AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Théodore de Banville (161)


ÉPILOGUE.

Rime, avant cet âge fatal,
Voilà bien longtemps, quand la France
Dans une coupe de cristal
Buvait le vin de l'espérance,

Sous mon front venant te poser,
Lors de ces époques heureuse
Tu chantais comme le baiser
Qui joint deux bouches amoureuses,

Quant la Patrie eut à son flanc
Reçu la blessure exécrable
Lorsqu'il fallut donner son sang
Pour cette martyre adorable,

Tu résonnas comme un clairon
Qui raille le danger vulgaire,
Et ta voix, mieux que l'éperon,
Fit bondir les coursiers de guerre,

Pleine de confiance encore,
Tu te jetais dans la mêlée,
Fière, sous ta cuirasse d'or,
Ainsi qu'une Penthésilée ;

Et plus d'une fois le vainqueur,
Atteint jusque dans son génie,
tressaillait sous l'accent moqueur
De ton implacable ironie !

Maintenant, tout à mon souci,
Je t'entends, parmi les ténèbres,
Sonner sans trêve et sans merci,
Comme un glas aux notes funèbres,

Ou tu gémis, comme les flots
De la mer qui songe et qui veille.
O Rime, exhale tes sanglots
Tout bas, tout bas, à mon oreille.

Et moi, j'étoufferai sans bruit
Le cri qui de mon cœur s'élance,
Car étant plongé dans la nuit,
Il nous faut garder le silence.

Mais que, rendue à notre amour,
La divine, la bien-aimée
Sourie à la clarté du jour,
Sa plaie horrible étant fermée ;

Elle entendra ton chant joyeux
Qui la caresse et qui la venge,
Monter éclatant dans les cieux
Et pareil à la voix d'un ange.
Commenter  J’apprécie          70
Théodore de Banville
Félix Pyat, à propos de Jules Janin, célèbre critique littéraire en son temps :

« On le voit, il n'est, pas un parti que cet écrivain n'ait servi et lâché tour à tour, pas une cocarde dont ce caméléon n'ait réfléchi la couleur, pas une idée dont il n'ait écrit du bien et du mal, pas. un homme qu'il n'ait léché et mordu, pas un dieu qu'il n'ait adoré et maudit.
Raconter toutes les défections, tous les revirements de sentiment et de pensée, d'opinion et d'affection de ce type des renégats serait le treizième travail d'Hercule ; ce serait l'Illiade de la mobilité, l'épopée de la trahison.

Cet homme, il faut en faire justice enfin, il faut dire une fois ce que tout le monde en pense, est le représentant, l'idéal, la honte même de cette école honteuse qui a surgi du bas de la presse de la restauration, comme la vase monte du fond des lacs pendant le mauvais temps ; c'est l'expression la plus complète de cette littérature sceptique et pourrie, hostile à tout et prostituée à tous, sans coeur ni âme, hargneuse et lâche, égoïste et avide, qui n'a d'autre but, d’autre voeu, d'autre foi que l’argent ; oui, c'est le chef de ces enfants perdus de la pensée, de ces « bravi » de la presse, âpres au gain, insatiables lucre, qui, s'escriment au jour le jour, au profit de qui les paie, comme ces routiers mercenaires qui s'engageaient et se battaient au service de leur solde, n'avaient pour patrie que le salaire, pour honneur que la bourse et pour drapeau que l’argent »

Journal le Siècle, 24 août 1845, p.3 :
« M. Félix Pyat, condamné à six mois de prison pour un article insérée dans la Réforme, s’est constitué prisonnier hier. »

Soutien de Banville, vers inédits, publiés dans le Journal Le Charivari, 17 septembre 1845 :

Donc vous voilà privé de l’haleine des roses,
Ami, vous voilà donc, sans vous en affliger,
Gardé par ces verroux et ces grilles moroses
Qu’illustrent déjà Courrier et Béranger.

On vous a pris les bois, les doux cireux, les retraites,
Le murmure étouffé du vent sur le roseau
Et la source dont l’eau, sous les mousses discrètes,
Parle avec le rêveur et chante avec l’oiseau.

Poète, on vous a pris le sentier qu’on oublie,
La fleur qui se cachait dans le creux du ravin,
Tout ce jardin de joie et de mélancolie
Qu’ensemence pour nous le jardinier divin.

