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Citations de Théodore de Banville (161)


A une muse folle.

Allons, insoucieuse, ô ma folle compagne,
Voici que l’hiver sombre attriste la campagne,
Rentrons fouler tous deux les splendides coussins ;
C’est le moment de voir le feu briller dans l’âtre ;
La bise vient ; j’ai peur de son baiser bleuâtre
Pour la peau blanche de tes seins.

Allons chercher tous deux la caresse frileuse.
Notre lit est couvert d’une étoffe moelleuse ;
Enroule ma pensée à tes muscles nerveux ;
Ma chère âme ! trésor de la race d’Hélène,
Verse autour de mon corps l’ambre de ton haleine
Et le manteau de tes cheveux.

Que me fait cette glace aux brillantes arêtes,
Cette neige éternelle utile à maints poètes
Et ce vieil ouragan au blasphème hagard ?
Moi, j’aurai l’ouragan dans l’onde où tu te joues,
La glace dans ton cœur, la neige sur tes joues,
Et l’arc-en-ciel dans ton regard.

Il faudrait n’avoir pas de bonnes chambres closes,
Pour chercher en janvier des strophes et des roses.
Les vers en ce temps-là sont de méchants fardeaux.
Si nous ne trouvons plus les roses que tu sèmes,
Au lieu d’user nos voix à chanter des poèmes,
Nous en ferons sous les rideaux.

Tandis que la Naïade interrompt son murmure
Et que ses tristes flots lui prêtent pour armure
Leurs glaçons transparents faits de cristal ouvré,
Échevelés tous deux sur la couche défaite,
Nous puiserons les vins, pleurs du soleil en fête,
Dans un grand cratère doré.

À nous les arbres morts luttant avec la flamme,
Les tapis variés qui réjouissent l’âme,
Et les divans, profonds à nous anéantir !
Nous nous préserverons de toute rude atteinte
Sous des voiles épais de pourpre trois fois teinte
Que signerait l’ancienne Tyr.

À nous les lambris d’or illuminant les salles,
À nous les contes bleus des nuits orientales,
Caprices pailletés que l’on brode en fumant,
Et le loisir sans fin des molles cigarettes
Que le feu caressant pare de collerettes
Où brille un rouge diamant !

Ainsi pour de longs jours suspendons notre lyre ;
Aimons-nous ; oublions que nous avons su lire !
Que le vieux goût romain préside à nos repas !
Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
Le livre que l’on n’écrit pas.

Tressaille mollement sous la main qui te flatte.
Quand le tendre lilas, le vert et l’écarlate,
L’azur délicieux, l’ivoire aux fiers dédains,
Le jaune fleur de soufre aimé de Véronèse
Et le rose du feu qui rougit la fournaise
Éclateront sur les jardins,

Nous irons découvrir aussi notre Amérique !
L’Eldorado rêvé, le pays chimérique
Où l’Ondine aux yeux bleus sort du lac en songeant,
Où pour Titania la perle noire abonde,
Où près d’Hérodiade avec la fée Habonde
Chasse Diane au front d’argent !

Mais pour l’heure qu’il est, sur nos vitres gothiques
Brillent des fleurs de givre et des lys fantastiques ;
Tu soupires des mots qui ne sont pas des chants,
Et tes beaux seins polis, plus blancs que deux étoiles,
Ont l’air, à la façon dont ils tordent leurs voiles,
De vouloir s’en aller aux champs.

Donc, fais la révérence au lecteur qui savoure
Peut-être avec plaisir, mais non pas sans bravoure,
Tes délires de Muse et mes rêves de fou,
Et, comme en te courbant dans un adieu suprême,
Jette-lui, si tu veux, pour ton meilleur poème,
Tes bras de femme autour du cou !
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En habit zinzolin.

Rondeau, à Églé

Entre les plis de votre robe close
On entrevoit le contour d’un sein rose,
Des bras hardis, un beau corps potelé,
Suave, et dans la neige modelé,
Mais dont, hélas ! un avare dispose.

Un vieux sceptique à la bile morose
Médit de vous et blasphème, et suppose
Qu’à la nature un peu d’art s’est mêlé
Entre les plis.

Moi, qu’éblouit votre fraîcheur éclose,
Je ne crois pas à la métamorphose.
Non, tout est vrai ; mon cœur ensorcelé
N’en doute pas, blanche et rieuse Églé,
Quand mon regard, comme un oiseau, se pose
Entre les plis.



Triolet, à Philis

Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.
Ces voiles, j’en aurais la clé
Si j’étais le Zéphyr ailé.
Près des seins pour qui je brûlai
Je me glisserais dans la couche.
Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.



