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Citations de Sabine Sicaud (92)


Ah! laissez-moi crier, crier, crier...
Crier à m'en arracher la gorge,
Crier comme une bête qu'on égorge,
Comme le fer martyrisé dans une forge,
Comme l'arbre mordu par les dents de la scie,
Comme un carreau sous le ciseau du vitrier.
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Sabine Sicaud
La Vieille Femme De La Lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde ?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort... Nous fermerons les yeux à double tour...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Poèmes choisis (1913-1928)
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Sabine Sicaud
Le chemin de l'ormeau



J'ai rencontré l'ormeau.
Pas un ormeau célèbre,
Mais un ormeau sans ex-voto,
Tournant le dos à la route des hommes.

Sa colonne de bois, rugueuse, nue, énorme,
Quelqu'un l'a-t-il jamais serrée entre ses bras ?
Nous l'avions mesurée avec un fil de soie
La colonne de bois qui ne s'arrête pas
De grossir en silence.

Mais grossir - qui jamais voit grossir un ormeau ?
Tant de jours et de nuits , tant de soleil et d'eau,
De paix, d'oubli, de chance...tant et tant !
Entre les émondeurs, les chenilles, l'autan,
J'ai rencontré la Patience
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La vieille femme de la lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir!

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour!
On dort... Nous fermerons les yeux à double tour...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.
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Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.
Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.
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N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le coeur du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
Ne nie pas le soleil.
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Sabine Sicaud
Et que m'importe la coque de ton âme
qu'elle soit jeune ou vieille, épaisse ou fine;
que l'on t'appelle un homme ou une femme,
que tu sois une cloche,un gong ou le grelot
d'une source invisible,
j'entendrai bien le son.
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Le Chemin Des Chevaux.


N’as-tu pas un cheval blanc
Là-bas dans ton île ?
Une herbe sauvage
Croît-elle pour lui ?

Ah ! Comme ses crins flottants
Flottent dans les bras du vent
Quand il se réveille !
Il dort comme un oiseau blanc
Quelque part dans l’île.

J’ai beau marcher dans la rue
Comme tout le monde,
C’est l’herbe, l’herbe inconnue,
Et le cheval chevelu
Couleur de la lune,
Qui sont de chez moi, là-bas,
Dans une île ronde.

Caparaçonnés, au pas, au galop,
Je ne connais pas tes quatre chevaux.

Tu vas à Paris,
La chanson le dit,
Sur ton cheval gris.

Tu vas à La Haye
Sur la jument baie.

Tu vas au manoir
Sur le cheval noir.

Et je ne sais où
Sur le poulain roux.

Mais mon cheval blanc
Nuit et jour m’attend
Au seuil de mon île.
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Sabine Sicaud
La Châtaigne.

Peut-être un hérisson qui vient de naître?
Dans la mer, ce serait un oursin, pas bien gros. . .
Ici, la boule d’un chardon -peut-être
Ou le pompon sournois d’une bardane
Ou d’un cactus? Mais non, dans le bois qui se fane,
Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos,
Cette chose a roulé subitement, d’en-haut,
Comme un défi. . . parmi les feuilles qui se fanent.

Allez, j’ai bien compris. C’est la saison.
Les geais, à coups de bec, ont travaillé dans l’arbre.
Même les parcs où veillent, tout pensifs, les dieux de marbre,
Ont de ces chutes-là sur leurs gazons.

Marron d’Inde là-bas, châtaigne ici. Châtaigne
Rude et sauvage, verte encore, détachée
Par force de la branche où les grands vents, déjà, l’atteignent
Le vent et les geais ricaneurs, et la nichée
Des écoliers armés de pierres et de gaules….
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Sabine Sicaud
Le Chemin Des Hors-La-Loi.

C’est le chemin des Hors-la-loi
Sans pavés. Sans poteaux ni bornes.
Sans fils télégraphiques
En portées de musique.
Sans affiches rouges ou jaunes.
Sans rivière, sans pont du Roy,
Sans maisons, sans clochers, sans rien.
Un chemin sans troupeau ni chien
Sous une lune qui s’écorne
Toute seule au milieu du ciel.
Chemins, chemins habituels
Faits pour les gens en uniforme,
Vous nous menez chacun sait où.
Mais la lune a des complaisances
Pour les rebelles et les fous.
Et quand l’aventure commence
Elle transpose on ne sait où
Le petit chemin sans ornières,
Sans bannières et sans frontières,
Qui peut-être un jour fut à nous.
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Sabine Sicaud
La Chanson Du Petit Caillou.

