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Citations de Selva Almada (118)


À peine sorti de la forêt, Negro s’arrête pour prendre un peu l’air. Il les voit assis, ils sont à égale distance les uns des autres. Tilo, un garçon qui ressemble à ce qu’ils ont été. Enero, un homme comme lui, en train de vieillir, comme lui. À quel moment ont-ils cessé d’être comme ci pour devenir comme ça ?
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Personne ne nous avait dit qu’on pouvait se faire violer par son propre mari, par son père,par son frère, son cousin, son voisin, son grand-père, son instituteur. Par un homme en qui on avait confiance. p.44
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Le vent se faufile entre les arbres et tout est si silencieux à cette heure que le murmure des feuilles grandit comme la respiration d’un animal immense. Il écoute sa respiration. Un souffle. Les branches remuent comme des côtes, se gonflent et se dégonflent avec l’air qui s’introduit dans les entrailles.
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Dans certaines civilisations anciennes, on croyait que l’âme vivait dans les yeux, tu sais ? Les amants échangeaient leurs âmes par le regard : je te donne mon âme, tu me donnes la tienne. Mais quand on cessait d’aimer quelqu’un, on récupérait son âme tout en gardant celle de l’autre.
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Depuis notre plus jeune âge, on nous apprenait que nous ne devions pas parler à des inconnus et que nous devions faire attention au Satyre. Le Satyre était une entité aussi fantastique que, dans la petite enfance, le farfadet qu'on nomme la Solapa ou encore l'Ogre au Sac. C'était l'être qui pouvait te violer si tu étais toute seule à une heure indue ou si tu t'aventurais dans des coins déserts. Celui qui pouvait surgir soudain et te traîner de force sur un chantier. Personne ne nous avait dit qu’on pouvait se faire violer par son propre mari, par son père, par son frère, son cousin, son voisin, son grand-père, son instituteur. Par un homme en qui on avait confiance
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Le mécanicien toussa et cracha quelques glaires.
– Mes poumons sont pourris, dit-il, tandis qu’il passait le revers de sa main sur ses lèvres et se penchait une nouvelle fois sous le capot ouvert.
(Incipit)
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Sarita aussi a travaillé depuis l’enfance. Elle n’avait pas le choix car sa famille était très pauvre. Avant de se marier, elle a travaillé comme femme de ménage au domicile d’un médecin. Elle y était bien traitée, presque comme la fille de la maison, ils l’ont même encouragée à faire des études. Mais elle est tombée enceinte et elle s’est mariée. Elle était trop jolie pour que son mari lui demande de travailler de nouveau comme femme de ménage. Tant de beauté gâchée dans les vapeurs des produits d’entretien. Alors il lui a demandé de se prostituer.
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Tu connais l’histoire de la Huesera ?
Je fais non de la tête.
C’est une vieille, très vieille dame qui vit dans le recoin de l’âme. Une vieille femme sauvage qui caquète comme les poules, chante comme les oiseaux et émet des sons plus animaux qu’humains. Son rôle est de ramasser les os. Elle rassemble et garde tout ce qui risque de se perdre. Sa cabane est remplie de toutes sortes d’os d’animaux. Mais elle aime par-dessus tout les os de loup. Pour les trouver, elle peut parcourir des kilomètres et des kilomètres, grimper sur des montagnes, franchir des ruisseaux à gué, brûler la plante de ses pieds sur le sable du désert. De retour dans sa cabane avec une brassée d’os, elle compose un squelette. Quand la dernière pièce est en place et que la figure du loup étincelle devant elle, la Huesara s’assoit près du feu et pense à la chanson qu’elle va chanter. Une fois que sa décision est prise, elle lève les bras au-dessus du squelette et commence son chant. A mesure qu’elle chante, les os se couvrent de chair, la chair de peau et la peau de poils. Elle continue à chanter et la créature prend vie, commence à respirer, sa queue se tend, elle ouvre les yeux puis, d’un bond, quitte la cabane. Lors de sa course vertigineuse, à un moment, soit en raison de la vitesse, soit parce qu’elle pénètre dans les eaux d’un ruisseau pour le traverser, soit parce que la lune blesse directement l’un de ses flancs, le loup devient une femme qui court librement vers l’horizon, riant aux éclats.
Telle est peut-être ta mission : rassembler les os des jeunes filles, les recomposer, leur donner une voix pour les laisser ensuite courir librement quel que soit l’endroit où elles doivent se rendre.
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On avait déjà fait le trou. Il a vu, ou il a cru voir, des vers de terre longs et roses entre les mottes de terre fraîche. Ils auraient fait un bel appât.
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Avant de se marier, elle a travaillé comme femme de ménage au domicile d’un médecin. Elle y était bien traitée, presque comme la fille de la maison, ils l’ont même encouragée à faire des études. Mais elle est tombée enceinte et elle s’est mariée. Elle était trop jolie pour que son mari lui demande de travailler de nouveau comme femme de ménage. Tant de beauté gâchée dans les vapeurs des produits d’entretien. Alors il lui a demandé de se prostituer.