On vous a pris, ami, la sereine nature ;
Mais dans votre pensée un jardin plus charmant
Avec un vent plus doux ridant l’onde plus pure,
Jette sa rêverie et son rayonnement.

Là, dans le gazon vert où luit le scarabée,
Sous l’ombrage qu’arrose un soleil radieux,
Tityre demi-nu cause avec Mélibée
De ce loisir qu’il aime et que lui font les dieux.

Galatée en rêvant s’enfonce dans les saules.
Au lever de l’Aurore et les pieds dans ses pleurs,
Entrelaçant leurs bras sur leurs blanches épaules,
Les Grâces sans ceinture ont des liens de fleurs.

Et dans ce groupe, ami, votre Muse enchantée
Devant elle, à ses pieds gardant comme un trésor
Le fouet à la lanière encore ensanglantée
Caresse avec douceur la lyre aux cordes d’or.

Réponse de Félix Pyat ; Le Charivari 22 septembre 1845 :

"Nous recevons la lettre suivante :
« Monsieur le rédacteur,
Je ne vous ai pas remercié plus tôt des vers de M. De Banville, parce que votre journal, comme tout autre, m’est interdit dans ma prison. Je dois à la mémoire amie d’un visiteur d’avoir pu les connaître aujourd’hui. Seulement j’ai été, je l’avoue, aussi heureux de les entendre que si j’en avais été digne.
On ne mérite pas tant pour avoir fait tout bonnement son devoir. Et ce n’est pas assez de quelques mois de prison pour inspirer de si nobles choses.
Au reste, serrez bien de ma part les deux mains du poète, et dites-lui combien je regrette de ne pouvoir lui répondre avec cette lyre aux cordes d’or qu’il prête, qu’il peut prêter aux autres… Je ne puis, hélas ! Que lui rendre grâce en vile prose de ses beaux et bons vers, mais c’est de tout coeur.
Félix Pyat. » "
Commenter  J’apprécie          113
Le grand poète Edgar Poe l'a dit : l'homme ne mourrait jamais s'il n'y consentait pas, et s'il ne cédait volontairement aux Anges de la mort.

Ce qui est vrai de la mort l'est aussi du malheur ; s'il triomphe de nous et nous terrasse, c'est seulement parce que nous faiblissons, et que nous cessons de résister avec assez de confiance et d'ardeur.

Rien ne fut plus beau que la Convention décrétant audacieusement la victoire ; on pourrait aussi décréter le bonheur, et il faudrait bien qu'il obéît ; car la volonté de l'homme est une divinité et mille divinités, dont la puissance n'a pas de bornes.
Commenter  J’apprécie          105
Ainsi, mon cher Louis, nous avons voulu l’égalité, et nous la possédons, à en pleurer. Non pas l'égalité devant la loi, qui est le droit légitime du citoyen, mais l'égalité complète, absolue, tyrannique, l'égalité de Procuste.
Grâce à laquelle nous sommes tous aussi grands, aussi gros, aussi robustes, aussi sages, aussi savants les uns que les autres, et nous nous ressemblons tous, comme un cornet de tabac ressemble à un autre cornet de tabac, et comme un morceau de galette de deux sous ressemble à un autre morceau de galette de deux sous.

Regardez ce veston, ce parapluie, ces cheveux sur le front en dents de loup, ce visage pâle, ennuyé et stupéfait ; c'est l'uniforme de tous les mortels, ou plutôt de l'unique mortel, car il n'y en a plus qu'un.

Oui, ce rêve tant choyé, l'égalité devant l'instruction, a été heureusement réalisé, autrement sans doute qu'on ne l'espérait, mais cela ne fait rien à l'affaire.

Sur ce point, tous les modernes se valent les uns les autres ; non que les gens du monde soient tous devenus aussi savants que Humboldt, mais parce qu'ils sont tous devenus ignorants (…)

Nous en avons eu la preuve à ces fameuses représentations du mardi, où sur trois mille spectateurs, possédant en général vingt mille francs de rente au minimum, il ne s'en trouve pas un qui ait jamais lu un vers de Racine ou de Molière.

À la bonne heure, ceux-là ne sont pas des empêcheurs de danser en rond, comme ces pédants de poètes qui exigent le texte dans son intégrité. On peut leur réciter du Molière adouci, noyé, étendu d'eau jusqu'à la vingtième dilution ; ce n'est pas eux qui se révolteront contre ce dosage homéopathique.

