AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Robert McLiam Wilson (287)


c'est dans les rapports entre Emma et Manfred que se noue le roman : pourquoi un mari bat-il sa femme bien aimée ?
Commenter  J’apprécie          20
Ce conflit politique, qui avait marqué toute sa vie adulte, se résumait à un mensonge. Il s’agissait en fait d’une guerre entre une armée qui disait qu’elle ne voulait pas se battre, et un groupe de révolutionnaires qui affirmaient qu’ils ne voulaient pas se battre non plus. Ça n’avait rien à voir avec l’impérialisme, l’autodétermination ni le socialisme révolutionnaire. Et puis ces armées ne s’entre-tuaient pas souvent. D’habitude, elles se contentaient de tuer les malheureux citoyens qui se trouvaient disponibles pour le massacre.
Commenter  J’apprécie          10
Le froid de cette sale nuit commence maintenant à tisser ses fils de glace autour de mon cœur défaillant. Ces jours-ci, mon cœur s'ouvre largement au temps qu'il fait. Les chutes de température, les dépressions et les fronts d'air froid se réverbèrent et s'ébattent dans mon pathétique miroir cardiaque. Cela m'inquiète. Il faut que l'été arrive sans tarder. Il va venir ! Je le sais très bien. Il ne faut pas que je me ronge les sangs. Non. À cette pensée requinquante, les lampadaires de la rue scintillent, amicaux et lugubres, pour ma mélancolie, pour mes yeux solitaires.

Je songe tout à trac que j'ai faim. mais, "faim" n'est peut-être pas le mot adéquat. Un expression plus juste et mesurée pour décrire mon expérience présente serait sans doute : une putain de voracité qui me tord les tripes. D'accord, je suis un blanc-bec sans doute prompt aux exagérations de la jeunesse, mais c'est pour de vrai. C'est le truc authentique, garanti pur jus. Faim me frappe de plein fouet. Faim m'estourbit de son pied-de-biche. Faim s'amuse de moi. Ai-je déjà mentionné le fait que je n'ai rien mangé depuis plus de trois jours ? Et alors ? tu vas dire. Mais j'ai vécu pire que ça ! Il y a quatre jours, par exemple, je n'avais rien mangé depuis cinq jours et je me suis senti tellement désespéré, putain, que j'ai récupéré dans une poubelle un hamburger à moitié bouffé, j'en ai essuyé la saleté et je l'ai englouti avec délectation. Alors ? Je parie que maintenant tu regrettes d'avoir ouvert le bec. ( N.B. : Je me suis senti tellement honteux et dégoûté que j'ai bien failli vomir aussitôt le tout et que je n'ai pas récidivé depuis.)

Mais revenons à mes petites douleurs présentes. Je pense m'en être assez bien tiré jusqu'ici.

J'ai souffert quasiment en silence. Ce qui, de ma part, est un exploit tout à fait inattendu. L'épuisement est une chose étrange, aux facettes multiples. Il t'envahit par stades successifs. ( Comme je n'ai jamais passé plus de quinze jours sans m'alimenter, mon expérience est nécessairement limitée. À jeûner plus longtemps, je deviendrais aveugle, fou, ou bien je mourrais.)

D'abord, ça fait un mal de chien pendant environ une journée. Tu as le ventre tout ballonné et distendu, tu rotes prodigieusement et tu as tellement de salive dans la bouche que tu ne sais plus quoi en faire. Nous connaissons tous cette faim là. La faim entre deux repas, la faim dun jeûne, la faim du voyage, même la faim d'un régime. C'est une broutille. Une petite fringale de rien du tout. Totalement étrangère au vrai problème. Tu ressens ensuite un agréable renouveau de confort et d'énergie. Quand ton cerveau consomme ses dernières réserves de glucose, ton esprit s'aiguise, tu deviens spirituel. Tes pensées et tes paroles sont aériennes, audacieuses, d'une beauté et d'une ampleur pyrotechniques. Tu écris des poèmes, tu résouds des problèmes de probabilités, tu découvres trois traitements indépendants du cancer.