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Quand nous parlions de la femme du boucher Lopez. Ses filles allaient à l’école avec moi. Elle l’a accusé de viol. Depuis longtemps, en plus de la frapper, il abusait d’elle sexuellement. J’avais douze ans et cette nouvelle m’avait profondément marquée. Comment pouvait-elle se faire violer par son mari ? Les violeurs étaient toujours des hommes inconnus qui attrapaient une femme et l’emmenaient dans un terrain vague, ou alors qui pénétraient chez elle en forçant la porte. Depuis notre plus jeune âge, on nous apprenait que nous ne devions pas parler à des inconnus et que nous devions faire attention au Satyre. Le Satyre était une entité aussi fantastique que, dans la petite enfance, le farfadet qu’on nomma la Salopa ou encore l’Ogre au Sac. C’était l’être qui pouvait te violer si tu étais toute seule à une heure indue ou si tu t’aventurais dans des coins déserts. Celui qui pouvait surgir soudain et te traîner de force sur un chantier. Personne ne nous avait dit qu’on pouvait se faire violer par son propre mari, par son père, par son frère, son cousin, son voisin, son grand-père, son instituteur. Par un homme en qui on avait confiance.
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Quand le fleuve l’a aspiré, Eusebio a dû ouvrir les yeux dans une épaisseur noire comme celle-là. A-t-il fini par voir la lumière ? Il se souvient de ses yeux sortis de leurs orbites, quand ils ont récupéré le corps. Comme si, juste avant de mourir, il avait vu quelque chose de tellement immense que son regard n’a pas suffi à le saisir entièrement.
Mais, qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Quelque chose de trop immense, oui.
Mais trop horrible, aussi ?
Ou bien trop beau.
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Enero Rey est debout sur son bateau, les jambes écartées, son corps est massif, imberbe, il a le ventre gonflé, il fixe la surface de l’eau et attend, un revolver à la main. Sur le même bateau, Tilo, le jeune homme, est cambré, l’extrémité de la canne appuyée sur sa hanche, il fait tourner le moulinet, tire sur le fil : c’est un cordeau de lumière contre le soleil qui décline. Negro, la cinquantaine, comme Enero, n’est pas sur le bateau mais dans le fleuve même, l’eau lui arrive aux testicules, son corps est également cambré, le soleil et l’effort font rougir son visage, tandis qu’il déroule et enroule le fil, sa canne forme un arc. La petite roue du moulinet tourne, sa respiration est celle d’un asthmatique. Le fleuve est immobile.
Fatiguez, fatiguez-la. Tirez sur le fil, tirez. Faites-la décoller, décoller.

(Incipit)
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Il les voit aussi sur le corps d'Enero. Son dos est noir de moustiques. Il le voit lever ses deux bras épais, les remuer lentement comme les pales d'un ventilateur, éloigner les moustiques grâce à ce mouvement sans faire couler ne serait-ce qu'une goutte de sang. Quelque chose dans ce geste l'émeut. Quelque chose dans l'image des deux amis, le jeune homme et l'homme d'âge mûr, l'émeut. Il sent que le feu de l'après-midi lui caresse la poitrine, à l'intérieur.
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D’après le témoignage de sa mère, quand le vent est devenu plus fort et qu’elle est entrée dans la chambre de sa fille pour fermer la fenêtre, Andrea était déjà endormie. Il était minuit passé. La mère a fini de regarder un film qui passait dans ‘Séance privée’, une émission mythique des années 80, animée par Carlos Morelli et Romulo Berruti. On passait un vieux film puis deux présentateurs le commentaient en buvant du whisky. Cette nuit-là c’était ‘Fumée de marihuana’, un film de Lucas Demare qui avait une vingtaine d’années. Le film ne l’intéressait pas mais comme elle n’avait pas envie de dormir elle l’a regardé jusqu’à la fin. Elle a éteint la télé sans attendre les commentaires de Morelli et Berruti, puis elle s’est endormie.
Un peu plus tard, elle s’est réveillée puis s’est levée, est allée dans la chambre de ses filles et a allumé la lumière. Andrea était toujours couchée mais il y avait du sang dans son nez. D’après ce qu’elle a dit, elle est restée pétrifiée, sur le seuil, et a crié pour appeler son mari, deux ou trois fois.
Viens, il arrive quelque chose à Andrea.
Il a pris le temps de passer un pantalon et une chemise en toile avant de pénétrer dans la chambre. Il a soulevé Andrea par les épaules et du sang a coulé de sa poitrine.
L’autre lit, celui de Fabiana, n’avait pas été défait et demeurait vide. L’orage battait son plein. Aux puissantes rafales de vent s’ajoutait la pluie, le toit en zinc résonnait comme sous une fusillade.
Andrea a dû se sentir perdue quand elle s’est réveillée pour mourir. Ses yeux, qui se sont ouverts d’un coup, ont dû cligner de nombreuses fois, durant deux ou trois minutes, avant que l’oxygène ne cesse d’alimenter son cerveau Perdue, troublée par le martèlement de la pluie et par le vent qui brisait les branches les plus finies des arbres de la cour, étourdie par le sommeil, complètement déphasée.
