Citations de René Char (1438)
LOI OBLIGE
L'étoile qui rauquait son nom indéniable,
Cet été de splendeur,
Est restée dans le miroir des tuiles.
Le féroce animal sera domestiqué !
Sitôt que montera la puissante nuit froide,
Où les yeux perdent tôt la clarté d'utopie,
Parole d'albatros, je l'ensauvagerai.
p.558
LES SOLEILS CHANTEURS
Les disparitions inexplicables
Les accidents imprévisibles
Les malheurs un peu gros
Les catastrophes de tout ordre
Les cataclysmes qui noient et carbonisent
Le suicide considéré comme un crime
Les dégénérés intraitables
Ceux qui s’entourent la tête d’un tablier de forgeron
Les naïfs de première grandeur
Ceux qui descendent le cercueil de leur mère au fond d’un puits
Les cerveaux incultes
Les cervelles de cuir
Ceux qui hivernent à l’hôpital et que leur linge éclaté enivre encore
La mauve des prisons
L’ortie des prisons
La pariétaire des prisons
Le figuier allaiteur de ruines
Les silencieux incurables
Ceux qui canalisent l’écume du monde souterrain
Les amoureux dans l’extase
Les poètes terrassiers
Les magiciens à l’épi
Règnent température clémente autour des fauves embaumeurs du travail.
p.27
Fureur et mystère
Seuls demeurent
LE VISAGE NUPTIAL
…Le corps désert, hostile à son mélange, hier, était revenu parlant noir.
Déclin, ne te ravise pas, tombe ta massue de transes, aigre sommeil.
Le décolleté diminue les ossements de ton exil, de ton escrime ;
Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos ;
Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
De voix vitreuses, de départs lapidés.
Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l'aigle lance haut le sang évasé)
Sur un destin présent j'ai mené mes franchises
Vers l'azur multivalve, la granitique dissidence.
Ô voûte d'effusion sur la couronne de son ventre,
Murmure de dot noire !
Ô mouvement tari de sa diction !
Nativité, guidez les insoumis, qu'ils découvrent leur base,
L'amande croyable au lendemain neuf.
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées vagues parmi la peur soutenue des chiens.
Au passé les micas du deuil sur ton visage.
p.151-152
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.
Je ris merveilleusement avec toi. voilà la chance unique.
Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront.
Vois bien, portier aigu, du matin au matin,
Longues, lovant leur jet, les ronces frénétiques,
La terre nous presser de son regard absent,
La douleur s'engourdir, grillon au chant égal,
Et un dieu ne saillir que pour gonfler la soif
De ceux dont la parole aux eaux vives s'adresse.
Dès lors réjouis-toi, chère, au destin suivant :
Cette mort ne clôt pas la mémoire amoureuse.
p.457
S'il n'y avait sur terre que nous, mon amour, nous serions sans complices et sans alliés. Avant-coureurs candides ou survivants hébétés.
Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre m'oublie.
L'air que je sens toujours prêt à manquer à la plupart des êtres, s'il te traverse, a une profusion et des loisirs étincelants.
C'est un chagrin d'avoir, dans sa courte vie, passé à côté du feu avec des mains de pêcheur d'éponges.
Chant d'insomnie :
Amour hélant, l'Amoureuse viendra,
Gloria de l'été, ô fruits !
La flèche du soleil traversa ses lèvres,
Le trèfle nu sur sa chair bouclera,
Miniature semblable à l'iris, l'orchidée,
Cadeau le plus ancien des prairies au plaisir
Que la cascade instille, que la bouche délivre.
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.
Le Nu perdu
RÉMANENCE
De quoi souffres-tu ? Comme si s’éveillait dans la maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre miroir semblait avoir figé. Comme si, la haute lampe et son éclat abaissés sur une assiette aveugle, tu soulevais vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits. Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui sut, mieux que toute tendresse, te secourir et t’élever. Comme si tu condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souverain et le chemin qui y conduit....
p. 457
III COMMENT TE TROUVES-TU LÀ ?
PETITE MARMITE, MAIS TU ES BLESSÉE !
