Publiés en 1981, ces entretiens nous font revisiter le 20è siècle de 1925 à 1980 en compagnie de Raymond Aron et nous permettent de comprendre sa vision de l'histoire. Ce texte riche, vivant et accessible se lit comme un roman. Les jeunes essayistes J-L Missika et D Wolton mènent ces entretiens pour une émission télé. le présent livre retrace ce dialogue.
Un moment fort : l'Allemagne de 1930 à 1933.
« R A : J'ai pris conscience du monde. Autrement dit, j'ai fait mon éducation politique. [ ] Au printemps 1930, arrivant en Allemagne, je suis un enfant de choeur. En 1933, je reviens en France en adulte. J'ai en conscience de ce qu'est la politique dans ce qu'elle peut avoir d'horrible. Mais ce n'est pas l'Allemagne en tant que telle qui m'a changé. C'est Hitler dans une Allemagne devenue hitlérienne. Voilà. » p43
Un autre moment fort, vingt plus tard, en 1955, lors de la publication de l'essai L'Opium des intellectuels.
« J-L Missika : Ce fut le débat le plus important de l'après-guerre, et il allait diviser l'intelligentsia français jusqu'à aujourd'hui [1981]. Ensuite il allait radicaliser le clivage gauche-droite et transformer le débat politique en un dialogue de sourds. Enfin les auteurs de ce débat étaient Jean-Paul Sartre, Merleau-Ponty, Albert Camus, et Raymond Aron. Vous dites que c'est l'attitude à l'égard de l'Union soviétique qui avait tracé la ligne de partage entre les intellectuels. Sur quels thèmes se sont-ils opposés à propos de l'Union soviétique ?
R A : Je voudrais dire d'abord que, comme je suis le seul survivant des quatre, je voudrais autant que possible ne pas régler de nouveau de vieux comptes. » p169
Raymond Aron répond à ses deux interlocuteurs avec sincérité, sans arrière-pensée ; avec simplicité aussi, sans s'attribuer le beau rôle. Parfois, les deux jeunes gens le poussent dans ses retranchements : par exemple lors de son attitude face au mouvement de mai 68, dont il s'est distancié. Mais l'historien avoue : une de ses hantises, et ce tout au long de sa vie, était la crainte de la guerre civile.
A le lire, on comprend combien c'est difficile de juger l'histoire en train de se faire.
Et pour finir ce compte rendu, un aveu qui m'a fait sourire : il parle des années 1937 – 38 (Le Front Populaire)
« J'ai été socialiste aussi longtemps que je n'ai pas fait d'économie politique ». p47
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[1981]
Raymond Aron : Je trouve que c’est médiocre d’en vouloir aux Etats-Unis d’avoir été pendant une courte période la puissance dominante du monde. Après tout, ça n’a pas duré longtemps et déjà on commence à s’interroger sur le déclin des Etats-Unis. Cela devrait atténuer les mauvais sentiments des Français.
Jean-Louis Missika : Mais l’impérialisme économique, les sociétés multinationales, c’est un danger réel, non ?
R A : En quoi, sinon par définition, les sociétés multinationales sont-elles impérialistes ?
J-L M : On a l’impression que vous faites deux poids, deux mesures. Tout le mal est du côté des Soviétiques. Les Américains ont droit à l’indulgence.
R A : C’est absurde. Je n’ai jamais dit qu’aucune société soit parfaite. Pour les sociétés multinationales, prenons un exemple, la société IBM. Elle a eu presque un monopole des ordinateurs. Elle a encore une position énorme. Il y a eu une filiale d’IBM en FR. Puisque vous avez étudié ces questions, considérez-vous que l’existence d’une filiale d’IBM en FR soit contraire aux intérêts nationaux de la FR ?
J-L M : En tout cas, le général de Gaulle l’a pensé puisqu’il a, de façon très volontariste, crée une société française d’informatique. [ …] En somme, la politique d’indépendance vous semble un peu ridicule ?
R A : Ca dépend comment on définit la politique d’indépendance. Lorsqu’on est dans une économie d’échanges libres, personne n’est économiquement indépendant. Par exemple, nous dépendons aujourd’hui des producteurs de pétrole beaucoup plus que des Etats-Unis. Ce que peut être l’indépendance, aujourd’hui, c’est de ne pas dépendre d’une seule puissance, c’est d’avoir une pluralité de dépendances. C’est aussi avoir de son côté un certain nombre de moyens pour que d’autres dépendent de nous. P238
L'ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l'Histoire.
La morale du citoyen, c'est de mettre au-dessus de tout la survie, la sécurité de la collectivité.
Mais si la morale des Occidentaux est maintenant la morale du plaisir, du bonheur des individus et non pas la vertu du citoyen, alors la survie est en question.
En politique, on ne peut pas démontrer la vérité, mais on peut essayer, à partir de ce que l'on sait, de prendre des décisions raisonnables.
Tous les combats politiques sont douteux. Ce n'est jamais la lutte entre le bien et le mal, c'est le préférable contre le détestable.
L'oeuvre du sociologue Raymond Aron est toujours vivante et pertinente. Ses idées tranchaient à son époque. le philosophe a pensé la guerre et les relations internationales à un moment où ce n'était pas en vogue. Son oeuvre permet encore de penser et analyser les relations internationales et le conflit israélo-palestinien. Comment Raymond Aron percevait-il les prémices d'un conflit qui fait toujours l'actualité ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
- Perrine Simon-Nahum, docteure en histoire, directrice de recherches au CNRS et professeure attachée au département de philosophie de l'Ecole normale supérieure
- Jean-Vincent Holeindre, professeur de science politique à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas et directeur scientifique de l'IRSEM (Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire)
#guerre #hamas ##israel
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