Rondeau, à Ismène

Oui, pour le moins, laissez-moi, jeune Ismène,
Pleurer tout bas ; si jamais, inhumaine,
J’osais vous peindre avec de vrais accents
Le feu caché qu’en mes veines je sens,
Vous gémiriez, cruelle, de ma peine.

Par ce récit, l’aventure est certaine,
Je changerais en amour votre haine,
Votre froideur en désirs bien pressants,
Oui, pour le moins.

Échevelée alors, ma blonde reine,
Vos bras de lys me feraient une chaîne,
Et les baisers des baisers renaissants
M’enivreraient de leurs charmes puissants ;
Vous veilleriez avec moi la nuit pleine,
Oui, pour le moins.



Triolet, à Amarante

Je mourrai de mon désespoir
Si vous n’y trouvez un remède.
Exilé de votre boudoir,
Je mourrai de mon désespoir.
Pour votre toilette du soir
Bien heureux celui qui vous aide !
Je mourrai de mon désespoir
Si vous n’y trouvez un remède.



Rondeau redoublé, à Sylvie

Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse,
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés,
Comme Diane, en jeune chasseresse,
L’arc à la main et les cheveux poudrés.

Sur les rougeurs d’un ciel aux feux pourprés
Quelquefois passe un voile de tristesse,
Voilà pourquoi, lorsque vous sourirez,
Je veux vous peindre, ô belle enchanteresse !

Vous serez là, frivole et charmeresse,
Parmi les fleurs des jardins adorés
Où doucement le zéphyr vous caresse
Dans un fauteuil ouvrant ses bras dorés.

Auprès de vous, Madame, vous aurez
Le lévrier qui folâtre et se dresse,
Et le carquois plein de traits désœuvrés,
Comme Diane en jeune chasseresse.

Mais n’allez pas, fugitive déesse,
Chercher, pieds nus, par les bois et les prés
Un berger grec, et pâlir de tendresse,
L’arc à la main et les cheveux poudrés.

Heureusement le cadre d’or qui blesse
Vous retiendra dans ses bâtons carrés,
Et sauvera votre antique noblesse
D’enlèvements trop inconsidérés.
Je veux vous peindre.



Madrigal, à Clymène

Quoi >donc ! vous voir et vous aimer
Est un crime à vos yeux, Clymène.
Et rien ne saurait désarmer
Cette rigueur plus qu’inhumaine !
Puisque la mort de tout regret
Et de tout souci nous délivre,
J’accepte de bon cœur l’arrêt
Qui m’ordonne de ne plus vivre.



Rondeau redoublé, à Iris

Quand vous venez, ô jeune beauté blonde,
Par vos regards allumer tant de feux,
On pense voir Cypris, fille de l’Onde,
Épanouir et les Ris et les Jeux.

Chacun, épris d’un désir langoureux,
Souffre une amour à nulle autre seconde,
Et lentement voit s’entr’ouvrir les cieux
Quand vous venez, ô jeune beauté blonde !

S’il ne faut pas que votre chant réponde
Un mot d’amour à nos chants amoureux,
Pourquoi, Déesse à l’âme vagabonde,
Par vos regards allumer tant de feux ?

Laissez au vent flotter ces doux cheveux
Et découvrez cette gorge si ronde,
Si jusqu’au bout il vous plaît qu’en ces lieux
On pense voir Cypris, fille de l’Onde.

Car chacun boit à sa coupe féconde
Lorsqu’elle vient à l’Olympe neigeux
Sur les lits d’or que le plaisir inonde
Épanouir et les Ris et les Jeux.

Donc, allégez ma souffrance profonde.
C’est trop subir un destin rigoureux ;
Craignez, Iris, que mon cœur ne se fonde
À ces rayons qui partent de vos yeux
Quand vous venez !



Madrigal, à Glycère

Oui, vous m’offrez votre amitié,
Pour tous les maux que je vous conte,
Mais quoi ! c’est trop peu de moitié,
Glycère, et je n’ai pas mon compte.
Je soupire, et vous en retour
Vous me payez d’une chimère.
Pourquoi si mal traiter l’Amour ?
Ah ! vous êtes mauvaise mère !
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Sieste.

La sombre forêt, où la roche
Est pleine d’éblouissements
Et qui tressaille à mon approche,
Murmure avec des bruits charmants.

Les fauvettes font leur prière ;
La terre noire après ses deuils
Refleurit, et dans la clairière
Je vois passer les doux chevreuils.

Voici la caverne des Fées
D’où fuyant vers le bleu des cieux,
Montent des chansons étouffées
Sous les rosiers délicieux.