QUANTIQUE
Ôtez tout espoir aux petits hommes de la terre ;
Ne bredouillez pas leur effroi, blanchisseurs par Tantale
enrichis ;
Vous avez forcé la porte de l’Éden solaire,
Poussé vos bravoures à l’extérieur des tènements du
vieux chemin.
Magiciens de l’ombre éblouissante,
Grimpe et s’accroît le divisible jasmin.
Aviez-vous peur dans vos premières chambres noires !
Puis vinrent votre ivresse, vos tables, vos échelles, rien.
Qui fut messager de l’annonce ?
La serrure sous l’infini de vos clefs
Libéra un python ondulant dans sa nasse.
Ne nous dites surtout pas : « Bonsoir. »
p.601
LE POÈME PULVÉRISÉ
LES TROIS SŒURS
Mon amour à la robe de phare bleu,
je baise la fièvre de ton visage
où couche la lumière qui jouit en secret.
J'aime et je sanglote. Je suis vivant
et c'est ton cœur cette Étoile du Matin
à la durée victorieuse qui rougit avant
de rompre le combat des Constellations.
Hors de toi, que ma chair devienne la voile
qui répugne au vent.
I
Dans l'urne des temps secondaires
L'enfant à naître était de craie.
La marche fourchue des saisons
Abritait d'herbe l'inconnu.
La connaissance divisible
Pressait d'averses le printemps.
Un aromate de pays
Prolongeait la fleur apparue.
Communication qu'on outrage,
Ecorce ou givre déposés ;
L'air investit, le sang attise ;
L'œil fait mystère du baiser.
Donnant vie à la route ouverte,
Le tourbillon vint aux genoux ;
Et cet élan, le lit des larmes
S'en emplit d'un seul battement….
p.249-250
Placard pour un chemin des écoliers
ALLÉE DU CONFIDENT
II
Elle haletait
Tu marches comme un incendie de forêt
Puma mon bien-aimé
Comment te suivre
Aussitôt les pierres se gonflèrent à éclater
Les crottins s'enfuirent
Les buissonnées s'embrasèrent
À la cime d'un cèdre un phare sauvage s'alluma
Le ciel en nage asséna sa fumée
À l'orge des yeux les plus exténués du monde
Pieds blessés de trébucher
Menues mains de se débattre
Chance
Par le tuyau dévoué de l'amour
Bien-aimé entendit
Et tout droit se dressa
Oh son front sublime de havane fumé
Oh sa gorge de forge de fée
Le ciel fou recula
La bave de feu se terra
Une buée d'ossements parut dansa avec des nains
Une prunelle d'eucalyptus devint une lune embaumée
Fillettes hardies
C'est bien d'être imprudentes
Mais pour l'amour
De votre puma
À vos lèvres mouillez la flamme
Quand en image elle y fleurit.
p.92-93
D’UN MÊME LIEN
Atome égaré, arbrisseau,
Tu grandis, j’ai droit de parcours.
A l’enseigne du pré qui boit,
Peu instruits nous goûtions, enfants,
De pures clartés matinales.
L’amour qui prophétisa
Convie le feu à tout reprendre.
O fruit envolé de l’érable
Ton futur est un autrefois.
Tes ailes sont flammes défuntes,
Leur morfil amère rosée.
Vient la pluie de résurrection !
Nous vivons, nous, de ce loisir.
Lune et soleil, frein ou fouet,
Dans un ordre halluciné.
p.52
PYRÉNÉES
Montagne des grands abusés,
Au sommet de vos tours fiévreuses
Faiblit la dernière clarté.
Rien que le vide et l'avalanche,
La détresse et le regret !
Tous ces troubadours mal-aimés
Ont vu blanchir dans un été
Leur doux royaume pessimiste.
Ah ! la neige est inexorable
Qui aime qu'on souffre à ses pieds,
Qui veut que l'on meure glacé
Quand on a vécu dans les sables.
p.304
EN TRENTE-TROIS MORCEAUX 1956
III
Des yeux purs dans les bois
Cherchent en pleurant la tête habitable.
p.773