Quand La Muse rencontre Laurent Fuentès.
Une sensation étrange réveille Timéo : comme si une fourmi se promenait sur sa joue il remue la tête, quelque chose tombe sur son oreiller. Quelque chose de noir, de tout petit.
C’est un m. Un m minuscule.
Lorsque l’enfant pose le livre sur sa table de nuit, trois caractères dégringolent sur la moquette : un e, un u et un g majuscule.
D’autres caractères se sont déposés sur le drap durant la nuit. Il y a même un point et deux virgules.
- On dirait que mon livre fuit... constate Timéo, incrédule.
J'ai dû faire un air bizarre parce que je n'avais jamais imaginé qu'on puisse abandonner la lecture d'un livre. Pour moi, les livres, même les mauvais, sont auréolés de quelque chose de sacré. Il faut les terminer, comme si après avoir enclenché le processus de lecture nos yeux devaient aller au bout.
C'est comme les bébés qui apprennent à marcher. Certains y arrivent à dix mois, d'autres à seize. Au bout du compte, ils ne marchent pas plus mal que n'importe-qui. Le tout, c'est d'être patient. Le jour où tu auras le déclic, mon Ludo, tu vas faire un malheur sur les courts !
page 94 [...] La belle saison approchait.
Des sourires éclataient dans le ciel, effarouchant quelques nuages. Des nuées de volatiles inscrivaient sur le bleu des formules cryptées, éphémères, à l'intention des cartomanciennes et des rebouteux que la venue du printemps ne manquerait pas de déloger.
La rue devenait coquette. Son pavé brillait, l'angle de ses trottoirs luisait doucement sous le trottinement de la foule qui avait basculé sans se faire prier dans la saison nouvelle. La gorge des passantes mettait le nez aux fenêtres ; les messieurs arboraient des chandails près-le-corps pour bomber avantageusement le torse. Ce nonchalant défilé de poitrines aurait pu se poursuivre jusqu'à ce que l'été conduise les passants à révéler d'autres parties de leur anatomie. Mais le ciel, cette année-là, ne l'entendait pas de cette oreille. [...]
Monsieur Cabosse était tellement grand qu'il se cognait aux plafonds, aux portes, aux fenêtres...
Son crâne ressemblait à un champ de bosses.
Mattéo était entré dans une dimension où plus rien n'a d'importance, excepté le but. Une dimension où la vie devient fatale.
Du coin de l'oeil, je regardais Elias. Ce gars-là semblait en toutes circonstances épanoui. Si l'obscurité n'avait pas été totale la nuit précédente dans notre chambre, je suis sûr que je l'aurais vu sourire en dormant. Pour autant, il ne ressemblait pas au ravi de la crèche. Et son sourire n'était pas un rictus de circonstance, c'était autre chose. Ça venait de très loin, de très profond. Une façon d'être vivant, un souffle très puissant, une faculté qui normalement n'existe pas sur Terre.
Nous ne sommes pas tous égaux face aux petites contrariétés de la vie. Certains d'entre nous produisent des réactions excessives là où d'autres ne bronchent même pas.
Inexorablement, le livre perd ses caractères comme un arbre ses feuilles en automne.
J'adorais ! Cette méticulosité de l'écrivain...Toutes ces choses auxquelles il doit penser pour glisser le lecteur dans sa poche et l'entraîner où il veut. Et je me suis dit, pour la deux centième fois, que ce métier était le plus beau métier du monde.