Citations de Samuel Benchetrit (238)
Ce n'est pas la mort des gens qui nous fait tant de peine, c'est la partie de nous qu'ils emportent en mourant.
J’ai aimé. Tu m’as donné envie d’aimer. J’ai aimé comme tu as aimé. J’ai aimé comme tu m’as aimé. J’ai aimé comme tu m’as appris à aimer. J’ai aimé comme je t’ai vu en aimer d’autres. J’ai aimé sans arrêter de t’aimer.
J’ai assisté à son effacement de toi. Alzheimer de l’enfance. Il a perdu ton corps. Sa chaleur. Tes mains à la fin. Ton allure. Ton odeur. Les sorties de classe maternelle. Le goût de ta cuisine. Un câlin. Ton regard. Ta voix. Tu ne réapparais que par la lumière. À l’adieu au corps, c’est d’abord les saisons. Tu es l’hiver ou l’été. Puis le printemps après quelques années. À l’intérieur des mois. Échouée au milieu des nuits. Des heures lumineuses qui entourent midi. Aux journées vides. Aux grains des secondes. Le souvenir de ta lumière marquera un autre temps.
Je ne connaissais qu’une magie noire pour qu’une femme ne nous quitte jamais vraiment : la faire vivre en soi, garder intact dans notre mémoire le plus beau sourire qu’elle nous ait adressé, son parfum et la douceur de sa peau.
Les vivants font plus de signes aux morts que les morts n'en font aux vivants. On a des cloches et des fêtes. Vous ne faites rien pour nous. Enfin, je crois. Juste de la peine et occuper les souterrains.
J'ai pris l'avion un soir, et je me suis retrouvé assis à côté d'un homme plutôt âgé, calme et distingué. Je buvais beaucoup, il me l'a fait remarquer? Je lui ai raconté ma vie, sans filtre, comme on le fait dans ces moments. Il m'écoutait sans perdre un léger sourire, de complicité et d'attention.
A la fin, il m'a dit:
- Mais votre fils est un super-héros!
- Pardon?
- Tous les super-héros sont orphelins, j'ai remarqué ça ... Batman, Spider-man, Harry Potter ... Il faut deux traumatismes pour qu'ils développent leurs pouvoirs... Le premier à l'enfance, la perte d'un parent... Le second, plus tard, à l'adolescence.
En arrivant à l'aéroport, je me précipite dans une cabine pour appeler notre fils. Je lui raconte la théorie du super-héros, ça lui plaît beaucoup. Et je crois qu'il part de bonne humeur à l'école.
Plus tard, lors d'une réunion, la maîtresse ne me remerciera pas d'avoir poussé certains élèves à souhaiter la mort de leurs parents pour ressembler à notre fils.
Y a des trucs, faut les dire, faut que ça sorte, sinon, on se fabrique des boules dans le ventre qui finissent par exploser.
Vautré dans un nouveau fauteuil, je voyais la fin du film pris en cours et son long générique final. Pourquoi tous ces noms ? Rarement lus ou si vite oubliés. Si vous achetez une armoire, il n' y a pas écrit les noms de chaque personne qui a servi à sa fabrication.( p 49/50)
Le lendemain soir, en fumant ma cigarette, je regardais le terrain vague, et deux gamins qui essayaient de faire rouler un vélo abandonné à une seule roue. Je me dis que les terrains vagues étaient des sortes de théâtres à représentation unique et aux spectacles parfois étonnants.
Ce n'est pas la mort des gens qui nous fait tant de peine, c'est la partie de nous qu'ils emportent en mourant.
J’avais déjà vu ce genre de scènes dans les films. Et depuis plus d’un siècle maintenant, la vie empruntait beaucoup au cinéma. Particulièrement dans la haine et l’amour. L’héroïsme et la bassesse.
Les gens qui souffrent vous manquent même quand ils sont là.
- T'es sympa mais je peux pas ce soir ... Je vais dormir chez Cathy Frementa, elle m'a invité à passer la nuit, et j'ai pas pu refuser si tu vois ce que je veux dire.
Un peu que je voyais ce qu'il voulait dire.
Cathy Frementa.
La plus belle femme de l'univers.
Tout le monde rêvait d'aller dormir chez Cathy Frementa, et je crois même que si elle nous avait proposé de nous vautrer en chien de fusil sur son paillasson, les trois quarts du quartier se seraient jetés dessus.
.... Il n'y avait pas d'homme chez les Frementa, juste trois femmes. Trois beautés qui sentaient le sexe à des kilomètres et qui rendaient dingues trois générations de types dans les alentours.
Tout était en moi et c’était pourtant l’endroit où je me perdais le plus.
Mon fils devait être à la moitié de sa traversée. Quelque part au milieu de l'Atlantique.
Nous avions dormi dans le même lit, les mêmes maisons, vécu à quelques centimètres l'un de l'autre. A présent, je devais me contenter de savoir que nous étions juste sur la même planète.
Je luttais, depuis toujours, contre un énorme problème de mélancolie immédiate. J’identifiais en temps réel les moments réjouissants de ma vie, et arrêtais net d’en profiter, pour me déplacer dans le futur et imaginer comment ils me manqueraient lorsque je ne les vivrais plus.
Ce que l'on imagine est rarement la réalité. On est souvent déçu. Ce que l'on croit immense est juste grand. Ce que l'on rêve magnifique est juste beau. Et la télévision y est pour beaucoup de cette extrapolation.
Mais la télévision est un mensonge, et le monde la vérité.
J.-F. c'était un démodé. Des trains il avait dû en rater toute sa vie. Des gares, il ne devait connaître que des quais déserts. Il avait bien cinquante ans de retard.
Il faut vivre au présent qu’ils disent dans les livres de sagesse des grands magasins. Mais rien ne brûle plus que le présent. Je foutrai le feu à leurs hangars de conserve, et quand tout aura cramé, installé dans un box du tribunal, je leur dirais de lire les livres qu’ils vendent. La peine de l’amour efface la musique, la mer, les saisons, l’ivresse, la faim, les gens, les pays, l’enfance.
Il y a tant d’amour chez ceux qui se mutilent. Je ne regarde pas les fesses ou le vert émeraude des pupilles, je cherche les coupures, les entailles et les peaux trouées.