Trois personnages habitent ici ce roman, trois égratignés du coeur, trois âmes esseulées, qui lourdes de souffrance et de solitude cheminent tout au long de ces pages pour finalement et selon les caprices du destin se retrouver, un à un, puis un à deux.
Il y a Giacomo, le clown à la chevelure bouclée et argentée. Dresseur de caniches, il dirige le cirque qu'il a hérité de ses parents voilà plusieurs dizaines d'années. A l'heure où commence cette histoire, le vieux clown arrive au crépuscule de sa vie, son dos est courbé, ses forces limitées. Depuis le jour où sa mère, trapéziste s'est écrasée sur le sol comme un oiseau blessé, il sait que le Sort, ce personnage crépusculaire et maléfique qu'il imagine depuis l'enfance, le poursuit et qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin de ses jours.
Giacomo est certainement le personnage le plus lumineux de ce roman, malgré la peur qui le tenaille il porte en lui un tel amour de la vie, une telle confiance en l'être humain, qu'il est indéniablement le grand "ordonnateur" du roman, celui par qui l'histoire débute, et par la grâce duquel elle peut finir sur un "d'accord", une ouverture à tous les possibles.
Ensuite il y a Melle B., l'enfant, la petite fille, puis la femme grise, celle à qui tout amour, toute marque d'attention ont à jamais été refusés. Elle est celle qui ne sait pas, ne peut pas croiser un regard tant ceux qui se posèrent sur elle furent vides et glacés. Pour se calmer, quand les émotions la submergent de trop, elle s'évade dans un monde de chiffres et de figures géométriques, univers rassurant et réconfortant parce qu'éternellement identique, inchangé. Et puis il y a le môme, celui qui vit dans un terrain vague, une décharge publique, oublié de tous, inconnu de tous. Le première être vivant dont il se souviendra toujours n'est autre qu'un petit chien, alors à son tour, et comme un enfant sauvage, il se croira "chien", aboiera, léchera ses plaies et se nourrira dans les poubelles à la tombée de la nuit. Mais quand le môme découvre au beau milieu des détritus, une palette de peinture usagée, c'est tout un monde qui s'ouvre à lui après des années de déshérence. Le môme qui ne sait pas parler sinon aboyer découvre le pouvoir des couleurs, leur langage, désormais il peut fixer sur le papier ses souvenirs, ses sentiments, tout le monde qui l'habite et qui s'avère d'une incroyable richesse.
Entre le vieux clown, la femme grise et sans âge et l'enfant sauvage, existe un lien indéniable qui de page en page va se préciser, s'étoffer, se tisser, tandis que les uns et les autres vont prendre successivement la parole pour nous raconter ce que fut leur vie, leur naufrage, puis leur résilience.
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Tatiana Arfel porte sur l'univers de la folie et de l'extrême solitude un regard d'une grande acuité et d'une grande tendresse. A aucun moment ses personnages qui perdent pied, angoissés, torturés, ne paraissent étranges ou repoussants, bien au contraire, car le regard qu'elle pose sur eux est tout de "compréhension" dans le sens le plus pur du terme, prendre avec soi, serrer sur son coeur.
Tout fragiles qu'ils sont ses personnages ont tant à donner, davantage bien certainement que beaucoup d'autres, les autres, les ombres.
Ils ont tant à donner pourvu qu'ils soient aimés et respectés.
Voilà un livre magnifique, poétique et bouleversant dont vous tournerez la dernière page le coeur battant, apaisé.
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