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Citations de Roger Scruton (47)


Dans « Le Monde de demain », Stefan Zweig attribuait le déclin de l’ordre civique, en Europe, au mythe du progrès. Dans toutes les idéologies de son époque – le communisme, le socialisme, le nazisme, le fascisme – Zweig voyait la même tentative pernicieuse de réécriture des principes de l’ordre social dans les termes d’une progression linéaire du passé vers l’avenir. Le culte du chef, du « parti d’avant-garde », de l’« avant-garde » – tous supposaient que la société avait une « direction », de la même façon que les entreprises commerciales ont une finalité et les armées un but. Et tous autorisaient l’embrigadement croissant du citoyen et l’absorption continue des fonctions de la société dans la machinerie de l’État.
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C’est pourquoi les démocraties ont besoin d’un « nous » national plutôt que religieux ou ethnique. L’État-nation, tel que nous le concevons aujourd’hui, est le produit dérivé de la relation de bon voisinage, façonné par une « main invisible » à partir des innombrables accords passés entre ceux qui parlent la même langue et vivent côte à côte. Il résulte de compromis établis après bien des conflits et exprime l’accord lentement formé entre des voisins, autant pour s’accorder mutuellement de l’espace que pour protéger cet espace devenu territoire commun. Il a fini par absorber consciemment, en s’y ajustant, les minorités ethniques et religieuses de son territoire, tout comme en retour elles se sont ajustées à l’État-nation. Il dépend de coutumes locales et d’une tolérance routinière et partagée. Son droit est territorial plutôt que religieux et n’invoque aucune source d’autorité plus haute que les biens intangibles partagés par son peuple.
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Pour le dire en un mot : le droit séculier s’adapte, le droit religieux persiste. De plus, précisément parce que la charia ne s’est pas adaptée, personne ne sait vraiment ce qu’elle dit. Nous dit-elle de lapider les femmes adultères à mort ? Certains disent oui, d’autres non. Nous dit-elle qu’investir de l’argent est interdit dans tous les cas ? Certains disent que oui, d’autres que non. Lorsque Dieu fait les lois, les lois deviennent aussi mystérieuses que Dieu. Lorsque « nous » faisons les lois, conformément à nos finalités, nous pouvons être certains de ce qu’elles signifient. La seule question est alors « Qui sommes-nous ?» Et, dans les conditions modernes, la nation est la réponse à cette question, une réponse sans laquelle nous sommes tous à la dérive.
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Les hommes s’enracinent en acquérant une première personne du pluriel – un lieu, une communauté et un mode de vie qui est « nôtre ». Le besoin de ce « nous » n’est pas accepté par les internationalistes, les socialistes révolutionnaires ou les intellectuels fidèles à la vision de cette communauté idéale sans lieu ni temps issue de Lumières. Mais c’est là un fait, et le premier fait par où toute communauté et toute politique commencent. George Orwell l’avait remarqué pendant la Seconde Guerre mondiale. La déloyauté de l’intelligentia de gauche était, pour Orwell, encore plus manifeste et choquante par comparaison avec le « nous » simple et obstiné des gens ordinaires. Le véritable choix politique, au sujet duquel Orwell n’avait aucune hésitation, était soit de rejoindre les intellectuels dans leur œuvre de destruction, soit d’épauler les gens ordinaires qui défendaient leur pays en ce moment de détresse.
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Les êtres humains, lorsqu’ils s’établissent quelque part, sont animés par l’oikophilia : l’amour du foyer, qui n’est pas seulement le chez-soi mais le peuple qui l’habite, et les arrangements concomitants qui dotent ce chez-soi de contours durables et d’un sourire constant. L’oikos est le lieu qui n’est pas seulement le mien et le tien, mais le nôtre. Il est la scène de la première personne du pluriel de la politique, le centre, à la fois réel et imaginaire, où « tout se passe ». Les vertus comme l’épargne et le sacrifice de soi, l’habitude d’offrir et de recevoir des marques de respect, le sens de la responsabilité – tous ces aspects de la condition humaine qui font de nous les intendants et les gardiens de notre héritage commun – naissent au cours de notre construction comme personnes, en créant des îlots de valeur dans une mer de prix. Acquérir ces vertus exige de circonscrire le « raisonnement instrumental » qui gouverne la vie de l’homo oeconomicus. Nous devons investir notre amour et notre désir dans des choses auxquelles nous attribuons une valeur intrinsèque, plutôt qu’instrumentale, de sorte que la poursuite des moyens puisse se loger, pour nous, dans le domaine des fins. C’est ce que nous entendons par l’enracinement : le fait de replacer l’oikos au cœur de l’oikonomia. C’est cela, le conservatisme.