Je veux dormir là toute une heure
Et goûter un calme sommeil,
Bercé par le ruisseau qui pleure
Et caressé par l’air vermeil.

Et tandis que dans ma pensée
Je verrai, ne songeant à rien,
Une riche étoffe tissée
Par quelque Rêve aérien,

Peut-être que sous la ramure
Une blanche Fée en plein jour
Viendra baiser ma chevelure
Et ma bouche folle d’amour.
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Aux amis de Paul.

Ô Seigneur ! que fais-tu des voix et des yeux d’ombre
Et des pleurs à genoux !
La nuit silencieuse avec son aile sombre
A passé devant nous.

Hier, nous étions tous réunis, jeunes hommes
Aux rêves palpitants,
Gais, faisant rayonner sur la route où nous sommes
La foi de nos vingt ans ;

Sages bohémiens aux colères frivoles,
Aimant au jour le jour,
Et ne disant jamais que de bonnes paroles
D’espérance ou d’amour.

Et cependant, au lieu d’échanger sans mystère
Mille riants propos,
Nous avions tous le front incliné vers la terre
Dans un morne repos.

C’est que la terre, hélas ! cet asile et ce havre
De plaines et de monts,
Venait, hier encor, d’engloutir un cadavre
De ceux que nous aimons ;

C’est qu’il faut ici-bas que l’heureuse promesse
N’ait pas de lendemain,
Et qu’il dort maintenant, l’ami plein de jeunesse
Qui nous serrait la main !

Il dort comme autrefois, mais c’est sous une pierre
Que fouleront nos pas,
Et la nuit l’enveloppe, et sa jeune paupière
Ne se rouvrira pas !

Et quand les fleurs de Mai fleuriront sous la glace
Pour une autre saison,
Sur la terre foulée et sur la même place
Renaîtra le gazon.

Alors tout sera dit. Parmi les rameaux d’arbre
Et les touffes de fleurs
Les regards du passant verront à peine un marbre
Taché de quelques pleurs.

Alors, sans y penser davantage, la foule
Aux regards effrayés
Suivra docilement le ruisseau qui s’écoule
Dans les chemins frayés.

Mais nous qui savons tous combien son cher sourire
Fut charmant et vainqueur,
Et qui dans son regard avons toujours vu luire
Un reflet de son cœur,

Soit que la joie à flots verse dans nos poitrines
Ses trésors épanchés,
Ou que l’ennui morose et les tristes ruines
Courbent nos fronts penchés,

Nous dirons à la Mort : Pourquoi donc sous ton aile
As-tu mis le meilleur
De ceux qui nous prenaient une part fraternelle
De joie et de douleur ?

Paul qui sentait jadis de chauds baisers de flamme
Sur son front jeune et beau,
N’a pour le caresser à présent, corps sans âme,
Que le ver du tombeau.

Oh ! n’éprouve-t-il pas dans un terrible songe
Mille frissons nerveux,
Quand l’insecte, caché dans son orbite, ronge
Son crâne sans cheveux !

Et pensant à sa vie, à l’aurore si brève
Qui sur son front a lui,
Nous baisserons la tête, et comme dans un rêve
Nous pleurerons sur lui.

Car il était de ceux pour qui la vie est douce
Et sur qui cette mer
Qu’un ouragan sur nous incessamment repousse,
N’a rien laissé d’amer.

Eh bien ! en regardant ceux qui vivent ou meurent,
Ces destins répartis,
Dieu sait ceux qu’il faut plaindre, ou bien ceux qui demeurent
Ou ceux qui sont partis !

Car tandis qu’ici-bas des mains impérieuses
Bâillonnent tous nos chants,
Et qu’il nous faut lutter contre les voix rieuses
Et les hommes méchants ;

Quand nous cueillons la fleur ou l’amante profane
Avec un doux serment,
Et lorsque sur nos cœurs la fleur rose se fane
Et que la lèvre ment ;

Quand versant les trésors dont notre âme est si pleine,
Dans le riant matin
Nous marchons, à travers une sinistre plaine,
Vers le but si lointain,

Lui que nous croyons voir, ô folle rêverie !
D’un œil épouvanté,
Goûte suavement sans que rien le varie,
Le repos si vanté.

Les bruits que font ici les hommes et les choses
Battus par leurs destins,
Ne parviennent là-bas qu’à travers mille roses,
Comme des chants lointains.

Et l’Âme délivrée, auguste sœur des vierges,
Être immatériel,
Vole, blanche, à travers les draps noirs et les cierges,
Vers les palais du ciel !