On le croit silencieux: moi je sais qu'il chante.
Il chante, au bord du chemin, sa chanson de petit caillou.
Mais comme il chante à voix basse, les hommes, d'ordinaire,
n'en savent rien.
A-t-il appris dans la rivière, ou sur le barrage du ruisseau,
les secrets de l'eau qui court?
A-t-il appris le long de la route,
les secrets des êtres qui passent?
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J'ai rencontré le cèdre
Nous nous sommes tous les deux reconnus. Il m'a dit :
"C'est toi, toi que je sais, dont les bras sont enduits
de ma résine blanche, et dont les cheveux brillent
de mes fines aiguilles
et dons les poches craquent
de mes pommes de cèdre..."

Je n'ai rien dit.
Mais son odeur à lui,
d'encens, d'ambre et de cèdre,
est bien ce que je sais comme il sait tout le reste
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Je ne te connais pas, rose qui n’est pas rose,
Ni couleur de soleil, ni de rouge velours,
Ni d’un blanc de petite nonne, et qui me cause
Une anxiété vague, étrange rose.

Je ne te connais pas, je te sais quelque part,
Chez le fleuriste en vogue – à l’abri d’une serre –
Ou dans un parc trop beau comme avivé de fards
Et de sources factices – quelque part

Où l’abeille elle-même hésite, un peu craintive.
Jardiniers trop savants, que n’ont-ils fait déjà !
"L’églantier qui tendait vers moi ses branches vives,
Qu’en ont-ils fait ?" dit l’abeille craintive.

"Qu’en ont-ils fait ?"dit la cétoine au bonnet vert.
Et l’Amour nu, sur sa colonne, en pénitence,
Dit : "Qu’ont-ils fait de ce tendre univers
où librement des fleurs jonchaient les chemins verts ?"

Qu’ont-ils fait, qu’ont-ils fait de toi rose des haies ?
Trop somptueuse ou trop pâle soudain,
Chaque printemps déjà tu nous semblais moins vraie
dans la miraculeuse fête des jardins…

Et te voici du bleu convenu des turquoises,
du bleu des hortensias bleus, des lotus bleus,
des ciels trop bleus sur des porcelaines chinoises…
Te voici bleue, ô rose bleue ! et fausse un peu

Comme des yeux qui mentiraient, de beaux yeux lisses,
larges et fiers, baignés d’azur… et juin se glisse
dans le petit cœur frais des roses d’autrefois !

Et moi je songe au bleu de la sauge des bois,
aux bouquets ronds que brodaient, en couronne,
d’adorables myosotis, un brin fanés ;
aux bleuets des vastes champs blonds à moissonner ;
aux pervenches d’avril, aux clochettes d’automne ;

au muscari, qu’aigrettent des saphirs ;
au bleu d’insecte bleu des bourraches velues ;
aux gentianes dans les herbes chevelues…

Je songe à tous les yeux qui s’ouvrent pour offrir
tous les tons bleus de l’eau, de l’air, des pierreries :

au bleu de l’aconit, à la douceur fleurie
du lin candide, au regard clair du romarin…

à ce reflet de mer qu’ont les yeux des marins
et les houppettes des chardons le long des côtes…

Je songe à la chanson qui se chante à voix haute
ou si discrètement dans le creux des fossés…
Je songe à vous, je songe à vous, ô chanson bleue,
qui chantez en de pauvres cœurs et les bercez !

Je vous revois, jardinets de banlieue
avec ces visages de fleurs qui font penser
à des enfants dans une chambre ; je vous vois,
fenêtre à l’ombre où l’on cultive une jacinthe…

Et vous, champs de Harlem, brumes où tinte
le carillon d’autres jacinthes ; bleu de toits
drapés d’une glycine ; poudre fine
d’un épi de lavande au soleil des collines,

matins bleus, pays bleus, je vous reconnais bien,
d’ici, rien qu’aux parfums du vent qui passe…

… Et d’autres, mieux que moi, comme l’on se souvient,
se souviendront d’étés anciens, d’odeurs vivaces.