Tous les Français de l'heure présente sont non seulement égaux, mais pareils, comme le furent naguère ces soldats prussiens dont on peignait en noir toutes les moustaches avec le même pinceau, à travers une plaque de métal découpé.

Tant pis pour eux si leurs moustaches étaient moins larges que le trou ouvert dans la plaque, ou même n'existaient pas du tout, car alors l'artiste barbouillait de noir la peau nue pour obtenir un ensemble régulier.

Et comme ils se valent exactement les uns les autres, comme des pièces de monnaie frappées par le même balancier, par le plus juste des raisonnements, ils veulent tous autant de bonheur et d'honneurs qu'en possèdent ceux d'entre eux qui en possèdent le plus ; quoi de moins arbitraire et de plus strictement légitime ?
Commenter  J’apprécie          192
BAUDELAIRE.
Si jamais le mot séduction peu être appliqué à un être humain, ce fut bien à lui, car il avait la noblesse, la fierté, l’élégance, la beauté à la fois enfantine et virile, l’enchantement d’une voix rhythmique, bien timbrée, et la plus persuasive éloquence, due à un profonde rassemblement de son être ; ses yeux, débordants de vie et de pensée, parlaient en même temps que ses épaisses et fines lèvres de pourpre, et je ne sais quel frisson intelligent courait dans longue, épaisse et soyeuse chevelure noire.

En l’apercevant, je vis ce que je n’avais vu jamais, un homme tel que je me figurais que l’homme doit être, dans la gloire héroïque de son printemps, et en l’entendant me parler avec la plus affectueuse bienveillance, je sentis cette commotion que nous communique l’approche et la présence du génie.
Puis, à mesure que s’écoulait son discours net et rapide, et d’un vrai Parisien, il me semblait que des voiles étaient tombés de dessus mes yeux, que s’ouvrait devant moi tout un monde infini de rêves, d’images, d’idées, de vastes paysages, et je ne pouvais me lasser de contempler les traits de ce poète, si hardis, si caractérisés, si fermes, bien que leur fauve pâleur laissât voir encore les roses de l’adolescence et qu’ils fussent à peine estompés par le noir duvet d’une barbe naissante.

Il n’est pas étonnant que Baudelaire ait paru bizarre aux niais désœuvrés et aux diseurs de rien ; pour eux, en effet, il devait être tout ce qu’il y a de plus bizarre, car il ne disait rien qui ne fût le contraire d’un lieu commun, et il avait nativement, il tenait de sa mère infiniment distinguée et d’une nature exquise, ces belles façons abolies, cette politesse, à la fois raffinée et simple, qui déjà en 1842 pouvait troubler certains bourgeois et leur faire l’effet d’un anachronisme.

Il possédait une érudition immense, savait tout ce que les livres enseignent, et n’aurait même pas eu l’idée de faire étalage de sa science ; mais on sentait que sur toute chose il était renseigné et ne parlait jamais à vide. Enfin, comme le raconte Gautier, ayant déjà vu les mers de l’Inde, Ceylan, la presqu’île du Gange, il avait gardé dans ses prunelles vibrantes le ressouvenir de la vive lumière et la claire immense des horizons (…)

Si Baudelaire a étonné les sots, il a étonné bien plus encore les gens d’esprit, en laissant le livre immortel où la douleur et l’amour, comme de pénétrantes essences, exhalant leurs enivrants parfums, et ces vers dont les notes attendries et désolées font vibrer tout l’être humain dans une commotion de volupté et d’épouvante.

Son oeuvre, comme la vie elle-même, est souillée par des taches de sang ; mais leurs effrayantes pourpre est jetée sur une riche étoffe chatoyante, dont les capricieuses broderies, étincelantes de mille feux caressants, font songer au flamboiement et au resplendissement des astres célestes.
Commenter  J’apprécie          112
Alexandre Dumas, l’esprit le plus ingénieux, le plus fécond, le plus dit de ce temps, doit peut-être sa fortune à ce qu’avec un immense génie d’observation, une imagination inventive et une prodigieuse dextérité pour s’approprier les idées courantes, il est incapable de tout lyrisme et répète avec la meilleure foi du monde les lieux communs poétiques que la conservation et les livres ont laissé tomber dans son souvenir (…)