C'est bien. C'est drôle. Mais alors Souffrance enfonce un gros bâton noueux dans le cul et baratte ton abdomen déjà distendu. Une demi-journée de splendides hurlantes et c'est fini... Ouf. Sans t'arrêter pour souffler, tu abordes une nouvelle période de tranquillité. Tu connais un bonheur inexplicable. Même l'intrusion sinistre d'une mort cérébrale imminente ne peut troubler cette sérénité nouvelle. Tu connais et accueilles tout ce qui se présente. Macrocosme et microcosme. Tu disposes d'une infinie sagesse, d'une compassion illimitée. Tu es le Philosophe Faim, un voyant infiniment sagace. Dieu vient te parler.

Souffrance interrompt cet état et te vide sans ménagement. Une demi-heure plus tard, tu accouches d'une moissonneuse-batteuse aux lames rotatives, tu tousses et vomis ce qui ressemble à ton intestin grêle. Il file au loin vers une vie nouvelle sous le soleil avant que tu n'aies eu le temps de le rattraper.

Au moment précis où tu te crois fichu, prêt à passer l'arme à gauche, le calme revient. Mais c'est maintenant un calme plat. Un calme comateux. Le temps se dilate, te voilà en pleine excursion au paradis des hippies. La perception et l'intelligence sont parties en congé loin d'ici et tu patauges dans une paix mollassonne. Arrivé à ce point, tu ne fais plus très attention à ce qui t'arrives, tu risques de te retrouver à essayer de piquer un roupillon sur l'autoroute, etc. Pourtant, ne te mets pas martel en tête : dans cet état qui est désormais le tien, tu as besoin de toute l'insouciance dont tu es capable.

Tiens ! Qui va là ? Mais je rêve ! Revoilà cette bonne vieille Souffrance ! Elle est vraiment furax, elle meurt d'envie de te faire morfler. Elle commence par te tarauder vicieusement les boyaux avant de s'attaquer à la paroi de ton estomac qu'elle récure à la paille de fer. Saisie d'une inspiration subite, elle accroche ton pancréas à ta vessie avec un croc de boucher. Tu te recroquevilles et restes couché en chien de fusil. Tes jambes se dérobent sous ton corps et, lorsque tu tentes de te relever, elles ne t'obéissent plus. Tu improvises et retombes aussitôt.