Mais quelqu’un dira-t-il, ô rose, infante bleue,
Dame étrangère qui surprend, même là-bas,
dans ces parcs où des paons royaux traînent leur queue,
dira-t-il qu’il te connaissait, Princesse bleue ?

Même poète, osera-t-il
Franchir la grille ou marchander la gerbe ?
tant de sentiers sont bleus, depuis avril,
d’un bleu tout simple… Osera-t-il ?

Et, même osant, que savoir d’une rose
qui n’est plus cette rose avec l’âme d’hier ?
– Le temps des dieux et des métamorphoses,
s’il revenait, pourtant, dame en bleu qui fut rose ?

Les Contes de Perrault ?… J’ai tant rêvé,
sais-tu, de baguettes magiques, de breuvages
transformant, pour la perdre ou la sauver,
la Belle dont un Prince avait rêvé…

J’ai tant rêvé, comme le Prince, que, peut-être,
sous ton déguisement, je te reconnaîtrais ?
Va, ce n’est pas ta faute… et l’on peut mettre
Une robe d’azur sans trop mentir, peut-être…

De l’orgueil ? On te croit de l’orgueil ? Je dirais :
"Ne devinez-vous pas qu’être une rose bleue
c’est être seule et triste ?…" Et le secret
de ton odeur perdue aussi, je le dirais,
pour qu’on t’accueille avec douceur, ma Rose…
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Sabine Sicaud
Thermidor.

Des lézards et des chats suis-je la sœur?
D’où me vient cet amour des pierres chaudes
Et de ce plein soleil où rôdent
Comme des taches de rousseur?

Insectes roux, lumière vive
Qui force les yeux à cligner;
Ample été dont on est baigné
Sans qu’un frisson d’air vous arrive!

La pierre brûle sous les doigts. Le sable en feu
Parle d’Afrique à l’herbe sèche.
Une odeur d’encens et de pêche
Parle d’Asie au cèdre bleu.

L’insecte: abeille, moucheron, cétoine,
Puceron fauve, agrion d’or,
Sur chaque brindille s’endort.
Il fait rouge sous les pivoines.

Il fait jaune dans les yeux clairs
Du lézard, mon frère, qui bâille.
Prends garde aux yeux clairs des murailles,
Insecte roux, brun, rouge ou vert!...

Et toi, lézard, prends garde aussi. . . prends garde
Au chat noir qui dort, à l’envers,
Paupière close et poings ouverts,
Une oreille molle en cocarde. . .

Savons-nous de quoi sont tigrés,
Jaspés, striés, vos regards d’ambre,
Frères dont s’étirent les membres
Sur ma pierre au lichen doré?

Je voudrais que ce soit du soleil en paillettes
Qui flambe seulement dans les petits lacs blonds
De vos yeux somnolents où midi se reflète!

Dans mes yeux qui sont bleus, même un peu gris au fond,
Mes yeux à moi, je sais bien ce que mettent
Les rayons d’un été me traversant le front.

Même les cils rejoints, même faisant de l’ombre
Avec mes doigts serrés devenus transparents,
C’est comme un incendie aux trous d’un rideau sombre!

Tout l’or des joailliers, des princes d’Orient,
Peuple mes yeux fermés d’étoiles qui s’obstinent. . .

Lézards, mes compagnons, chats dormants qu’hallucine
La ronde du soleil contre le mur ardent,
Me direz-vous jamais ce que voit en dedans
− Ce que voit dans la nuit qui descend en sourdine −
Votre œil clair de chasseurs que juillet hallucine?...
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Sabine Sicaud
Où, quand, sur quel chemin faut-il l’attendre et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours l’habillent de leur rêve ?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s’achève
Ou dans l’aube du rose avril ?
Ecartant les blés murs, paysanne aux mains brunes,
Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés
Vous, mères qui pleurez et vous, pêcheurs de lune ?
Est-elle retournée aux bois sacrés
Aux missels fleuris de légendes ?
Sort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés.
Dans les tiens, couleur de lavande
Doux Puvis de Chavannes ? ou, tiens
Peintre des songes gris, mystérieux Carrière ?
Où s’épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?
On ne sait pas. On ne sait pas.
Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu’importe. Il me convient
De n’entendre ce soir nulle parole vaine.
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Sabine Sicaud
Je vous ai tant aimé, Silence…

Cher vieux Silence, reposant comme une eau plane.