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En analysant les traditions, nous n’analysons pas des règles arbitraires et des conventions. Nous analysons les réponses qui ont été élaborées face à des questions durables. Ces réponses sont tacites, partagées, incorporées dans des pratiques sociales et des attentes inarticulées. Ceux qui les adoptent ne sont pas nécessairement capables de les expliquer, encore moins de les justifier. D’où le nom que leur donnait Burke, celui de « préjugés », en les défendant au motif qu’en dépit de l’étroitesse du stock de raison dans chaque individu, il se produit dans la société une accumulation de la raison ; si on la remet en question ou si on la rejette, c’est à notre péril. La raison se donne à voir là où nous ne raisonnons pas, et peut-être ne pouvons pas raisonner – c’est ce que nous voyons dans nos traditions, y compris celles qui ont pour motif principal le sacrifice, telles que l’honneur militaire, l’attachement à la famille, les pratiques et la matière de l’éducation, les institutions caritatives et les bonnes manières.
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C’était ma première rencontre avec des « dissidents » : les hommes qui, à mon grand étonnement ultérieur, seraient les premiers dirigeants démocratiquement élu de la Tchécoslovaquie postcommuniste. Je ressentis avec eux une affinité immédiate. Rien n’avait autant d’importance pour eux que la survivance de leur culture nationale. […] Leurs vies étaient la mise en exercice de ce Platon a appelé l’anamnèse : le fait d’appeler à la conscience les choses oubliées. Quelque chose en moi répondit immédiatement à cette touchante ambition, et je brûlai aussitôt de me joindre à eux et de porter leur sort à la connaissance du monde. Je me rendis compte alors que l’anamnèse décrivait aussi le sens de ma vie.
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Selon Hayek, ce sont Aristote puis Ulpien, dans le « Digeste », qui donnent le véritable sens de la justice : donner à chacun ce qu’il mérite. Le terme ambigu de « social » prive de son sens la notion de « justice ». Loin d’être une justice, la justice sociale est une forme de corruption morale. Elle revient à récompenser les individus pour leur comportement irresponsable, pour leur négligence à l’égard des leurs et du bien-être de leur propre famille, pour leur irrespect des contrats passés et l’exploitation de leurs employés.
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À la fin du XIXème siècle, le conservatisme a commencé à se définir autrement : il est devenu une riposte aux modèles gargantuesques d’une société « juste » promue par un nouveau genre d’État managérial. Dans une certaine mesure, les conservateurs sont devenus, au cours de cette lutte, les véritables défenseurs de la liberté contre un système qui est au mieux un gouvernement bureaucratique, au pire, comme dans l’Union soviétique, une tyrannie plus meurtrière encore que celle des Jacobins dans la France révolutionnaire.
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À Vienne et dans ses satellites d’antan, naquit alors une littérature de deuil que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans la modernité. Des œuvres telles que « Le Monde d’hier » de Stefan Zweig, commencé en 1934, « L’homme sans qualités » de Robert Musil, publié après sa mort en 1940, ou encore « La Marche de Radetzky (1932) de Joseph Roth évoquent un ordre social précieux – qui était aussi un ordre spirituel. De leur côté, « Les Élégies de Duino » de Rainer Maria Rilke, recueil publié en 1923 (mais partiellement élaboré en 1912), représentent, dans la littérature moderne, la plus remarquable tentative de découvrir le sens de notre vie intérieure lorsque tous les artefacts de la société et de la religion ont disparu, lorsque seul demeure le « je », miraculeusement debout, telle une flèche solitaire dominant les ruines de tout ce qui l’entourait autrefois.
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Arnold considère que la culture et l’accès à celle-ci sont essentiels à la rectitude du pouvoir politique : sans la culture, il ne saurait y avoir de conception juste des fins de la conduite humaine ; seule s’exprimerait une obsession mécanique des moyens. Arnold critique ainsi un grand nombre « d’idées établies » du libéralisme et de l’utilitarisme du XIXème siècle, en particulier leurs visions matérialiste, rationaliste et individualiste du progrès humain.
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À leur manière, Maistre, Chateaubriand et Tocqueville s’opposaient à un certain nombre de thèses des Lumières – Maistre à celle de la souveraineté populaire, Chateaubriand à celle du sécularisme, Tocqueville à celle de l’égalitarisme. Ils partageaient avec les révolutionnaires le désir d’une vision totale de la destinée humaine, mais ils étaient d’ardents critiques de la Révolution française et de son legs nihiliste qui avait permis l’ascension de Napoléon.
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Dans son mélancolique « Ideas Have Consequences » (1948), Weaver fait remonter le déclin de la civilisation occidentale au Moyen-Âge, en particulier au nominalisme de Guillaume D’Ockham qui a sapé les vieilles certitudes et conféré une nouvelle autonomie à l’individu.
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L’importance de la distinction entre État et société civile n’a pas toujours été comprise. Elle a notamment été obscurcie par une habitude, qui remonte au XIIIème siècle, de nommer société civile n’importe quel ordre politique. Hegel a été sans doute le premier des conservateurs à comprendre que le concept d’État désigne une nouvelle forme d’institution qui ne saurait être réduite aux – ou déduites des – pouvoirs des associations civiles. D’où l’idée que la liberté du citoyen, garantit par l’État, est en même temps menacée par l’État. L’État ne peut assurer la liberté que s’il se retire de la société civile. Cela implique que la société civile doit posséder un ordre autonome – comparable à ce que Smith appelle la « main invisible », Burke le « préjudice » et Hegel la « ruse de la raison ».