Ça passe. Incroyable, mais ça aussi ça passe...
Commenter  J’apprécie          10
Shague Ghinthoss était un poète injustement célèbre qui ressemblait au Père Noël et qui écrivait sur les grenouilles, les haies et les pelles à longue manche. C'était un catholique vaguement anti-anglais, originaire de Tyrone, mais les Anglais l'adoraient. Ils adoraient vérifier de vive voix quelle bande d'indécrottables ploucs les autres étaient. J'aimais bien ça chez les Anglais.
Commenter  J’apprécie          10
Il ne désirait pas vraiment la mort, mais il mourait d'envie d'être débarrassé de la vie.
Commenter  J’apprécie          10
Faire des achats est la seule activité qui vous permet d'oublier que vous n'est pas en mesure de faire des achats.
Commenter  J’apprécie          10
A ce moment précis, je croise une fille qui semble se recroqueviller sur elle-même. Elle détourne les yeux, puis me regarde, en faisant bien attention de ne trahir aucune émotion. Elle rase le mur, la mâchoire crispée par la peur et l'indignation. Elle garde la tête baissée, désapprobatrice, ses pas rapides sonnent sur l'asphalte. Elle ne m'aime pas. Elle n'aime pas mon air crasseux, ma démarche d'infirme, de victime. Je la gêne et l'inquiète, ce dont elle se passerait volontiers. Je ressens ça d'autant plus durement qu'elle est jeune, jolie, et qu'elle a ces yeux humains et cléments que j'aimais tant. Elle me dépasse en trottinant d'un air soulagé. Moi, le vagabond. Je suis plus jeune qu'elle.
Commenter  J’apprécie          10
L'inconnu peut vous vraiment vous blesser prodigieusement, mais ce que vous n'avez jamais eu ne vous manquera jamais.
Commenter  J’apprécie          10
Toutes les histoires sont des histoires d'amour.
Commenter  J’apprécie          10
Non que Manfred eut déjà échafaudé quelque projet de suicide détaillé. Le suicide était selon lui la mort de l'idiot. Il pouvait attendre et avoir confiance. Sa douleur le faisait espérer. La mort invitée était une affaire beaucoup plus digne tant qu'on ne se l'infligeait pas soi-même.
Commenter  J’apprécie          10
Je me sentais aigri. Je bossais dans la récupération des marchandises impayées. Qu’aurais-je pu me sentir d’autre ? La récup me calmait pendant la matinée et, nous autres, on bossait toujours la matin. C’est là qu’on faisait notre meilleur score. Le matin, les gens étaient déboussolés, à moitié habillés, malléables, peu enclins à castagner. Un pantalon est apparemment nécessaire pour exhiber ses talents pugilistiques. Nous ne travaillions jamais après la tombée de la nuit : difficile, dans l’obscurité, de jauger la corpulence d’un type ou la quantité d’alcool qu’il a bu ; il était aussi plus difficile de trouver des femmes seules après la tombée de la nuit et les gens nous prenaient sans cesse pour des membres de l’IRA.
Eh oui, les gens nous prenaient sans cesse pour un commando de l’IRA. Il était facile, j’imagine, de confondre un trio de salopards machos avec un autre. Mes collègues étaient des êtres humains très frustes, vraiment. Crab était gros, gras et laid. Hally était gros, gras, laid et vicieux. J’essayais de ne pas haïr les gens. Haïr les gens était trop fatigant. Mais parfois, juste parfois, c’était difficile.
Commenter  J’apprécie          10
J’ai erré dans les pièces de mon appartement désert. J’aimais bien cet appartement. Mais parfois, quand je m’y retrouvai seul, j’avais le sentiment d’être le dernier homme sur Terre et mes deux chambres devenaient un luxe humiliant. Depuis le départ de Sarah, je n’avais guère brillé. La vie avait été lente et longue. Elle était partie depuis six mois. Elle en avait eu assez de vivre à Belfast. Elle était anglaise. Elle en avait soupé. Il y avait eu beaucoup de morts à cette époque et elle a décidé qu’elle en avait marre. Elle désirait retourner vers un lieu où la politique signifiait discussions fiscales, débats sur la santé, taxes foncières, mais pas les bombes, les blessés, les assassinats ni la peur.
Elle était donc rentrée à Londres. Chuckie m’avait réconforté en me faisant remarquer que les Anglaises constituaient une perte de temps. Elle n’a pas écrit. Elle n’a pas appelé. Elle n’a même pas faxé. Elle avait eu raison de partir, mais j’attendais toujours son retour. J’avais attendu d’autres choses dans ma vie. L’attente n’avait rien de nouveau pour moi. Mais aucune attente ne m’avait jamais fait cet effet. Il me semblait que j’allais devoir attendre plus longtemps que jamais. L’aiguille de l’horloge filait bon train, mais je n’avais pas encore quitté les starting-blocks. Les gens se trompaient complètement sur le temps. Le temps n’est pas de l’argent. Le temps, c’est de la vitesse.
Commenter  J’apprécie          10
La pluie s'était muée en ces hachures grises typiques des enterrements irlandais. Chuckie, ni sucre ni sel, savait qu'il ne fondrait pas, mais il ressentait vivement l'humiliation de la marche vers l'arrêt de bus, surtout lorsque la Mercedes de John Long le dépassa. Les deux brefs coups de klaxon comportaient une allusion sarcastique qui le blessa.
Commenter  J’apprécie          10
-Du feu. Z'avez du feu?
Chukie, qui fumait rarement, avait toujours un briquet sur lui. Il lui servait à graisser les rouages de la conversation avec les brunes pulpeuses des bars. Il fouilla dans ses poches et tendit un briquet jetable à la vieille.
Commenter  J’apprécie          10
Ce n'étaient pas les bombes qui faisaient peur. C'étaient les victimes des bombes. La mort en public était une forme de décès très spéciale. Les bombes mutilaient et s'emparaient de leurs morts. L'explosion arrachait les chaussures des gens comme un parent plein d'attention, elle ouvrait lascivement la chemise des hommes; le souffle luxurieux de la bombe remontait la jupe des femmes pour dénuder leurs cuisses ensanglantées. Les victimes de la bombe étaient éparpillées dans la rue comme des fruits avariés. Enfin, les gens tués par la bombe étaient indéniablement morts, putain. Ils étaient très, très morts.
Commenter  J’apprécie          10
Ce n'étaient pas les bombes qui faisaient peur. C'étaient les victimes des bombes. La mort en public était une forme de décès très spéciale. Les bombes mutilaient et s'emparaient de leurs morts. L'explosion arrachait les chaussures des gens comme un parent plein d'attention, elle ouvrait lascivement la chemise des hommes; le souffle luxurieux de la bombe remontait la jupe des femmes pour dénuder leurs cuisses ensanglantées. Les victimes de la bombe étaient éparpillées dans la rue comme des fruits avariés. Enfin, les gens tués par la bombe étaient indéniablement morts, putain. Ils étaient très très morts. p 27
Commenter  J’apprécie          10
Dans les circonstances présentes, Belfast était une ville vraiment célèbre. Quand on réfléchissait qu'il s'agissait de la capitale sous-peuplée d'une province mineure, le monde semblait vraiment la connaître excessivement bien. Personne n'ignorait les raisons de cette gloire superflue. Je n'avais pas beaucoup entendu parler de Beyrouth avant que l'artillerie ne s'y installe. Qui connaissait l'existence de Saigon avant que la cocotte-minute n'explose ? Anzio était-il un village, une ville ou tout simplement un bout de plage ? Où se trouvait exactement Azincourt ?
Belfast bénéficiait du statut de champ de bataille. les lieux-dits de la ville et de la campagne environnante avaient acquis la résonance et la dure beauté de tous les sites de massacres historiques. Bogside, Crossmaglen, Falls, Shankill et Andersonstown. Sur la carte mentale de ceux qui n'avaient jamais mis les pieds en Irlande, ces noms étaient suivis de minuscules épées entrecroisées. [...] Belfast n'était fameuse que parce que Belfast était hideuse. p.25
Commenter  J’apprécie          10
Tous avaient leur histoire. Mais ce n'étaient pas des histoires courtes, des nouvelles. Ce n'aurait pas dû être des nouvelles. Ç'aurait dû être des romans, de profonds, de délicieux romans longs de huit cents pages ou plus. Et pas seulement la vie des victimes, mais toutes ces existences qu'elles côtoyaient, les réseaux d'amitié, d'intimité et de relations qui les liaient à ceux qu'ils aimaient et qui les aimaient, à ceux qu'ils connaissaient et qui les connaissaient. Quelles complexité ... Quelle richesse....