Vous ne me paraissiez jamais immense,
Jamais inquiétant — mais diaphane
Et doux autour de moi, rempart secret,
Tour invisible et sûre… Bon Silence,
Où l’on respire à l’aise et qu’on dirait
Peuplé des mille choses que l’on pense
Quand on est seul, un jour très beau…

Silence d’une rose au bord de l’eau,
D’un lézard au soleil, d’un fauteuil près du feu,
Du cadre sertissant un paysage bleu,
Je vous ai tant aimé…

Au vain bruit des paroles,
Comment s’accoutumer ?
Comment suivre l’étourdissante farandole
De mots parfois trompeurs et discordants
À travers tant de voix, tant d’accents, tant de cris,
Quand on vous a chéri,
Silence ?… Ah ! laissez-moi vous retrouver, gardant
Ce bienfaisant pouvoir des demi-rêves
Dans le royaume où les Images vivent !

Qu’une musique, en écho, nous arrive
Quand le rideau se lève,
Si vous voulez…

Mais laissez-moi, comme avec un ami,
Voir avec vous l’histoire merveilleuse
Que devient à mon gré chaque film déroulé.

Nous referons, s’il faut, des fins heureuses…
Nous irons jusqu’au bout de ce qu’auront promis
La fée ou l’enchanteur aux baguettes de lune.
Ici, tous les jardins aux fruits d’or sont permis !

Nous nous évaderons des phrases importunes…
L’écran tourne pour nous ses pages, une à une —
Pour nous, Silence aux yeux songeurs, Silence ami…
Dans le royaume où les images vivent…
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Chemins du Nord


Lorsque « je pâlissais au nom de Vancouver »
et que j’étais du Nord,
trop de froid traversait ma pelisse d’hiver
et mon bonnet de bêtes mortes.
Mes frères chassaient les oursons
jusqu’au fond des grottes de fées ;
du sang parlait sous leurs trophées,
les Tomtes* se cachaient, le vent hurlait aux portes
et la glace barrait les fjords
lorsque j’étais du Nord.
Murs blancs du froid, prison.
Je ne voyais jamais passer Nils Holgerson**.

Selma, Selma**, pourquoi m’aviez-vous oubliée ?
Il fallait naître à Morbacka, le jour de Pâques.
Je savais bien pourtant que j’étais conviée…


* Gnome bienveillant du folklore scandinave.
**Allusion à Selma Lagerlöf et à son roman le merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède (1906-07).
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Premières feuilles


Vous vous tendez vers moi, vertes petites mains des arbres,
Vertes petites mains des arbres du chemin.
Pendant que les vieux murs un peu plus se délabrent,
Que les vieilles maisons montrent leurs plaies,
Vous vous tendez vers moi, bourgeons des haies,
Verts petits doigts.

Petits doigts en coquilles,
Petits doigts jeunes, lumineux, pressés de vivre,
Par-dessus les vieux murs vous vous tendez vers nous.
Le vieux mur dit : « Gare au vent fou,
Gare au soleil trop vif, gare aux nuits qui scintillent,
Gare à la chèvre, à la chenille,
Gare à la vie, ô petits doigts ! »

Verts petits doigts griffus, bourrus et tendres,
Vous sentez bien pourquoi
Les vieux murs, ce matin, ont la voix de Cassandre.
Petits doigts en papier de soie,
Petits doigts de velours ou d'émail qui chatoie,
Vous savez bien pourquoi
Vous n'écouterez pas les murs couleur de cendre...

Frêles éventails verts, mains du prochain été,
Nous sentons bien pourquoi vous n'écoutez
Ni les vieux murs, ni les toits qui s'affaissent ;
Nous savons bien pourquoi
Par-dessus les vieux murs, de tous vos petits doigts,
Vous faites signe à la jeunesse !
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Sabine Sicaud
Le Cinéma.