Car ils avaient raison, ces sages aux longs jeûnes
Qui sous un ciel de feu
Disaient : Tout est néant, et ceux qui meurent jeunes
Sont les aimés de Dieu !
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A madame Caroline Angebert.

Chanter, mais dans le soir sonore
Et pour ses amis seulement,
Fuir le bruit qui nous déshonore
Et le vil applaudissement ;

Brûler, mais conserver sa flamme
Pour le seul but essentiel,
Être cette espérance, une âme
Qui chaque jour s’emplit de ciel ;

Avec une pensée insigne
Qui vous berce dans ses éclairs,
Vivre, blanche comme le cygne
Parmi les flots dorés et clairs ;

Ne rien chercher que la lumière,
S’envoler toujours loin du mal
Sur les ailes de la Prière,
Jusqu’au glorieux idéal ;

Sentir l’Ode au grand vol qui passe
En ouvrant ses ailes sans bruit,
Mais ne lui parler qu’à voix basse
Dans le silence et dans la nuit ;

Rappeler sa pensée errante
Dans les pourpres de l’horizon ;
Être cette fleur odorante
Qui se cache dans le gazon ;

Telle est votre gloire secrète,
Esprit de flammes étoilé,
Dont l’inspiration discrète
Fait tressaillir un luth voilé !

Ah ! que la grande poétesse,
Devant les vastes flots déserts
Maudissant la bonne Déesse,
Jette sa plainte dans les airs !

Que la douloureuse Valmore,
En arrachant l’herbe et les fleurs,
Montre à l’insoucieuse aurore
Ses beaux yeux brûlés par les pleurs !

Mais celle qui pourrait comme elles
Suivre le grand aigle irrité,
Et qui domptant ses maux rebelles
Se résigne à l’obscurité,

Celle-là, guérie en ses veines,
Sent le calme victorieux
Triompher des angoisses vaines ;
Et ces êtres mystérieux

Dont l’invincible souffle enchante
Ce qui vit et ce qui fleurit,
Disent entre eux lorsqu’elle chante :
Écoutons-la, c’est un esprit.
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A Victor Hugo.

Sur ton front brun comme la nuit,
Maître, aucun fil d’argent ne luit,
Et nul Décembre sacrilège,
Ne met sa neige.

Pourtant, dans ton labeur sacré,
Tu te vois déjà vénéré,
Ô génie immense et tranquille,
Comme un Eschyle.

À ta lèvre où passe un rayon
De la charmante Illusion,
La Gloire, innocente comme elle,
Tend sa mamelle.

Tu braves l’oubli meurtrier,
Car l’ombre noire du laurier,
Que rien ne ternit et n’efface,
Est sur ta face.

Près de toi, sous un clair manteau
Veille la chanteuse Érato,
Qui tourmente la sainte Lyre
De son délire ;

Vers Oreste, son louveteau,
Fuyant sous le sombre couteau,
La Tragédie aux yeux de spectre
Conduit Électre,

Et se mirant dans tes yeux clairs
Avec sa foudre et ses éclairs,
La mystérieuse Épopée
Tient son épée.

Ces Muses se penchent vers toi
En te disant : Tu seras roi,
Et leurs yeux baignent de lumière
Ta face altière.

Cependant tu souris au jour !
Le souffle embrasé de l’amour
Caresse encor de sa brûlure
Ta chevelure ;

Ta lèvre, faite pour oser,
N’a pas épuisé le baiser
Délicieux de la jeunesse,
Cette Faunesse,

Et ta joue heureuse, où nul pli
N’a creusé de sillon pâli,
Peut encore à la Piéride
S’offrir sans ride.

Tel celui qu’on divinisa,
Lyaeus, partait de Nysa,
Enfant encor, jeune et superbe,
La joue imberbe,

Pour dompter l’Inde au ciel de feu,
Qui respire le lotus bleu
Et qui prend les poses subtiles
De ses reptiles ;

Et qui près des flots radieux
Caresse et nourrit mille Dieux,
Parmi ses fleurs où l’écarlate
Partout éclate !

Mais toi, Maître aux vœux absolus,
Tu poursuis une amante plus
Charmante qu’elle, une martyre
Qui nous attire ;

C’est la vierge à l’œil irrité,
L’inéluctable Vérité
Qui montre sa blancheur d’étoile
Nue et sans voile.

Captive dans la tour d’airain,
Comme une perle en son écrin,
Mille eunuques hideux la gardent
Et la regardent.