Dans son heureux monde, tout le monde a vingt ans, tout le monde est jeune, entreprenant et amoureux ; on s’aime, on se prend, on se quitte, on se bat, on se tue et on a les meilleurs amis du monde. J’aime cette fantaisie aventureuse qui passe à travers l’histoire sans s’y meurtrir, et qui force tous les graves personnages des temps passés à sourire et à mentir comme elle !
Commenter  J’apprécie          65
Richard Wagner, et c’est là l’autre côté de sa révolution, n’admet pas ou plutôt ne comprend pas que la Poésie et la Musique, ces deux soeurs, qui sont les deux moitiés ou mieux les deux aspects du même art, aient pu vivre si longtemps comme deux soeurs ennemies, se dédaignant, se méprisant, l’une l’autre, et unies, comme deux forçats, par une lourde chaîne impatiemment supportée.

Pour lui, qui dit Poésie dit Musique, car le rythme du vers crée le rythme de la mélodie, et quand la musique parle seule, c’est pour peindre l’au-delà, l’inexprimé, ce que la parole humaine, même rythmée, est inhabile à traduire, car l’ineffable privilège de la musique, c’est de dire ce qui ne peut être dit, les choses qui dépassent notre esprit et que comprend directement notre âme.
Commenter  J’apprécie          92
Théodore de Banville
L’ALIMENTATION.
- « C’est bien moi, messieurs, » dit Lucrèce Borgia, entrant, comme un démon, au tragique souper de Ferrare.
- Et elle ajoute : « je viens vous annoncer une nouvelle, c’est que vous êtes tous empoisonnés, messeigneurs ! »

— Ainsi pourrait parler la Locuste invisible et présente qui préside aux destinés de l’alimentation parisienne.

Les parisiens ne se sont pas trop rebiffés ; ils n’ont que médiocrement lutté pour la vie ; ils se sont résignés à être empoisonnés, comme le homard se laisse couper en morceaux et comme l’anguille se résigne à être écorchée vive.
Et, pareils à des moutons qui, avec une épouvante douceur, se hâtent vers l’abattoir, ils se sont dits avec un vague soupir : puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, mangeons des choses immondes !

Ainsi, dans la Ville-Lumière qui, hélas ! Est en même temps une Ville-Fange, tout le monde a pris son parti de la condamnation prononcée.

(Extrait de la préface de "l'hygiène de l'estomac")
Commenter  J’apprécie          101
La Nature nous dit : Poètes,
À vous mes ruisseaux et mes prés,
À vous mon ciel bleu sur vos têtes,
À vous mes jardins diaprés !

À vous mes suaves murmures
Et mes riches illusions,
Mes épis, mes vendanges mûres
Et mes couronnes de rayons !

L’Art nous dit : À vous mes richesses,
Mes symboles, mes libertés,
Mes bijoux faits pour les duchesses,
Mes cratères aux flancs sculptés !
À vous mes étoffes de soie,
À vous mon luxe armorial
Et ma lumière qui flamboie
Comme un palais impérial !

À vous mes splendides trophées,
Mes Ovides, mes Camoëns,
Mes Glucks, mes Mozarts, mes Orphées,
Mes Cimarosas, mes Rubens !

Eh bien ! oui, l’Art et la Nature
Ont dit vrai tous les deux. À nous
La source murmurante et pure
Qui me voit baiser tes genoux !

À nous les étoffes soyeuses,
À nous tout l’azur du blason,
À nous les coupes glorieuses
Où l’on sent mourir la raison ;

À nous les horizons sans voiles,
À nous l’éclat bruyant du jour,
À nous les nuits pleines d’étoiles,
À nous les nuits pleines d’amour !

À nous le zéphyr dans la plaine,
À nous la brise sur les monts
Et tout ce dont la vie est pleine,
Et les cieux, puisque nous aimons !
Commenter  J’apprécie          102
Les Femmes s'ennuient, parce qu'il n'y a plus personne pour les amuser. Et comment les hommes songeraient-ils à remplir cette tâche délicate lorsqu'ils ne savent plus s'amuser eux-même ? Ils sont la proie d'un certain nihilisme, qui consiste à ne rien faire du tout, à rester indifférents et corrects au milieu de l'orgie comme dans les bureaux de la Chambre, et à manger les écrevisses à la bordelaise du même air que s'ils subissaient avec stoïcisme une opération chirurgicale.
Commenter  J’apprécie          30
Théodore de Banville
Nous vivons, et qui ne le sent en soi-même ? Dans un temps pareil à ces scènes de drame où l’on comprend que le décor du fond va s’enfonçer et s'écrouler pour laisser voir la véritable scène derrière ce rideau est le véritable intérêt, le véritable drame, le denoûment attendu.