Fatty Arbuckle et Charlie Chaplin, dans "Charlot et Fatty font la
bombe" (1914)
(Pour un vieux Monsieur
qui ne comprend pas le cinéma)


Vois, des fleurs s’ouvrent, des oiseaux t’invitent, vois:
Aux vergers d’Aladin s’emplissent des paniers. . .
Cueille des rêves, toi qui fus un prisonnier!
Ainsi qu’une arche de porphyre,
La muraille s’écarte. . . Évade-toi!
Il pleut, ou le vent souffle sur le toit,
Ou c’est juillet qui brûle, ou dans la rue,
C’est trop dimanche avec trop de gens qui bavardent,
Viens dans ce petit coin merveilleux et regarde. . .

Ici, l’heure vécue,
Même terrible − tous les drames sont possibles! −
N’est qu’à demi terrible,
Et te voilà, comme les tout-petits,
Riant, toi qui pleurais. . . Tu ris,
Toi, vieux, comme les écoliers que rien n’étonne.

Charlie est là. . . Charlie! Et Keaton, et Fatty,
Et pour ce bon rire, conquis
Sur toi-même, c’est le meilleur d’eux-mêmes
Qu’ils te donnent.

Art muet, soit. . . N’ajoute rien. Tu l’aimes,
Tu l’aimeras, quoi que tu dises, l’art vivant
Qui t’offre son visage neuf et son langage,
Ses ralentis, ses raccourcis, tous ses mirages,
Tous ses décors mouvants. . .
Près de ces gens qui, dans l’ombre, s’effacent,
Viens seulement t’asseoir, veux-tu, sans parti pris?
De la nuit d’une salle étroite, aux longs murs gris,
Regarde ce miracle: un film qui passe. . .
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Sabine Sicaud
Le Cinéma.

Fatty Arbuckle et Charlie Chaplin, dans "Charlot et Fatty font la
bombe" (1914)
(Pour un vieux Monsieur
qui ne comprend pas le cinéma)

Trou d’ombre. Grotte obscure, où l’on sent, vaguement,
Bouger des êtres. La pâleur de l’écran nu
Comme une baie ouverte, au fond, sur l’inconnu. . .
Musique en sourdine, tiédeur, chuchotements,
Odeur de mandarine,
De sucre d’orge et d’amandes grillées.
Attente, carillon d’un timbre qui s’obstine,
Petite danse de lueurs éparpillées.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Puis, coup de soleil brusque. Le mystère
De ce carré de neige s’animant.
Floraisons de jardins, pics, fleuves, coins charmants,
Coins tragiques, villes, forêts, la vaste terre. . .
La vaste terre, et le ciel vaste, et la magie
De visages parlant des yeux, des lèvres,
Sans la voix.

Gestes précis, calme, énergie
Ou nerfs qui cèdent, Fièvres,
Bonheurs et désespoirs. Des paroles, pourquoi?
Un sourire, une larme,
Un battement de cils. . .
L’émotion n’est pas dans le vacarme.
Une ligne, des points. . . voici le fil
Du roman triste ou gai qui se déroule.

Aimes-tu voir les hommes s’agiter?
Assis, tu regardes la foule.
Aimes-tu le désert? Tu le parcours, l’été,
Sous un torrent de feu, sans autre peine
Que de laisser pour toi marcher les sables. . . Plaines,
Montagnes, mers, te livrent leurs secrets,
Et le pôle est si près
Que Nanouk l’Esquimau l’accueille en frère;
Et la jungle est si près
Que tu t’en vas avec le chasseur de panthères. . .
Ô beaux voyages que jamais tu ne ferais!

Tous les héros, tu les connais,
Ceux de l’Histoire et ceux de la légende;
Tous les contes des Mille et une nuits,
− Les contes d’autrefois, ceux d’aujourd’hui −
Et les temples, et les palais,
Et les vieux bourgs où les clairs de lune descendent. . .
Tu les connais. . . Tu les connais, toi, prisonnier,
Peut-être, de murs gris, de choses grises, toi
Dont la vie est grise ou pire. . .
...
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