Raphael Montes

Téo fut réveillé par la sonnerie de son portable, mais il n'y avait personne au bout de la ligne quand il prit l'appel. Il ne reconnut pas le numéro et décida que la personne rappelle.

« Je viens de penser à un très joli prénom. Gertrudes. Qu’est-ce que tu en penses, mon amour «

A la fin, on découvrait que l'homme avait perdu son épouse dans un accident d'avion, que lui ausi était au nombre des passagers et qu'avec d'autres rescapés il avait fini sur une ile où il n'y avait rien à manger; que le corps de la femme avait disparu dans le crash; et que le veuf s'était vu proposer par ses compagnons d'infortune de se nourrir de viande de mouette. Il en avait mangé, le goût lui avait beaucoup plu, et c'est ainsi qu'il avait survécu jusqu'à l'arrivée des secours. Il avait décidé d'en manger de nouveau dans le restaurant et, en la dégustant, reconnu la saveur insolite de ce mets : soudain, il avait pris conscience que ce dont il s'était régalé sur cette île des années plus tôt n'était pas de la viande de mouette, mais la chair de sa propre femme.

(…), la salle d'anatomie était son espace. Les civières dans les coins, les cadavres disséqués, les organes dans leurs bocaux lui donnaient une sensation de liberté qu'il ne trouvait nulle part ailleurs.

Le meilleur moyen de sa blanchir d'une faute, c'est de faire porter le chapeau à quelqu'un de plus important. Voilà pourquoi les religions rencontraient un tel succès: c'était un réconfort d'imaginer qu'il existait une entité supérieure dont la volonté déterminait nos bonheurs et nos tragédies.

Le vin, c'est le meilleur lubrifiant existentiel.

La vie est ainsi faite : il faut avoir la tête plongée dans le caniveau et sentir la mort pour commencer à chercher le chemin de la rédemption.

La vérité, c'est qu'il n'est pas besoin de manger de la chair humaine pour encourager des actes monstrueux : il suffit d'apprécier un steak ou quelques saucisses, et on apporte sa contribution à l'horreur universelle.

Je lus presque tous ses vers. Je les trouvai assez faibles, prévisibles et souvent de très mauvais goûts, mais Cora se prenait pour un génie de la création littéraire et ce n'était pas moi qui allais la contredire. Sans compter qu'elle avait raison : puisqu'on vendait tant de conneries dans les librairies, pourquoi pas les siennes ?

Les humains abattent des bœufs, des porcs, et des moutons, et tordent le cou aux volailles. Pourquoi? Parce qu'ils en ont le pouvoir. Et pour le conquérir, ils se montrent incroyablement malins et calculateurs. Beaucoup plus que les bêtes, croyez-moi.

Manger nourrit, mais aide aussi à se remémorer les choses. (p 134).

Parfois, dans des toilettes publiques, on lisait les vers suivants :
Tout dans la vie a un commencement,
Un milieu et un va-te-faire-foutre.

Ils étaient étendus sur le lit, s'apprêtant à dormir. Téo avait terminé de lire le texte le dimanche, mais avait préféré s'abstenir de tout commentaire.

La vie ne lui inspirait guère que de l’ennui : une routine monotone, dépourvue de moments particulièrement allègres ou particulièrement tristes. Un vide rempli d’avance d’émotions ternes et timides.

Venez vivre l'expérience gastronomique la plus exotique, la plus exceptionnelle et la plus savoureuse de la nuit carioca !

Salutations,

L'équipe de Viande de mouette & Co

À mon arrivée à Rio de Janeiro, je rêvais encore de jouer un rôle dans le devenir du monde. À présent, je m’estimais satisfait si je réussissais à payer mes factures et à finir le mois sans m’endetter.

Il voyait Clarice comme un diamant brut. Toute relation suppose une réciprocité, un échange de faveurs, de manière que les deux pôles se séduisent mutuellement, sous le charme des surprises. Téo avait été surpris par la jeune femme: mis en éveil par sa beauté, subjugué par sa spontanéité et condamné par son baiser au goût de vodka et de citron. Et il savait que lui aussi pourrait la surprendre. Il ne manquait pas de qualités: de la culture, un avenir. Et il serait un bon père (même si en réalité il n’avait jamais pensé à avoir des enfants, mais tout à coup l’idée ne lui semblait pas sans attrait) et un bon mari (car il savait comment les femmes méritaient d’être traitées). Il n’était pas très beau, mais il n’était pas laid non plus. De toute façon, la beauté aiguisait l’amour, mais ne le consolidait pas: ce qui comptait, c’était l’affectivité. La force émotionnelle qui connecte deux personnes, dans le dialogue, dans la confiance et la découverte réciproques. Le terme «symbiose» lui sembla approprié. Il chercha dans le dictionnaire sa définition exacte. Celle-ci: «Association entre deux êtres qui vivent dans une communauté dont tous deux tirent bénéfice, de manière qu’aucun des deux ne peut vivre sans l’autre. »

Parfois, dans des toilettes publiques, on lisait les vers suivants :
Le talent n'est pas une chance,
C'est la change qui exige du talent.

Même si je me sentais profondément perturbé par le souvenir du dîner, je pensai à cet instant que, sur l'échelle de la cruauté, il y avait des gens dans le monde qui avaient plus raisons de se repentir que moi. Des gens qui détournaient les subventions des hôpitaux publics, qui trafiquaient des organes, qui tournaient des vidéos porno avec des enfants.

Parfois, dans des toilettes publiques, on lisait les vers suivants :
La viande la moins chère sur le marché,
C'est la viande noire.