AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Selva Almada (118)


Le vent se faufile entre les arbres et tout est si silencieux à cette heure que le murmure des feuilles grandit comme la respiration d’un animal immense. Il écoute sa respiration. Un souffle. Les branches remuent comme des côtes, se gonflent et se dégonflent avec l’air qui s’introduit dans les entrailles.
Ce ne sont pas seulement des arbres. Ou des mauvaises herbes.
Ce ne sont pas seulement des oiseaux. Ou des insectes.
Le quitilipi n’est pas un chat sauvage, même s’il en a l’air, parfois.
Ce ne sont pas des cochons d’Inde. C’est ce cochon d’Inde-là.
Ce serpent yarara.
Cette plante caraguata, unique, avec son cœur rouge comme le sang d’une femme.
S’il étend son regard, dans la direction où la rue descend, il parvient à voir le fleuve. Un éclat qui mouille les yeux. Et là encore : ce n’est pas un fleuve, c’est ce fleuve-là.
Commenter  J’apprécie          120
Ils pénètrent dans la forêt d'un pas décidé. Dans l'humidité de la brise qui monte du fleuve. Tout est noir mais, comme les chats, ils se déplacent mieux dans l'obscurité. Ils connaissent le nom de chaque oiseau à son cri ; le nom de chaque arbre à l'écorce du tronc, de chaque plante à la taille ou à la dureté de ses feuilles. Ils évoluent dans la forêt comme dans leur maison. Ils savent où poser le pied pour ne pas déranger les couleuvres. Pour que le scorpion ne les pique pas. La forêt les connais depuis qu'ils sont tout gamins. Plus d'un a été engendré là, plus d'un y est né, entre les saules, les aulnes, les acacias ou les lapachos roses. Puisque les joncs et les massettes leur ont tenu lieu de berceau. Ils sont nés et ont grandi sur l'île. Le fleuve les a baptisés.
Commenter  J’apprécie          120
Le paysage était désolé. De temps en temps sur un arbre rabougri au feuillage irrégulier, il y avait un oiseau, tellement immobile qu'il avait l'air d'avoir été empaillé.
Commenter  J’apprécie          110
Parfois les rêves sont des échos du futur.
Commenter  J’apprécie          100
Je quitte les lieux à six heures tapantes. A peine ai-je franchi le portail que j'entends des bruits derrière moi. Ce doit être la responsable, je suppose, mais je ne me retourne pas pour le vérifier.
On dit que quand on quitte un cimetière, on ne doit regarder derrière soi sous aucun prétexte.
Commenter  J’apprécie          100
Quand il l'entendait, cette musique-là, oui, il la trouvait jolie. Quand il l'entendait, son coeur se serrait. Cette musique-là ne donnait pas envie de danser mais de rester immobile, les yeux fixés sur la route.
- Mets ça dans tes oreilles, dit Leni, et elle lui mit un écouteur.
Elle glissa l'autre écouteur dans son oreille à elle.Tapioca la regarda. La jeune fille sourit et appuya sur un bouton. La musique, au début, le fit sursauter : elle n'avait jamais été aussi proche, il avait l'impression qu'elle retentissait à l'intérieur même de sa tête. Elle ferma les yeux et il l'imita. Il s'habitua tout de suite à la mélodie, elle ne semblait plus venir de l'extérieur. C'était comme si la musique jaillissait à l'intérieur même de ses entrailles.
Commenter  J’apprécie          100
Enero Rey est debout sur son bateau, les jambes écartées, son corps est massif, imberbe, il a le ventre gonflé, il fixe la surface de l'eau et attend, un revolver à la main. Sur le même bateau, Tilo, le jeune homme, est cambré, l'extrémité de la canne appuyée sur sa hanche, il fait tourner le moulinet, tire sur le fil : c'est un cordeau de lumière contre le soleil qui décline. Negro, la cinquantaine, comme Enero, n'est pas sur le bateau mais dans le fleuve même, l'eau lui arrive aux testicules, son corps est également cambré, le soleil et l'effort font rougir son visage, tandis qu'il déroule et enroule le fil, sa canne forme un arc. La petite roue du moulinet tourne, sa respiration est celle d'un asthmatique. Le fleuve est immobile.