Pour aller jusqu’à sa prison
Qu’on voit au bout de l’horizon,
Il faut franchir des monts, des cimes
Et des abîmes ;

Roi, pour gravir jusqu’à son cœur,
Il faudra terrasser, vainqueur,
Des hydres, des géants colosses,
De noirs molosses ;

Mais elle tend ses blanches mains
Vers toi, qui viens par ses chemins
Et dont l’armure d’or flamboie
Ivre de joie ;

Et toi, Désir âpre et vivant,
Tu ne peux t’arrêter avant
D’avoir sur sa lèvre farouche
Posé ta bouche !
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Les imprécations d’une Cariatide.

Puisse le Dieu vivant dessécher la paupière
À qui m’a mise là vivante sous la pierre,
Et, comme un enfant porte un manteau de velours,
M’a forcée à porter ces édifices lourds,
Ces vieux murs en haillons, ces maisons condamnées,
Dont le gouffre est si plein de choses et d’années
Que je me sentirais moins de crispations
À tenir sur mon dos les Tyrs et les Sions
Que laissa choir le monde aux deux bras atlastiques,
Ou bien à soulever les vagues élastiques
Sommeillant à demi dans les noirs Océans
Comme dans son désert le troupeau des géants !
Si bien que mieux vaudrait sous la blonde phalange
Tomber, comme Jacob dans sa lutte avec l’ange,
Ou soutenir du front avec les yeux ouverts
Gœthe, dont la pensée était un univers !
Oh ! si le feu divin qui brûla les Sodomes,
Fait palpiter un jour ces pierres et ces dômes,
Ces clochetons à dents, ces larges escaliers
Que dans l’ombre une main gigantesque a liés,
Ces monolithes noirs qui n’ont fait qu’une rampe,
Ces monstres vomissants dont la cohorte rampe
De la fondation jusqu’à l’entablement,
Ces granits attachés impérissablement ;
Si ce monde sur eux se déchire et s’écroule
Sous le souffle embrasé de ce simoun que roule
Sans pitié l’ouragan des révolutions
Sur les peuples trop pleins de leurs pollutions ;
Si, dégageant alors son bras et sa mamelle
Du vieux mur qui gémit et qui souffre comme elle,
Ma colère à son tour peut jeter sur leur dos
Une expiation et choisir les fardeaux,
Je mettrai ce jour-là sur l’épaule des hommes,
Au lieu des monuments, tombeaux sous qui nous sommes,
Au lieu des clochetons et des granits quittés,
Le poids intérieur de leurs iniquités !
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L'auréole.

C’était la fin d’un bal ; nous étions presque à l’heure
Où sous la volupté l’archet frissonne et pleure,
Où sous les gants flétris les doigts serrent les doigts,
Où les fleurs et les pas, les rayons et les voix
Et la gaze envolée en un tourbillon frêle
Jettent au cœur troublé leur parfum qui se mêle ;
À l’heure où l’on croit voir en ces enivrements
Des maîtresses d’un jour caresser leurs amants,
Et les fresques sourire, et l’extase physique
Voler dans l’air, mêlée à des flots de musique !
Tantôt c’était la joie, et le quadrille ardent
Qui se mêle et s’effare et s’élance en grondant,
Qui tantôt rit et chante en strophes inégales,
Puis s’arrête et bondit en éclats de cymbales,
Et penche sur les fronts plus d’un front endormi
Que des mots bégayés font rougir à demi !
Puis la valse emportant dans son rhythme, pensive
Comme un myosotis incliné sur la rive,
Une vierge aux yeux bleus, et dont l’accent vainqueur
La met si près de nous qu’on sent battre son cœur,
Et que, dans cette fièvre ardente et souveraine,
L’enfant, sans rien comprendre au charme qui l’entraîne,
Parmi le chœur immense, a l’air, en se penchant,
D’un ange fasciné par le démon du chant !
Comme dans la clarté les femmes étaient belles !
Celles-ci laissant voir, sous leurs cheveux rebelles,
Des rayons éblouis qui baisaient leurs fronts blancs ;
D’autres, les yeux voilés, comme des lys tremblants
Qui par un soir d’été pleurent sous la rafale,
Baissant leur cou soyeux veiné de tons d’opale ;
Toutes ivres d’amour, et pour l’œil enchanté,
Surpassant l’hyperbole et l’idéalité !
Et je noyais mes yeux dans ces cheveux en tresses,
Et je jetais mon âme à ces enchanteresses
Si pâles qu’on eût dit ces essaims de Willis
Qui sortent en dansant des corolles de lys !
Mais tout changea bientôt et je n’en vis plus qu’une :
De même, quand Phœbé sur le char de la lune
Apparaît dans les cieux de saphir et d’azur,
Tout se voile et s’efface, et son front seul est pur.
Celle que j’entrevis en oubliant les autres,
Madame, avait des yeux brillants comme les vôtres,
Des cheveux d’or, des mains qui n’avaient rien d’humain,
Et des pieds à tenir dans le creux de la main.
Ajoutez un cou mat de cette blancheur rare
Qui fait paraître jaune un marbre de Carrare,
Et deux bras qui prouvaient, ineffable collier,
Que Lysippe à Samos ne fut qu’un écolier !
Je cherchai donc en moi quelle rouerie exquise
Prendrait et séduirait cette blonde marquise
Plus rapide en sa course avec son front riant
Que n’était Lazzara, Camille d’Orient.
Mais quand je m’approchai, je vis sa tête ceinte
D’un tel rayonnement de pudeur grave et sainte,
Il était si divin, le rhythme de ses pas,
Que, don Juan dérouté, je n’osai même pas
Comme le docteur Faust, en me penchant vers elle,
Lui dire à demi-voix : Ma belle demoiselle !
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Prosopopée d’une Vénus.

