Citations de Rainer Maria Rilke (1497)
Qu'est-ce que le sacrifice ? Je crois que pour un individu ce n'est rien d'autre que la décision infinie et irrévocable d'adhérer au possible qui est en lui, la part la plus pure et la plus intime.
Rilke à Benvenuta - 17 février 1914
Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles.
Car ce qui fait la mort étrange et difficile,
C'est qu'elle n'est pas la fin qui nous est due,
mais l'autre, celle qui nous prend
avant que notre propre mort soit mûre en nous.
Eteins mes yeux: je peux te voir
Bouche mes oreilles: je peux t'entendre
Et même sans pieds je peux aller vers toi
Et même sans bouche je peux t'invoquer.
Arrache-moi les bras: je te saisis
Avec mon coeur comme avec une main
Déchire-moi le coeur : et mon cerveau battra
et même si tu fais de mon cerveau un brasier
Je te porterais dans mon sang.
Afin qu'un jour, au bout de l'entendement terrible,
je puisse chanter l'allégresse et la gloire
sous l'approbation des anges.
Qu'aucun des clairs marteaux de mon coeur
ne fasse défaut sur des cordes détendues, hésitantes ou prêtes à se rompre.
Que mon regard qui s'écoule, me fasse plus éclatant,
que fleurissent des chagrins à peine apparents.
Nous gaspillons les souffrances.
Comme nous les épions plus loin dans la durée !
Nous voulons savoir si vraiment elles y prennent fin.
Nous sommes encadré d'invisible.
Aubade orientale
Ce lit n’est-il pas comme un rivage,
une bande littorale où nous sommes couchés ?
Rien n’est sûr comme la saillie de tes seins
qui émergent du vertige de mes sens.
Car cette nuit où tant de cris retentirent
— bêtes qui s’appellent et se déchirent —
ne nous est-elle pas atrocement étrangère ?
et ce qui dehors se lève, qu’on nomme le jour,
nous est-il donc plus accessible qu’elle ?
On devrait pouvoir s’enfouir
l’un dans l’autre s’emboîter
tels les pistils et les étamines ;
à tel point partout grandit
et se jette contre nous la démesure.
Mais pendant qu’on se serre l’un dans l’autre
pour ne pas voir le péril tout autour
elle peut jaillir de toi ou de moi
car nos âmes vivent de trahir.
J'apprends à voir. Je ne sais pas pourquoi tout pénètre en moi plus profondément et ne demeure pas où, jusqu'ici cela prenait toujours fin. J'ai un intérieur que j'ignorais. C'est là désormais que tout trouve sa fin. Je ne sais ce qui s'y passe.
La croissance intérieure prend du temps et est le fruit d'une lente maturation
Comme tel qui parle de sa mère…
Comme tel qui parle de sa mère
lui ressemble en parlant,
ce pays ardent se désaltère
en se souvenant infiniment.
Tant que les épaules des collines
rentrent sous le geste commençant
de ce pur espace qui les rend
à l’étonnement des origines.
Tu donnes des désirs solaires à mes rouges crépuscules.
( Lettre à Lou Andreas- Salomé )
Nous sommes les abeilles de l'univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'invisible.
Peut-être toute relation vraie consiste-t-elle à grandir dans des rencontres.
JOURNAUX DE SCHMARGENDORF
J'ai dû reprendre souvent le bouquin de Malte à des jeunes gens en leur défendant de le lire. Car ce livre qui semble aboutir à peu près à démontrer que la vie est impossible doit être lu, pour ainsi dire, contre son courant. S'il contient d'amers reproches, ce n'est point à la vie qu'ils sont adressés ; au contraire, c'est la constatation continuelle que c'est par manque de force, par distraction et par des erreurs héréditaires que nous perdons presque entièrement les innombrables richesses d'ici qui nous furent destinées.
[Lettre à une amie]
C'est en cela que si souvent les jeunes gens commettent cette si lourde erreur : ils se précipitent l'un vers l'autre (eux dont c'est la nature que de n'avoir aucune patience) lorsque l'amour les atteint, ils se répandent tels qu'ils sont, avec tout leur désordre, leur incohérence, leur confusion… Mais qu'en sera-t-il ?
Qu'importe à la vie cet amoncellement de demi-échecs qu'ils appellent leur union, et qu'ils voudraient bien appeler leur bonheur, si c'était possible, et leur avenir ? Chacun se perd alors soi-même pour l'amour de l'autre, perd l'autre et bien d'autres encore qui eussent voulu se présenter. Et chacun s'aliène les grands espaces et les virtualités, échange l'approche et la fuite des choses silencieuses et riches d'intuitions pour un stérile désarroi d'où rien ne procèdera, rien, sinon un peu de dégoût, de déception, d'indigence, ainsi que le refuge cherché dans l'une des multiples conventions qui ont été installées en grand nombre, tels des abris publics, le long de ces voies très dangereuses. Aucun domaine de l'expérience humaine n'est tant pourvu de conventions : on y trouve des gilets de sauvetage de toutes sortes, des canots et des bouées ; la structure sociale a su créer des échappatoires de tout genre puisque, inclinant à prendre la vie amoureuse pour un plaisir, il fallait bien qu'elle lui donne une forme frivole, ordinaire, dépourvue de risque et sûre, comme c'est le cas des divertissements publics.
Lettre du 14 mai 1904.
L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé.
Nous sommes avant tout comme cela. De bénisseuses nostalgies. C’est au loin, dans des arrière-plans éclatants, qu’ont lieu nos épanouissements. C’est là que sont mouvement et volonté. C’est là que se situent les histoires dont nous sommes des titres obscurs. C’est là qu’ont lieu nos accords, nos adieux, consolation et deuil. C’est là que nous sommes, alors qu’au premier plan nous allons et venons.
Clotilde et Rosine habitaient ensemble à Karbach depuis ces temps que l'on appelle immémoriaux. [...]
Les gens de la maison savaient qu'il y avait aussi des orages derrière les géraniums et qu'en ces occasions, Mlle Rosine faisait l'éclair et Mlle Clotilde le tonnerre, comme il convient à tout sain et véritable orage.
Le secret
Merci de ces heures d'hier qui resteront plantées dans mon souvenir pour y refleurir souvent.
Sans doute as-tu troublé son coeur, mais ce sont des peurs plus anciennes, qui l'assaillent à travers toi.