Commenter  J’apprécie          90
Les Tamai s’étaient mariés très jeunes, alors qu’ils attendaient déjà leur premier enfant. Avant de dire oui au prêtre, Celina avait dit oui à son fiancé, à l’urgence de ses baisers qui laissaient sur son cou et ses épaules plein de petites marques violacées. Et c’était aussi une manière d’envoyer balader son père, qui s’opposait à leur relation.
Leur première fois a été désagréable et douloureuse, loin des romans à l’eau de rose de Corín Tellado qui alimentaient ses rêves d’adolescente. C’était en plein bal, sur la piste du Hongrois. Au moment où le disc-jockey a cessé de mettre des chansons à la mode pour passer des milongas et des chamamés afin de réveiller les couples plus âgés, les mères et les vieilles tantes qui jouaient les chaperons, juste avant le groupe qui devait jouer ce soir-là.
Soudain, Tamai a pris Celina par le bras et il l’a emmenée dehors. Ils sont sortis dans la nuit chaude et se sont faufilés entre les voitures garées là. Furtivement, elle a vu des bras et des jambes s’agiter dans des voitures, flous, derrière des vitres embuées : des jeunes filles privilégiées, qui avaient au moins un espace privé pour se donner.
Ils ont gagné un endroit où il y avait quelques arbres et Tamai l’a collée contre un tronc. Elle a senti l’écorce âpre râper son dos, que sa petite robe à bretelles laissait dénudé. Dans une main, elle serrait sa culotte ; elle a mordu son autre main pour ne pas crier quand il s’est retrouvé entièrement en elle.
Quand ils eurent terminé, elle a remis ses vêtements, troublée. Lui, haletant, s’est adossé à l’arbre, a allumé une cigarette, l’a attirée à lui, puis il l’a embrassée sur le front avant de murmurer :
– Quand on fait ça debout, on ne risque pas de tomber enceinte.
Commenter  J’apprécie          90
Telle est peut-être ta mission : rassembler les os des jeunes filles, les recomposer, leur donner une voix pour les laisser ensuite courir librement quel que soit l'endroit où elles doivent se rendre.
Commenter  J’apprécie          90
De temps en temps, ils pénétraient dans la forêt pour observer ce qui s'y passait. La forêt était comme une grande entité où la vie bouillonnait. Un homme pouvait apprendre tout ce qu'il lui fallait rien qu'en observant la nature. Là-bas, dans la forêt, tout était sans cesse en train de s'écrire comme dans un livre à la sagesse inépuisable. Le mystère et sa révélation. Tout y était, si l'on apprenait à écouter et à voir ce que la nature avait à dire et à montrer.
Commenter  J’apprécie          90
Tous les trois sont déjà des hommes. Pas des gamins, comme Tilo en ce moment. Des hommes qui approchent de la trentaine. Célibataires. Ils n’allaient pas se marier. Aucun d'entre eux n'allait se marier. Jusqu'à ce jour, du moins, aucun d’entre eux n'allait se marier. Pour quoi faire. Ils étaient là les uns pour les autres. Et quand ce n'était pas le cas, Enero avait sa mère; Negro avait ses sœurs, qui l'ont élevé; Eusebio pouvait avoir qui il voulait. Alors à quoi bon se maquer avec une fille, puisqu'il pouvait les avoir toutes. Alors, à trente ans, tous les trois sous le soleil du rivage.
Commenter  J’apprécie          80
Enero Rey se réveille, sa vessie est pleine. Il dort à l'extérieur de la tente, sur matelas installé sous les arbres, sous le ciel étoilé. Il se lève et s'approche de la côte. Le jet sort comme une bénédiction, il percute l'eau. Enero lève la tête, le bâillement lui ouvre la bouche. Toutes ces étoiles donnent le tournis. La lune est encore intense au coeur de la nuit.
Il finit, secoue sa bite, la remet dans son short. Il bâille de nouveau. Cette fois, en bêlant. Il n'a pas assez de force pour hurler.
Tu n'es plus un loup-garou mais un mouton, Enero.
Commenter  J’apprécie          80