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Comme je l’ai montré, les libéraux et les conservateurs étaient unis dans leur appréciation de la liberté individuelle comme valeur politique ultime, mais ils n’avaient pas la même vision des institutions traditionnelles. Pour les libéraux, l’ordre politique découle de la liberté individuelle ; pour les conservateurs, c’est l’inverse : la liberté est le résultat d’un agencement politique. Pour un conservateur, un ordre politique n’est pas légitime parce qu’il trouve sa source dans le libre choix des individus, il l’est par les choix libres qu’il rend possibles.
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Le conservatisme moderne a donc commencé sa vie en Grande-Bretagne et en France comme « qualification » de l’individualisme libéral. Le raisonnement conservateur souscrivait, en partie du moins, à la démarche ascendante qui fait du peuple la source de la légitimité du gouvernement. Il adhérait à une certaine version de la loi naturelle et des droits naturels dans la mesure où ils posent les limites du pouvoir politique et consacrent les libertés de l’individu souverain. Dans l’ensemble, le conservatisme était également favorable au gouvernement constitutionnel et à ce que Jefferson a décrit plus tard comme « checks and balances », un système dans lequel les différents pouvoirs se contrôlent mutuellement.
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L'Angleterre de ma jeunesse était célèbre dans le monde entier pour l'attitude et les principes de sa force de police. Notre gendarmerie n'était pas le bras armé du gouvernement central, mais une organisation locale, responsable devant les conseils locaux. Le "bobby" lui-même était formé comme un ami de la communauté qu'il servait, et le signe en était qu'il avait pour seule arme un carnet et un drôle de sifflet en étain. Il connaissait les gens de son quartier et prenait un intérêt paternel à leur bien-être. Les enfants venaient à lui quand ils étaient perdus, les étrangers lui demandaient leur chemin, et tous le saluaient avec le sourire. Ainsi conçue, la force de police anglaise servait à mettre en valeur une vérité fondamentale du droit anglais, celle que ce droit n'existe pas pour contrôler l'individu mais pour le rendre libre. Le droit commun est du côté du citoyen contre ceux - qu'ils soient des hommes politiques qui excèdent leur pouvoir ou des criminels ordinaires - qui souhaitent le plier à leur volonté contre son gré. C'est cette conception du droit qui sous-tend la politique conservatrice dans le monde anglophone, et c'est aujourd'hui ce qui mérite le plus d'être défendu contre les forces adverses.
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Roger Scruton
Tout ce qui est innocent et normal est devenu suspect, en particulier en France. Personne n'a riposté en montrant la beauté de la vie bourgeoise, qui accomplit une forme d'épanouissement de l'homme..
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Je n'ai jamais entièrement adhéré à la rhétorique du libre échange des thatchériens. Mais je sympathisais profondément avec les motifs de Thatcher. Elle voulait faire reconnaître à l'électorat que la vie d'un individu lui appartient et que la responsabilité de la vivre ne peut pas être endossée par un autre, encore moins par l'Etat. Elle espérait libérer le talent et l'entreprise, qui, malgré des décennies de bla-bla égalitaire, existaient toujours, pensait-elle, dans la société britannique.
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Savoir comment cette classe politique si détachée, en apparence, des loyautés ordinaires, est advenue, est une vraie question pour les conservateurs. Dans le cas de la gauche, le mystère n'est pas si difficile à percer. Il y a des chemins vers la politique, à gauche, qui passent outre toutes formes naturelles de vie humaine. On commence avec une cause, on rejoint une ONG, on essaie de se caser dans un "quango", on entre dans le gouvernement local, on acquiert l'habitude de dépenser l'argent des autres, et on apprend à manoeuvrer la machine politique. Tout cela peut s'obtenir sans prendre de risque ni jamais accomplir ce qui serait pour d'autres une bonne journée de travail. Dans une certaine mesure, de tels chemins vers la politique existent aussi à droite : on commence avec une sorte de vide moral élégant et on se présente comme un consultant - en d'autres termes, quelqu'un dont aucune entreprise n'a besoin avant qu'il n'apparaisse. Presque toutes les entreprises modernes sont recouvertes de ces parasites - consultants en management, consultants en relations publiques, consultants en "responsabilité sociale d'entreprise", etc., affairés à rappeler aux dirigeants les problèmes qui n'auraient jamais, autrement, traversé leur esprit. Pourtant, rien n'oblige à ce que ce processus produise une classe politique aussi détachée de l'humanité que celle que nous avons devant les yeux. Il doit y avoir des moyens pour un consultant de se frotter à la réalité de temps en temps, de façon à comprendre que nous vivons par et à travers nos attachements, et sommes perdus lorsqu'on nous les prend.
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