"Sur le fleuve amour" de Joseph Delteil lu par Richard Bohringer I Livre audio
La culpabilité ne sert à rien. Seule la conscience est ta sœur. Elle te dit la vérité. Elle n'a rien à cacher, à te cacher. Elle est pure. Elle est ce que tu voulais être et que tu n'es pas.
Je suis absent de ma vie. Je la regarde sans vraiment la toucher. Léger décalage. Derrière ou devant. Jamais dedans.
Mais toi, aime-la cette vie. Casse-lui la gueule. Bouleverse-toi d'elle. Elle te donnera des ailes. Et tu voleras comme le cormoran argenté.
Écrire relève de l’espérance. Tu mets la virgule là où tu veux que ça freine et le point là où tu veux que ça s'arrête. Quand tu veux laisser ton idée faire son chemin sans toi, tu rajoutes quelques points. Quand tu t'étonnes, tu peux t'exclamer, c'est pas obligé. Et puis le reste, tu laisses à ceux qui veulent tout expliquer.
Passer le temps à se rafistoler l'âme. Croire en sa force et puis lâcher prise. Dégringoler. Avoir peur de soi. De la partie inconnue. De celle qui brise.
Ecrire par tous les temps. Au bout des champs. Derrière l’horizon. Les phrases odeurs. Les phrases souvenirs. Il y aura celles écrites. Il y aura celles sans traces. Juste pensées. Juste vécues. Tout ne sera pas écrit. Trop d’intime à deviner entre les lignes.
Quel bonheur ! Écrivons comme la locomotive tire ses wagons. Avec le sentiment de s'ouvrir au vent. D'ouvrir le vent. Sentiments d'adolescent ou d'Amérindien. Amoureux fou de l'espace et des saisons. L'inspiration n'a pas d'horizon et vole jusqu'à l'épuisement. Souvent, elle s'endort sur ton épaule.
Se foutre la tête dans sa propre vidange pour se secouer l'âme et gerber le trop plein. Ne plus s'aimer. Être inspiré. Inspirer. J'entends Eddy Louiss. Je suis un païen troublé.
Emmène-moi dans le village, là où maman est née. Là où le léopard dort dans les bras du boa. Où les femmes ont des robes qui ressemblent à des soleils fous. Elles nous feront des signes de sous leurs ombrelles faites de plumes de paon. Et les messieurs qui les tiennent par le bras nous feront des sourires d'ivoire en nous montrant du doigt le cimetière des grand éléphants.
Emmène-moi dans le village, là où maman est née, là où papa est un sage.
Sans passion, il n'y a pas de grande histoire.
J'aime la nuit. Ses sanglots dans les tuyaux. Le frigo qui se remet en marche. L'eau qui coule du robinet pour le chat. Il ne boit qu'à l'eau fraîche qui l'éclabousse. Sa langue rose. Je revisite le silence. Les nuits du monde. Les nuits immenses et lointaines qui bruissent. Les présences animales dans la nuit sans lune, le scarabée qui se hâte, celui qui te veut du bien ou du mal, un cheval qui broute malgré tout, un regard qui fuit, une invention qui te file le frisson, la lune qui court sur le grand piano céleste, effleure les arbres, explose, sur le bord de la rivière, découvre un pêcheur solitaire sans nom et sans sommeil, l'homme est un ami. Il salue la lune qui court, en trébuchant dans la forêt aux mille vies, mille odeurs, mille rêves sombres, mille matins saveurs.
Les loups en colonne trottinent le long de la lisière. J'incante la nuit. J'incante la lune. Je suis un adorateur.