Une bonne bière, je mérita au moins ça.
Dit Enero.[...]
Tilo s'avance, il ouvre la glacière et sort une bière de l'eau glacée où flottent quelques glaçons. Il la débouche à l'aide de son briquet et la lui tend, pour que ce soit lui, Enero Rey, celui qui la mérite, qui y colle ses lèvres en premier. La bière coule dans sa bouche, rien que de la mousse qui s'échappe de ses lèvres dessinant un feston blanc sur sa moustache très noire. C'est comme se faire des bains de bouche avec du coton. C'est seulement après la deuxième gorgée qu'arrive le liquide froid, amer.
Negro et Tilo s'assoient également, ils sont en rang d'oignons, ils se passent la bouteille.
Dommage, on n'a pas d'appareil pour se prendre en photo.
Dit Negro.
Commenter  J’apprécie          80
Cachito était jaloux et il insultait sa petite amie à tout bout de champ, parce qu'elle se maquillait, parce qu'elle portait des vêtements moulants ou alors parce qu'il l'avait vue parler à un autre garçon.(p.45)
Commenter  J’apprécie          80
Méfiez-vous des mots forts comme des mots jolis. Méfiez-vous de la parole du patron comme de celle de l’homme politique. Méfiez-vous de celui qui dit être votre père ou votre ami. Méfiez-vous de ces hommes qui prétendent parler à votre place et dans votre intérêt.
Commenter  J’apprécie          80
L'assassinat avait eu lieu dans l'intimité d'une maison de famille mais il était exposé aux yeux de tous, comme un crime de rue.
Commenter  J’apprécie          70
Je ne savais pas qu'on pouvait tuer une femme parce qu'elle est une femme, mais j'avais entendu des histoires qu'avec le temps j'ai mises bout à bout. Des anecdotes qui n'avaient pas conduit à la mort, mais qui révélaient la misogynie, les abus, le mépris dont les femmes sont victimes.
Commenter  J’apprécie          61
Ça se passait toujours comme ça dans le coin. D'abord le châtiment de la sécheresse, puis celui de la pluie. Comme si la région avait toujours besoin d'être châtiée. On ne lui lâchait jamais la bride.
Commenter  J’apprécie          60
Le vent apporte la soif qui nous a assaillis durant toutes ces années.
Le vent apporte la faim de tous les hivers.
Le vent apporte la clameur des vallées, des champs, du désert.
Le vent apporte le cri des femmes et des hommes fatigués de n'avoir que les restes de leurs patrons.
Le vent arrive, il a la force des temps nouveaux.
Le vent rugit, il forme des tourbillons dans la terre.
Nous sommes le vent et le feu qui dévastera le monde grâce à l'amour du Christ.
(exergue)
Commenter  J’apprécie          50
Negro pénètre dans la forêt. Le tee-shirt sur l’épaule, il fait de grands pas, mais lents. Ici, tout est pénombre. Dehors, c’est le soleil, une boule de feu qui s’éteint dans le fleuve. On entend des bruits d’oiseaux, de petits animaux. Un bruissement d’herbes. Des cobayes, des belettes, des lièvres se faufilent dans les broussailles. Negro avance prudemment, avec respect, comme s’il pénétrait dans une église. Léger, comme une biche. Mais voilà qu’il marche sur une branche très fine ou sur une poignée de gousses de curupí, et c’est le tapage. Le bruit des gousses sèches enfle entre les troncs des aulnes et des timbós, il monte, s’échappe du cercle compact de la forêt. Il sonne l’alerte, il y a un intrus.
Cet homme n’appartient pas à cette forêt et la forêt le sait. Mais elle le laisse faire. Qu’il s’introduise, qu’il reste le temps nécessaire pour ramasser du bois. Quand il aura fini, c’est la forêt elle-même qui va l’expulser, les bras chargés de branches, de retour vers le rivage.
Commenter  J’apprécie          50



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Selva Almada (286)Voir plus

Quiz Voir plus

Compléter les titres

Orgueil et ..., de Jane Austen ?

Modestie
Vantardise
Innocence
Préjugé

10 questions
20261 lecteurs ont répondu
Thèmes : humourCréer un quiz sur cet auteur

{* *}