Les acteurs qui sont en scène le savent ; ils savent que le public est curieux, non pas d'eux et de ce qu’ils diront mais de ce qui se cache derrière leur toile misérable.

Aussi, rien ne leur coûte pour fixer l'attention, et, si sauvage qu'elle soit, l'exagération leur est permise ; bien plus, il est juste que l’exagération effrénée devienne leur loi et leur poétique.
Et non seulement ils ont besoin, pour n’être pas laissés avec dédain, de tout enfler, de tout grossir, de pousser aux dernières limites l’excès de l’abus et du délire, mais aussi ils sont heureux de se dépenser avec prodigalité, sachant qu’ils vivent leur dernière heure, et tâchant au moins de la vivre fabuleuse, inouïe, pleine d’éblouissement, d’étourdissements et de vertiges.

A la bonne heure ceux qui sont derrière le rideau, ceux qui auront le temps devant eux, ceux qui réciteront la scène écoutée, ceux qui chanteront l’ode attendue ! Ceux-là pourront poser leur voix, adoucir leurs effets, chercher le vrai chemin de l’esprit et le vrai chemin du coeur.
Mais à l’heure qu’il est, il faut frapper fort, au risque de tout casser ; il faut éblouir, au risque d’aveugler ; il faut le bruit insensé et l’éclat féroce ! Et, chose horrible, à chaque minute l’étonnement devient plus diffiile ; ce qu’on a fait était surhumain et impossible, il faut le surpasser à l’instant sous peine de mort.

(Préface par Banville dans la petite encyclopédie de bouffonnerie de Louis-Auguste Commerson)
Commenter  J’apprécie          20
Si le grand peuple que nous sommes pouvait périr, il périrait par l’indifférence.
La fièvre de l'amour, la fièvre du dévouement, la fièvre du devoir, la fièvre du génie, c’est la vie elle-même.
(…)

Dans la génération des jeunes gens qui ont vingt ans aujourd'hui, il existe, très heureusement à l’état d'exception et de très singulière exception, un clan d'êtres élégants, empaillés et tranquilles, dont la religion facile consiste à n'aimer rien, à ne vouloir rien, à ne s'intéresser à rien.
Tout ce dont on peut leur parler, depuis les étoiles du ciel jusqu'à la belle fille qui passe, leur paraît être du vieux jeu, en d'autres termes, usé, aboli, périmé.
Que l'un de leurs compagnons s’inquiète, par exemple, de sa mère ou de sa sœur malade :
« Oh ! disent-ils, il ne faudrait pas nous la faire à la famille ! »
Et, au bout du compte, il ne faut la leur faire à rien : ni à la patrie, ni à l’humanité, ni à la tristesse, ni à la joie, ni même au plaisir, car ils méprisent le plaisir, comme tout le reste.

Qu’aiment-ils donc ?
Ils aiment à ne pas être... Ennuyés et à ne s’occuper de rien. Ne leur parlez pas d'une découverte scientifique, ils auraient bientôt fait de murmurer d'une faible voix : « La Science, en voilà assez ! »
En art aussi, ils ont assez de tout : Delacroix, il n'en faut plus ; Véronèse, il n’en faut plus ; Michel Ange, il n'en faut plus.
Parlez-leur d'un drame moyen âge, ou antique, ou moderne, ils répondent :
« pourquoi moyen âge ? pourquoi antique ? pourquoi moderne ? » et, de fait, il est impossible de répondre à ce pourquoi.