Hélas ! devant le noir feuillage de cet arbre,
J’ai le cœur tout glacé dans ma robe de marbre,
Et par mes yeux, troués d’ulcères inconnus,
La pluie en gémissant pleure sur mes bras nus.
Entre mes pieds, jadis plus blancs que des étoiles,
Arachné lentement tisse de fines toiles,
Et tu n’es plus, Scyllis, pour que sous ton ciseau
Je me relève un jour souple comme un roseau !
En ce temps où la fleur se cache sous les herbes,
Nul ne sait le secret de nos formes superbes,
Nul ne sait revêtir quelque rêve éclatant
De contours gracieux, et dans son cœur n’entend
L’harmonie imposante et la sainte musique
Où chantent les accords de la beauté physique !
Hélas ! qui me rendra ces jours pleins de clarté
Où l’on ne m’appelait que Vénus Astarté,
Où, seule, ma pensée habitait sous la pierre,
Mais où mon corps vivait dans la nature entière,
Où Glycère et Lydie, où Clymène et Phyllis
Portaient mes noms écrits sur leurs gorges de lys ;
Où, pour l’artiste élu qui pare et qui contemple,
Chaque âge avait un nom, chaque harmonie un temple.
Oh ! trois et quatre fois malheur au siècle d’or
Où l’artiste éperdu foule aux pieds son trésor !
Car il ignore, hélas ! par quel grave mystère
Je venais pour instruire et féconder la terre,
Et pour épanouir dans mon type indompté
Le secret de l’extase et de la volupté !
Car à chaque morceau qui se brise et qui tombe
De mon vieux piédestal, la divine colombe
Que depuis trois mille ans je retiens dans ma main
Fait un nouvel effort pour s’ouvrir un chemin ;
Et, délaissant un jour l’enveloppe brisée,
Nous nous envolerons vers la voûte irisée,
Emportant toutes deux loin de ce monde vain,
La beauté dédaignée avec l’amour divin !
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Le stigmate.

Une nuit qu’il pleuvait, un poète profane
M’entraîna follement chez une courtisane
Aux épaules de lys, dont les jeunes rimeurs
Couronnaient à l’envi leur corbeille aux primeurs.
Donc, je me promettais une femme superbe
Souriant au soleil comme les blés en herbe,
Avec mille désirs allumés dans ces yeux
Qui reflètent le ciel comme les bleuets bleus.
Je rêvais une joue aux roses enflammées,
Des seins très à l’étroit dans des robes lamées,
Des mules de velours à des pieds plus polis
Que les marbres anciens par Dypœne amollis,
Dans une bouche folle aux perles inconnues
La Muse d’autrefois chantant des choses nues,
Des Boucher fleurissants épanouis au mur,
Et des vases chinois pleins de pays d’azur.
Hélas ! qui se connaît aux affaires humaines ?
On se trompe aux Agnès tout comme aux Célimènes :
Toute prédiction est un rêve qui ment !
Ainsi jugez un peu de mon étonnement
Lorsque la Nérissa de la femme aux épaules
Vint, avec un air chaste et des cheveux en saules,
Annoncer nos deux noms, et que je vis enfin
L’endroit mystérieux dont j’avais eu si faim.
C’était un oratoire à peine éclairé, grave
Et mystique, rempli d’une fraîcheur suave,
Et l’œil dans ce réduit calme et silencieux
Par la fenêtre ouverte apercevait les cieux.
Le mur était tendu de cette moire brune
Où vient aux pâles nuits jouer le clair de lune,
Et pour tout ornement on y voyait en l’air
La Melancholia du maître Albert Dürer,
Cet Ange dont le front, sous ses cheveux en ondes,
Porte dans le regard tant de douleurs profondes.
Sur un meuble gothique aux flancs noirs et sculptés
Parlant des voix du ciel et non des voluptés,
Souriait tristement une Bible entr’ouverte
Sur une tranche d’or ouvrant sa robe verte.
Pour la femme, elle était assise, en peignoir brun,
Sur un pauvre escabeau. Ses cheveux sans parfum
Retombaient en pleurant sur sa robe sévère.
Son regard était pur comme une primevère
Humide de rosée. Un long chapelet gris
Roulait sinistrement dans ses doigts amaigris,
Et son front inspiré, dans une clarté sombre
Pâlissait tristement, plein de lumière et d’ombre !
Mais bientôt je vis luire, en m’approchant plus près
Dans ce divin tableau, sombre comme un cyprès,
Dont mon premier regard n’avait fait qu’une ébauche,
Aux lèvres de l’enfant le doigt de la débauche,
Sur les feuillets du livre une tache de vin.
Et je me dis alors dans mon cœur : C’est en vain
Que par les flots de miel on déguise l’absinthe,
Et l’orgie aux pieds nus par une chose sainte.
Car Dieu, qui ne veut pas de tare à son trésor
Et qui pèse à la fois dans sa balance d’or
Le prince et la fourmi, le brin d’herbe et le trône,
Met la tache éternelle au front de Babylone !
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Vénus couchée.

