Conduire est un plaisir. Pas tant pour l'exercice en lui même, mais parce que cet acte suppose de partir dans une autre direction, une évasion. Surtout, depuis que je ne me déplace plus pour de stricts motifs professionnels, conduire est un plaisir…
Lire est un plaisir. Partir, découvrir, s'évader… Surtout lorsque la lecture ne vise pas une utilité matérielle…
Lire c'est souvent conduire une belle voiture de sport, une de celle que l'on ne possèdera jamais parce que la métaphore s'arrête au feu rouge des contingences financières et, surtout au panneau stop des représentations bien ancrées. Celle, par exemple, qui m'intime l'ordre de considérer les automobiles comme des substituts phalliques, et donc, par conséquent, de les refuser en tant que symboles de machisme. Ferrari rime avec a priori…
Pourtant, j'aime conduire… DS, 2CV, trafic aménagé et pourquoi pas Dacia et même Trabant.
Le miracle de San Gennaro, c'est un Truck massif, une de ces bestiasses que l'on croise sur les highways américaines avec en bande-son l'improbable rencontre d'ACDC et de Sibelius… Très fier de l'avoir dompté… Mais que ce fut difficile, j'ai fait craquer la boîte de vitesse, la carlingue a toussoté, le monstre de métal m'a subjugué… Un moteur d'une puissance inouïe, une force inhabituelle, des pistons par centaines, des durites à foison, l'admiration pour cette mécanique dont je me contentais d'admirer les effets faute d'en comprendre le fonctionnement, la diabolique articulation… L'impossibilité d'aller vite malgré les formidables potentialités du moulin… Dès le départ, cette centaine de pages, chronique d'un quartier napolitain, j'avais le sentiment de me trouver face à un tableau de bord splendide mais dont j'ignorais les fonctionnalités. J'appuyais sur des boutons, des manettes, soulagé de constater que je continuais de me déplacer.
Puis, j'ai pris un rythme de croisière avec des paysages un peu plus familiers, des réflexions sur le totalitarisme, sur le destin tragique de cette Mitteleuropa qui bascula du nazisme vers le stalinisme, sur ces individus ballotés par l'histoire qui choisirent ou subirent l'exil. Sur le GPS s'affichaient des itinéraires contemporains, échos tragiques d'autres drames… Pas la peine de m'étendre, vous devez posséder les mêmes cartes… le trajet se déroula avec des haltes incontournables dès lors que l'on chemine en humanisme. La religion dressait ses tours et j'actionnais les essuie-glace pour discerner au mieux les enjeux de cet horizon. Les miracles, l'extase mystique peuvent égarer et commettre les pires forfaits. Mais, l'absence de sacré, le matérialisme exacerbé, à quoi mènent-t-ils ? Aux dictatures ? Au suicide ? Dans le siège de mon terrible engin, je regrettais d'avoir séché les cours de mécanique philosophique parce que
le Miracle de San Gennaro vous entraîne sur des routes ou plutôt des pistes dignes de la Selva, traversant des jungles de références inconnues ou inhabituelles pour le cancre que je reste. Conducteur du dimanche, quoi !
Oui, mais un piètre pilote, gonflé de l'orgueil de revenir d'un voyage qui commence par cette phrase « Les personnages de ce roman, purement imaginaires, n'ont rien à voir avec des personnages réels ». Bien sûr, l'injonction est contradictoire : la lecture de la biographie de Màrai permet de mesurer que c'est bien son histoire qu'il nous raconte… Eprouvant et magnifique voyage… Heureux d'être descendu de cette vertigineuse cabine où j'ai transpiré autant que frissonné du plaisir de cette découverte. Mais comme disait l'autre « Et c'est tant mieux parce que je f'rai pas ça tous les jours… »
Alors, ça vous dit un trip en truck ?
Une suggestion, découvrez quelques citations sur Babelio, lisez le dernier chapitre (partie IV, chapitre 17) parce que ça ne « spoilera » rien du tout mais par contre c'est tellement limpide, ça vibre comme un V12, la promesse d'un ailleurs …
Si votre curiosité est titillée, attachez vos ceintures, bon courage et belle route…
Pour ma part, je vais me changer les idées au volant d'une petite berline, j'ai quelques courbatures. Mais, p… que c'est bon de sentir craquer ses articulations rouillées ! Ça veut dire que l'on vit encore…