l aurait mieux valu que ce fût papa qui mourût, plutôt que Mika. Si la mort tenait compte de notre avis, il mourrait beaucoup de gens bien choisis.
Notre psychiatre disait que, jusqu’à cinq ans, les enfants ne se souvenaient de rien. Moi, je crois qu’elle déconne et que Mika est morte avec beaucoup de souvenirs, les souvenirs les plus beaux et les plus vrais qui aient jamais existé dans notre maudite famille.
Je suis sûr que si Dieu avait eu une fille, elle se serait appelée Mika. J’ai tellement le mal d’elle que je m’en arracherais les yeux.
Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais maman venait d’avoir trente neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui ont jamais existé.
Il vaut mieux vivre, Lastotchka, avec la souffrance qu'avec la honte. rappelle-toi cela de moi. Lorsque la souffrance arrive, lorsqu'elle frappe à la porte, ouvre-lui et basta. Elle s'assied à table avec toi, vous buvez à la même tasse, elle retape ton oreiller pour la nuit. La souffrance partage ta vie, comme si vous vous connaissiez depuis mille ans. Comme une vieille fille, elle te veut pour elle toute seule.
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Mais la honte, Lastotchka, est une affaire grossière. La honte ne te retire rien, elle t'en ajoute. Elle pénètre en toi comme une écharde et te remplit de pus. Tu l'acceptes une seconde, et elle ne te lâchera plus pour les siècles des siècles. Elle te prend à la gorge, elle t'emporte et même la mort ne peut te sortir de sous son talon de diablesse.
Aucun autre matin n’a ressemblé à celui-là, le premier, quand je me suis réveillée. J’avais dormi au beau milieu de son lit, comme si j’en étais la farce. Cinq petites filles auraient tenu à côté de moi, si nous nous étions toutes couchées en travers. C’est ainsi que vivent les bonbons, ai-je songé. Enveloppés dans des strates bruissantes, jusqu’à ce qu’une bouche les gobe. À l’orphelinat, je n’avais qu’une seule couverture. La mienne avait une odeur de souris, mais ça aurait pu être pire. Autour de moi, la lumière jaillissait des objets. Même des sièges, même des murs. Je n’avais jamais rien vu de tel. À la fenêtre, un monde nouveau. Une branche d’arbre, avec des gouttes de rosée ; on aurait dit des perles. Un animal enchanté. Dans le ciel, mêlés, des cimes d’arbre et des oiseaux. Une voix est venue vers moi….. Cette voix m’a ouverte, comme une clef, et s’est nichée entre mes côtes, à gauche. Quand je me suis levée, j’avais une mère. Quel sentiment étrange de n’être plus orpheline, quelle peur aussi de le redevenir dans une seconde ! …. m’a-t-elle appelée, et c’est le nom qu’elle a employé désormais.