L’été brille ; Phœbus perce de mille traits,
En haine de sa sœur, les vierges des forêts,
Et dans leurs flancs brûlés de flammes vengeresses
Il allume le sang des jeunes chasseresses.
Dans les sillons rougis par les feux de l’été,
Entouré d’un essaim, le bœuf ensanglanté
Marche les pieds brûlants sous de folles morsures.
Tout succombe : au lointain les Nymphes sans ceintures
Avec leurs grands cheveux par le soleil flétris
Épongent leurs bras nus dans les fleuves taris,
Et, fuyant deux à deux le sable des rivages,
Vont cacher leurs ardeurs dans les antres sauvages.
Dans le fond des forêts, sous un ciel morne et bleu,
Vénus, les yeux mourants et les lèvres en feu,
S’est couchée au milieu des grandes touffes d’herbe
Ainsi qu’une panthère indolente et superbe.
Dénouant son cothurne et son manteau vermeil,
Elle laisse agacer par les traits du soleil
Les beaux reins d’un enfant qui dort sur sa poitrine,
Et tandis que frémit sa lèvre purpurine,
Un ruisseau murmurant sur un lit de graviers,
Amoureux de Cypris, vient lui baiser les pieds.
Sur son beau sein de neige Éros maître du monde
Repose, et les anneaux de sa crinière blonde
Brillent, et cependant qu’un doux zéphyr ami
Caresse la guerrière et son fils endormi,
Près d’eux gisent parmi l’herbe verte et la menthe
Les traits souillés de sang et la torche fumante.
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Leïla.

Il semble qu’aux sultans Dieu même
Pour femmes donne ses houris.
Mais, pour moi, la vierge qui m’aime,
La vierge dont je suis épris, ―

Les sultanes troublent le monde
Pour accomplir un de leurs vœux. ―
La vierge qui m’aime est plus blonde
Que les sables sous les flots bleus.

Le duvet où leur front sommeille
Au poids de l’or s’amoncela. ―
Rose, une rose est moins vermeille
Que la bouche de Leïla.

Elles ont la ceinture étroite,
Les perles d’or et le turban. ―
Sa taille flexible est plus droite
Que les cèdres du mont Liban !

Le hamac envolé se penche
Et les berce en son doux essor. ―
L’étoile au front des cieux est blanche,
Mais sa joue est plus blanche encor.

Elles ont la fête nocturne
Aux lueurs des flambeaux tremblants. ―
Ses bras comme des anses d’urne
S’arrondissent polis et blancs.

Elles ont de beaux bains de marbre
Où sourit le ciel étoilé. ―
Comme elle dormait sous un arbre,
J’ai vu son beau sein dévoilé.

Chaque esclave au tyran veut plaire
Comme chaque fleur au soleil. ―
Elle n’a pas eu de colère
Quand j’ai troublé son cher sommeil,

Dans leurs palais d’or, prisons closes,
Leurs chants endorment leurs ennuis. ―
Elle m’a dit tout bas des choses
Que je rêve tout haut les nuits !

Sa Hautesse les a d’un signe.
Il est le seul et le premier. ―
Ses bras étaient comme la vigne
Qui s’enlace aux bras du palmier !