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Le mécanicien toussa et cracha quelques glaires.
-Mes poumons sont pourris, dit-il, essuyant sa main sur sa bouche et se penchant en arrière sous le capot ouvert.
Le propriétaire de la voiture s' essuya le front avec un mouchoir et a glissa sa tête à côté de celle du mécanicien. Il ajusta ses lunettes fines et regarda l’amas de tuyaux brûlants. Puis il regarda le mécanicien d'un air interrogateur.
-Il va falloir que les tuyaux refroidissent un peu.
-Vous pouvez la réparer ?
-Je pense, oui.
-Et ça va mettre combien de temps ?
Le mécanicien se redressa-il le dépassait, d'une bonne tête-puis il leva les yeux au ciel. Bientôt il serait midi.
-En fin d'après midi elle sera prête je suppose.
-Il faudra que nous attendions ici.
-C'est comme vous voulez. On n'a pas le confort comme vous voyez...
-Nous préférons attendre ici. Avec l'aide de Dieu, vous allez peut-être finir plus tôt que vous ne le pensez.
(Incipit)
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Negro pénètre dans la forêt. Le tee-shirt sur l'épaule, il fait de grands pas, mais lents. Ici, tout est pénombre. Dehors, c'est le soleil, une boule de feu qui s'éteint dans le fleuve. On entend des bruits d'oiseaux, de petits animaux. Un bruissement d'herbes. Des cobayes, des belettes, des lièvres se faufilent dans les broussailles. Negro avance prudemment, avec respect, comme s'il pénétrait dans une église. Léger, comme une biche. Mais voilà qu'il marche sur une branche très fine ou sur une poignée de gousses de curupi, et c'est le tapage. Le bruit des gousses sèches enfle entre les troncs des aulnes et des timbos, il monte, s'échappe du cercle compact de la forêt. Il sonne l'alerte, il y a un intrus.
Cet homme n'appartient pas à cette forêt et la forêt le sait. Mais elle le laisse faire. Qu'il s'introduise, qu'il reste le temps nécessaire pour ramasser du bois. Quand il aura fini, c'est la forêt elle-même qui va l'expulser, les bras chargés de branches, de retour vers le rivage.
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Ma meilleure amie, je me souviens, travaillait comme garde d'enfants depuis ses dix ans, elle avait commencé alors qu'elle était à peine plus âgée que les enfants qu'elle gardait. Ma mère aussi avait commencé à travailler très jeune, c'est pour ça qu'elle refusait que nous le fassions. Moi, bizarrement, j'étais un peu jalouse de la situation de mon amie: elle touchait un salaire, petit, certes, mais c'était quand même un salaire, elle avait son propre argent: elle avait des responsabilités, elle passait de nombreuses heures hors de chez elle et en plus elle allait à l'école er avait de bonnes notes, comme moi. A mes yeux, mon amie était supérieure, c'était une degourdie, elle avait de l'expérience.
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Maintenant, il est tout en bas, ça bourdonne dans sa tête et le ciel est si blanc qu'on a mal rien qu'à le regarder. Ce n'est qu'une lumière aveuglante, comme dans les films de science-fiction qu'il allait voir avec ses potes, aux matinées du cinéma Cervantès. Il est fatigué. Trop de fête, pense-t-il. Allez, bouge-toi, secoue-toi donc un peu. Il veut fermer les yeux pour voir si sa tête va cesser de tourner. Il commence à baisser les paupières mais, soudain, il comprend ce qui est en train de se passer alors il les ouvre autant qu'il peut, il déploie des efforts surhumains pour garder ses yeux ouverts car il a enfin pigé, il est en train de crever.
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Andrea n’a pas été obligée de travailler depuis l’enfance. La seule personne qui travaillait chez elle, c’était son père. Dans une usine frigorifique. Elle, elle pouvait faire des études car son fiancé les lui payait. S’il n’avait pas été là, Andrea aurait peut-être fini par travailler chez Vizental, comme la plupart des jeunes de San José, qui, après avoir fini l’école secondaire, et parfois même avant, s’inscrivaient sur une liste d’attente. Standardiste ou secrétaire. Andrea, comme elle était jolie, aurait trouvé un poste dans l’administration. Bien habillées, bien coiffées, sentant toujours bon, même au milieu d’un nuage noir et odorant de vieille bouillie, les secrétaires tapaient à la machine, faisaient des opérations sur des calculatrices et circulaient dans les couloirs, à vive allure, les bras chargées de dossiers et les jambes collées l’une à l’autre, leur démarche était toujours élégante. Les ouvriers les dévoraient des yeux – en prenant dans leurs pinces des sabots, des queues et des têtes ou en séparant le cuir de la viande, se prenant eux-mêmes pour des taureaux, et rêvant sans doute de monter les secrétaires comme des vaches.
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