Citations de Raoul Vaneigem (275)
Quand sera passé de mode le prétoire où sont jugés genre, transgenre, catégories érotiques, écriture économisée et prétendument inclusive (alors qu'elle réduit la femme à un suffixe de l'homme), peut-être l'intelligence du corps pourra-t-elle réfléchir au propos d'Empédocle: « car je fus, pendant un temps, garçon et fille, arbre et oiseau, et poisson perdu dans la mer. » (De la nature)
Halte-là ! Nous n'avons pas combattu I'infamie patriarcale pour hériter d'un Pouvoir matriarcal.
« Le tyran meurt en souriant, dit Heine, car il sait qu'un autre tyran lui succédera. » Que manigance le Pouvoir mâle, en débandade, pour sauver in extremis le Pouvoir sans lequel il n'est rien ? Il s'apprête à céder la place à la femme, à la créature qu'il a exploitée et opprimée pendant dix mille ans. Mais il le fait en lui instillant comme un venin le désir morbide et vindicatif d'exploiter et d'opprimer à son tour ses semblables.
Cultiver la joie de vivre nous situe hors de portée du Pouvoir.
La désobéissance civile est un droit irrévocable partout où la nature humaine et la nature terrestre sont réprimées.
Nous sommes militarisés dès l'enfance. Même nos révoltes marchent au pas.
Aucun enseignement n'est recevable s'il n'éradique pas la compétition, s'il ne privilégie pas l'émulation, qui, seule, ouvre à la jouissance d'atteindre au dépassement de soi.
Sans la violence, qu'il suscite et réprime, le Pouvoir cesse d'exister. Par ailleurs, c'est là une situation sujette à se retourner contre lui. Il n'est pas de prédateur qui, tôt ou tard, ne devienne proie.
Partout où règne la tyrannie de l'avoir resurgit la danse macabre du mal-être.
L'empire du profit empoisonne l'air, l'eau, la terre. II tue les espèces, dessèche le cœur et les consciences.
Ouvre-toi à l’humain ! La générosité n’est rien d’autre que le désir de vivre.
J’appelle jouir pleinement de sa paresse le plaisir de se dire en s’assoupissant : que s’accomplisse maintenant, sans que j’aie à lever le petit doigt, la destinée que je ne cesse de vouloir à longueur de journée.
La peur de vivre prête à la mort les ailes arrachées au vivant. Quel enthousiasme dans le lynchage, quel orgasme dans la haine assouvie, à défaut de l’amour, avec l’assentiment du bon droit !
La résignation au malheur nourrit de grandes espérances apocalyptiques.
L’arrogance de l’esprit est l’imbécillité constitutive de l’homme.
Les intellectuels s’investissent tout entiers dans la tête qui ronge leur corps. Esthètes jusqu’au cadavre.
Il s’agit à tout instant de rester au plus près de soi. Comment pourrais-je m’affirmer humainement si je ne suis pas à l’écoute de mon animalité comme d’un être proche, auquel mon affection est acquise ?
Confinés dans une chambre où l’air se raréfie, les intellectuels discutent à perte de vie des causes de l’asphyxie. Pousser la porte pour aller respirer est ce qu’ils appellent une utopie.
Au plus élevé de ses spéculations, l’intellectuel n’est jamais que le comparse du hâbleur de bistrot. Il a besoin de lui et de sa bassesse pour gagner en hauteur.
La pensée séparée n'a jamais produit que l'intelligence de la vie qui se nie.
Des triomphes conjugués de la physique, de la chimie, de la médecine, des mathématiques, de l'astronautique, de la biologie, de l'architecture, de la psychologie, de la sociologie, il est sorti moins de bonheur que d'oppression et d'argent. Les sciences ont propagé le bien-être aux quatre coins du monde dans la limite de l'offre et de la demande, ramenant l'activité humaine à une activité de marché.
Ils nous la baillent belle d'incriminer le progrès et le revers de sa médaille, ceux qui s'enorgueillissent d'exploiter et de violer la nature jusqu'à l'atome, ceux qui tirent d'un noyau de vie une énergie de mort fort utile pour éclairer les chaumières et guérir
le cancer qu'essaime la pollution nucléaire. Quelle faveur espérer d'un progrès que détermine un processus marchand fondé sur le pillage du vivant?
Comment se satisfaire d'une paix qui n'éloigne la guerre qu'à la condition de mieux satisfaire aux intérêts mercantiles?
Comment se contenter d'un savoir pacifique que le reniflement du profit fait pirouetter en direction contraire? Surtout, comment tolérer que la créativité invente au fil du plaisir et soit tranchée au couperet du rentable? Des ampoules électriques inusables aux énergies gratuites, tant de brevets rachetés à l'inventeur pour être détruits ne sont que la partie visible d'une terreur entretenue sur un savoir non pas secret mais inhérent à la réalité secrète des désirs. Faut-il que la création qui cherche ses poètes ne découvre que les calculettes du prix coûtant?