Sándor Márai

Car tant qu'il y aura un homme suffisamment obstiné pour maudire ceux qui le supplicient dans la chambre de torture et pour continuer à affirmer ce pour quoi on le brûle sur le bûcher, tous nos nobles efforts se réduiront littéralement en fumée. Ce n'est pas dans ma fois que je me suis trompé, mon frère, c'est dans mon métier. Et c'est toujours une grande tristesse quand on comprend que le métier que l'on a appris est inutile.

Il est rare que l'Histoire trouve le contemporain "historiquement prêt", la plupart du temps, au moment où nous apprenons, ces derniers temps par la radio, que quelque chose s'est à jamais terminé dans le monde, nous sommes en pyjama ou entrain de nous raser. (p.17).

Quand on veut réaliser une grande Idée - l'éradication de l'hérésie -, on n'a pas le droit de juger les méthodes ni en les stigmatisant, ni en larmoyant. Car l'homme est une espèce têtue et s'il n'est pas disposé à gagner son salut, alors, il faut l'y obliger.
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La procédure légale donne le droit à l'accusé de demander un avocat commis d'office. Toutefois, le devoir de cet avocat ne peut consister en rien d'autre qu'à aider l'accusé à formuler ses aveux de façon rapide et inconditionnelle et de hâter sa confession puisque c'est la seule façon de sauver son âme.
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Un écrivain, un artiste a des intuitions qui, plus tard, sous forme d'une vision, c'est-à-dire d'une création montrent la réalité - la montrent au moment où elle n'est encore qu'un tourbillon à l'horizon humain, une chose en préparation, en gestation, un commencement mythique. (p.13).

Selon moi, le bolchévisme n'était qu'un avatar de l'impérialisme slave : il disparaîtra quelque jour pour laisser place à une grande puissance moderne avec laquelle le siècle à venir devra compter.
P. 443

Dans la foule qui, par cette fin d'après-midi de printemps, déferlait sous les balcons de l'immeuble, se trouvaient vraisemblablement quelques beaux esprits, intellectuels progressistes, qui, sans lever les yeux sur cet édifice, se raclaient la gorge et s'empressaient de parler d'autre chose. Ceux-là faisaient semblant d'ignorer que le communisme ne pouvait se passer de la Terreur, car pour imposer un régime inhumain, il fallait recourir à des moyens inhumains. p. 235

Nous savions bien que tu supportais tout plus difficilement que nous, les vrais militaires. Ce qui pour toi ne représentait qu'une situation était pour nous une mission, une vocation. Ce que tu portais comme un masque était notre vrai visage.

Au fil des décennies, le mot "bourgeois" s'est mué en sobriquet honteux, en cri de guerre appelant au combat tous ceux qui, sous une bannière de droite ou de gauche, se révoltaient non seulement contre le système de production capitaliste mais également contre la pensée humaniste dont la réalisation sociale se retrouvait dans les idéaux de liberté de la bourgeoisie. Un jour, j'ai été obligé de reconnaître que, dans leur univers révolutionnaire, c'était moi, au bourgeois vilipendé, que revenait le rôle d'ennemi : cette philosophie humaniste, cet esprit dans lequel j'ai été élevé, la culture et le mode de vie dans lequel j'ai vécu, l'héritage spirituel et moral que je ressentais comme mien et que je ne pourrai jamais renier, représentaient aux yeux des porte-paroles des systèmes totalitaires l'ennemi ancestral.
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Comment l'individu pourrait-il être plus fort que ce monde insidieux et armé jusqu'aux dents ? S'il est si difficile d'accéder à la conscience d'un individu, a ajouté notre homme, c'est parce que celui-ci fuit ses responsabilités et se dissimule derrière des slogans communautaires. L'individu "participe", mais la participation ne suffit pas, a-t'il insisté ... Il faut agir personnellement - et seul. Et si l'action personnelle se révèle impraticable, alors il faut tenter l'impossible.
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Je me suis demandé si un ami qui nous a déçu, parce qu’il n’était pas un véritable ami, doit être blâmé pour son caractère ou pour son manque de caractère ? A quoi sert une amitié dans laquelle nous n’apprécions réciproquement que la vertu, la fidélité et la constance ? N’est-il pas notre devoir de rester aux côtés aussi bien de l’ami infidèle que du fidèle, prêt à nous sacrifier ?

Maintenant, quand je jette un regard en arrière, je trouve mon assurance présomptueuse bien antipathique. Comme ceux qui, sans raison apparente, bénéficient des faveurs exceptionnelles des dieux, j'ai ressenti dans mon bonheur une sourde anxiété. Mon bonheur sans défaut me paraissait trop beau. Un bonheur aussi parfait effraie toujours.

La curiosité mauvaise brasille encore dans la conscience des Romains quand ils sont assemblés sur la place, où ce ne sont plus des païens qui assassinent les chrétiens, mais des chrétiens qui assassinent des chrétiens différents d'eux.

Ce qui est un véritable "événement" pour les hommes, ce qui découle inéluctablement des rapports entre eux, n'éveille jamais autant d'étonnement ni de terreur que la tension qui précède, que l'anticipation de l'horreur.

Même une grande passion ne saurait causer la satisfaction que procure l'amitié à ceux qu'elle touche de son pouvoir magique.

Être différent de ce que l'on est ... est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes.

N'étant pas chasseur, tu ignorais cette passion singulière, cette passion secrète des hommes, quelles que soient leur fonction et leur culture. Cette passion, c'est le désir de tuer. Nous sommes des hommes et la condition humaine nous oblige à tuer.

Naturellement, l'amitié est autre chose que le penchant maladif de ceux qui cherchent une sorte de satisfaction monstrueuse auprès d'êtres du même sexe...L'Eros de l'amitié n'a pas besoin des corps

En toute supériorité humaine, il y a une légère part de mépris pour celui que l'on surpasse. Un homme ne peut dominer entièrement d'autres hommes que si - après avoir bien connu et compris ceux qui ont dû se soumettre - il leur a marqué son dédain avec beaucoup de tact.

... les auditeurs polis découvraient que la musique pouvait être dangereuse en libérant un jour les aspirations secrètes de l'âme humaine.