« Veux-tu boire un bock (une bière) ? » demande un de ces abstentionnistes à son ami, et l’ami répond d'abord : « Je veux bien » ; puis, tout à coup, se ravisant, il dit, en levant son oeil sans regard : « Pourquoi un bock ? »
Question qui ne saurait être résolue. Car la nécessité de boire un bock, ou d'accomplir toute autre action, est impossible à établir, du moment que la partie intéressée la conteste.
Mais ils vont plus loin dans le non être. L'un d'entre eux penche nonchalamment ses lèvres vers les lèvres d'une femme aussi peu amoureuse que possible ; mais au moment où les deux bouches vont se toucher, il se retire lentement, parce qu'il s'est dit en lui-même : « A quoi bon ? »

En effet, il y a des femmes, dans cette nation, qu’il faudrait appeler les nihilistes, si ce mot n'avait pas pris une signification politique particulière , et à propos desquels je proposerais de créer un indispensable barbarisme en inaugurant le mot : les rien-du-toutistes ! Ces femmes, il faut les voir dans les soupers, dans les cabarets, dans les bals où elles traînent, je ne dirai pas leur ennui, le mot « ennui » serait trop faible, mais leur manque absolu de joie.
Elles s'en vont deux à deux, l'une grande, noire et terrible ; l'autre frivole, au nez retroussé. De temps en temps, à de rares intervalles, par un vieux reste d'habitude et de tradition, les jeunes gens les abordent et leur jettent un mot indifférent, auquel elles répondent par quelque chose d'encore plus indifférent.

Cependant, lorsque l'heure est suffisamment avancée, ils s'en vont souper ensemble, mais sans aucun entraînement, uniquement parce qu'ils sont au fond persuadés qu'ils appartiennent à la même espèce de mammifères.
Une fois qu'ils sont réunis, si par hasard l'un des soupeurs, ne songeant ni à ce qu'il fait ni à autre chose, prend quelque liberté avec sa voisine, celle-ci le laisse faire, parce que cela lui est égal. Mais le cas est rare.
Ils ne causent pas.

De quoi causeraient-ils ? Pour eux, la rose n'est qu'un végétal ; le printemps, qu'un assemblage de phénomènes atmosphériques. Ils peuvent dire au pied de la lettre, et beaucoup plus sincèrement encore que le prince Hamlet : « L'homme ne me délecte pas, monsieur, ni la femme non plus. » Aussi, pour obéir au besoin d'expansion que tout être possède en lui, se bornent-ils à hurler doucement des chansons de café-concert, entièrement dépourvues de sens commun et de beauté, et à imiter, avec le moins de fatigue qu’il leur est possible, des aboiements d'animaux et des cris d’oiseaux.

Ce petit monde ressemble à une tache d’huile, qui, si on la laissait faire, pourrait bien envahir tout. Mais, heureusement, je le répète, il n'existe encore qu'à l’état d'exception.
Pendant que ces amants du rien du tout aspirent à quelque chose de plus simple que le néant, il existe des jeunes gens du vieux jeu, qui poètes, cherchent le secret de la langue divine ; peintres, se donnent à l'ivresse de la couleur et à la sévère contemplation de l'histoire ; soldats, frémissent d'orgueil en touchant la noble épée ; savants, interrogent la matière et déchirent les cieux avares ; amants, voient le ciel dans le reflet d'un regard ou dans le rayon rose qui voltige sur un sourire. Ceux-là, qui sont la vraie réserve de l’avenir, sentent en eux le vivant frisson de l'humanité éternelle, qui ne peut pas et ne veut pas mourir.

Quant à ceux qui ont donné leur démission de tout, et qui ne tressaillent pas lorsque vient la saison des nids, considérons qu'ils sont moins coupables qu'ils n’ont l'air de l’être et que le piège où ils sont tombés était grandement ouvert sous leurs pas, car ils sont entrés dans la vie à un moment difficile.
En 1830, on avait cru à tout. Par un immense élan d'amour, l'homme avait embrassé tout le passé, voulant en ressusciter toutes les aspirations, tous les chefs-d’oeuvre toutes les gloires.
Trente ans après, en 1860, quand ces jeunes gens naquirent, l'esprit d'examen avait passé de la science dans la vie et démoli tout. Ils entraient dans une maison où il n’y avait rien, et ne pouvaient guère s'asseoir sur des chaises absentes.

Car comment vivre sans un ensemble d'idées communes ? Si le mot : Pourquoi ? flamboie partout comme un panache, il est impossible même de respirer, et l'existence est impraticable si l'on n'admet un certain nombre d’axiomes.
Rien de plus simple et de plus naturel que de manger un gigot cuit à point, en l’arrosant d'un bon vin de Mercurey ; mais si on conteste par des arguments l'utilité de ce repas, il n'y a pas de raison pour ne pas se contenter de manger les glands ramassés sous les chênes et de boire l'eau des ruisseaux.