Qu'était-il arrivé ? Un événement très simple. Le cours de l'histoire et celui de la politique s'étaient télescopés. Un ou plusieurs individus avaient décidé qu'il fallait réagir. Quelques histoires individuelles avaient été raccourcies. Quelques histoires individuelles avaient pris fin. On avait décidé de trancher dans le vif. p.321
Commenter  J’apprécie          10
Le seul vrai professionnalisme vint des journalistes et des cameramen sur les lieux du drame et dans les hôpitaux. Ils firent preuve d’une vigueur réelle et d’une ambition indéniable. Ils braquaient partout caméras et micros. Un journaliste allemand dirigea même son micro vers un cadavre allongé sur un lit de camp. Les journalistes du cru se moquèrent beaucoup de lui. Car ils avaient cessé d’interroger les morts depuis belle lurette.
Commenter  J’apprécie          10
Belfast, c'est Rome avec davantage de collines; c'est l'Atlantide sauvée des flots. Et, où qu'on soit, où qu'on regarde, les rues brillent comme des bijoux, comme de menues guirlandes étoilées. [...] elle est magique. p.297
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Robert McLiam Wilson (1698)Voir plus

Quiz Voir plus

Eureka Street

Où se passe l'histoire de ce livre ?

Aux Etats-Unis
En Ecosse
En Irlande
Au Canada

11 questions
60 lecteurs ont répondu
Thème : Eureka Street de Robert McLiam WilsonCréer un quiz sur cet auteur

{* *}