Paris en 1871 - ou qu'elles commettent individuellement des crimes politiques - à l'image des anarchistes du XXe siècle - elles encourent donc les mêmes peines que les hommes, tout en ne bénéficiant pas des mêmes droits.
La vraie vie était-elle définitivement partie ?
Peut-être.
Mais qui sait ?
Il ne manque pas dans le monde, même aujourd'hui, d'espaces où la grande dimension de la vie est sensible et où souffle le vent du possible.