Personne n'a jamais eu l'idée de demander à Eschyle ou à Sophocle pourquoi ils chantaient les hauts faits, les malheurs et les crimes de la race d'Atrée ; ni à Phidias, pourquoi il sculptait les images des Dieux, ni à Michel-Ange, à Véronèse ou à Benvenuto, pourquoi ils empruntaient leurs sujets à l'Ancien Testament (…)

Quand nos pères étaient des jeunes gens, si quelqu’un leur avait demandé pourquoi ils aimaient les nobles chants, et les belles filles, et le bon vin, ils auraient répondu à ce quelqu'un-lå en lui donnant amicalement l'adresse du docteur (...). Mais plus tard le Pourquoi est devenu un despote effréné, auquel on n'ose plus répondre tout bonnement : Parce que ! (…)
Commenter  J’apprécie          56
Le Scapin gravé à l'eau-forte dans le Théâtre italien du comédien Riccoboni a une moustache de Chat, et c'est justice, car le Chat botté est, bien plus que Dave, le père de tous les Scapins et de tous les Mascarilles.
Commenter  J’apprécie          60
L'homme oblige le Chien à chasser pour lui, à ses gages et même sans gages ; le Chat préfère chasser pour son propre compte, et à ce sujet on l'appelle voleur, sous prétexte que les lapins et les oiseaux appartiennent à l'homme ; mais c'est ce qu'il faudrait démontrer.
Commenter  J’apprécie          50
Théodore de Banville
Les Cariatides
L’Été
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Il brûle tout, hommes et choses,
Dans sa placide cruauté.
Il met le désir effronté
Sur les jeunes lèvres décloses
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Roi superbe, il plane irrité
Dans des splendeurs d’apothéoses
Sur les horizons grandioses ;
Fauve dans la blanche clarté,
Il brille, le sauvage Été.
Commenter  J’apprécie          40
Théodore de Banville
L’Été

Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Il brûle tout, hommes et choses,
Dans sa placide cruauté.

Il met le désir effronté
Sur les jeunes lèvres décloses ;
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.

Roi superbe, il plane irrité
Dans des splendeurs d’apothéoses
Sur les horizons grandioses ;
Fauve dans la blanche clarté,
Il brille, le sauvage Été.
Commenter  J’apprécie          461
Théodore de Banville
L’Automne

Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.

Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.

Déjà la Nymphe qui s’étonne,
Blanche de la nuque à l’orteil,
Rit aux chants ivres de soleil
Que le gai vendangeur entonne.
Sois le bienvenu, rouge Automne.
Commenter  J’apprécie          291
Mais pour que la Poésie puisse vivre, ce ne sont pas les poëtes qui manquent jamais, car il y a toujours des poëtes ! Ce qui manque surtout, c'est des auditeurs qui n'aient pas tué en eux-mêmes, (avec une grosse dépense de temps et d'argent,) le sens du merveilleux et l'instinct de la Poésie.
Commenter  J’apprécie          60
Les Fables de la Fontaine sont écrites en vers libres, et quelquefois en vers de huit syllabes. Il n'y a, il n'y a eu et il n'y aura en France qu'un seul fabuliste, lui, et il n'y a pas de fables à faire après la Fontaine. Si Florian l'avait su, nous aurions peut-être quelque bons Arlequin de plus et de mauvaises fables de moins. Les Fables de la Fontaine, c'est la PERFECTION et le dernier mot du génie.
Commenter  J’apprécie          20
Enfin Malherbe vint... et après Malherbe vint Boileau, son exécuteur des hautes œuvres... Il fut décrété que le sens de la phrase, coupé à la césure, se terminerait à la fin du vers, et que tous les vers se ressembleraient entre eux comme un morceau de galette de deux sous ressemble à un morceau de galettes de deux sous.
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Théodore de Banville (75)Voir plus

Quiz Voir plus

L'île du Crâne d'Anthony Horowitz par Victoria

Comment s'appelle le héros ?

David
Jeffrey
Alex
John

10 questions
929 lecteurs ont répondu
Thème : David Eliot, tome 1 : L'Ile du crâne de Anthony HorowitzCréer un quiz sur cet auteur

{* *}