Quand un seul maître a cent maîtresses,
Un jour n’a pas de lendemain. ―
Elle m’inondait de ses tresses
Pleines d’un parfum de jasmin !

Ce sont cent autels pour un prêtre,
Ou pour un seul char cent essieux. ―
Nous avons cru voir apparaître
La neuvième sphère des cieux !

Quelquefois les sultanes lèvent
Un coin de leur voile en passant. ―
Nous avions l’extase que rêvent
Les élus du Dieu tout-puissant !

Mais ce crime est la perte sûre
Des amants, toujours épiés. ―
Laissez-moi baiser sa chaussure
Et mettre mon front sous ses pieds !
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Bien souvent je revois.

Bien souvent je revois sous mes paupières closes,
La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses,
Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul,
Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul,
Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes,
Le ciel de mon enfance où volent des colombes,
Les larges tapis d’herbe où l’on m’a promené
Tout petit, la maison riante où je suis né
Et les chemins touffus, creusés comme des gorges,
Qui mènent si gaiement vers ma belle Font-Georges,
À qui mes souvenirs les plus doux sont liés.
Et son sorbier, son haut salon de peupliers,
Sa source au flot si froid par la mousse embellie
Où je m’en allais boire avec ma sœur Zélie,
Je les revois ; je vois les bons vieux vignerons
Et les abeilles d’or qui volaient sur nos fronts,
Le verger plein d’oiseaux, de chansons, de murmures,
Les pêchers de la vigne avec leurs pêches mûres,
Et j’entends près de nous monter sur le coteau
Les joyeux aboiements de mon chien Calisto !
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Loys.

Mon Loys, j’ai sous vos prunelles,
Oublié, dans mon cœur troublé,
Mon époux qui s’en est allé
Pour combattre les infidèles.
Quand nous le croirons loin encor,
Il sera là, Dieu nous pardonne !
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

J’ai lu dans un ancien poème
Qu’une autre Yolande autrefois
Près de son page Hector de Foix
Oublia son époux de même.
Elle gardait comme un trésor
Ces extases que l’amour donne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Cette Yolande était duchesse,
Mille vassaux étaient son bien,
Et son bel ami n’avait rien
Que ses cheveux blonds pour richesse.
Pour cet enfant aux cheveux d’or
La dame eût vendu sa couronne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Ces amants qu’un doux rêve assemble,
Ont souvent passé plus d’un jour
À se dire des chants d’amour,
Ou bien à regarder ensemble
Les oiseaux prendre leur essor
Vers l’azur qui tremble et frissonne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Ou bien ils passaient leurs journées
À revoir d’auréoles ceints
Les bonnes Vierges et les Saints
Dans les Bibles enluminées.
L’Amour dit son confiteor
Sans écouter l’heure qui sonne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Comme leurs lèvres en délire
Un soir longuement s’assemblaient,
En des baisers qui ressemblaient
Aux frémissements d’une lyre,
On entendit au corridor
Les pas de l’époux en personne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Sais-tu quel sort on nous destine ?
Le malheureux page exilé,
Plein d’un regret inconsolé,
Alla mourir en Palestine.
Toujours pleurant son cher Hector,
La dame au couvent mourut nonne. ―
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
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Amour angélique.

L’ange aimé qu’ici-bas je révère et je prie
Est une enfant voilée avec ses longs cheveux,
À qui le ciel, pour qu’elle nous sourie,
À donné le regard de la vierge Marie.

Âme que l’azur expatrie
Pour qu’elle recueille nos vœux,
Jeune âme limpide et fleurie
Comme les fleurs de la prairie
Aux calices roses ou bleus !

Comme l’autre Éloa, c’est la sœur des archanges,
Qui pour nous faire vivre aux mystiques amours,
A quitté les blondes phalanges
Et souille ses pieds blancs à parcourir nos fanges.

Aussi nos ferveurs sont étranges :
Ce sont des rêves sans détours,
Ce sont des plaisirs sans mélanges,
Des extases et des échanges
Qui dureront plus que les jours !

C’est un chemin frayé plein d’une douce joie,
Un vase de parfums, une coupe de miel,
Un météore qui flamboie
Comme un beau chérubin dans sa robe de soie.

Il ne craint pas que Dieu le voie :
C’est un amour pur et sans fiel
Où toute notre âme se noie
Et dont l’aile ne se déploie
Que pour s’élancer vers le ciel !
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Idôlatrie.

Mètre divin, mètre de bonne race,
Que nous rapporte un poète nouveau,
Toi qui jadis combattais pour Horace,
Rhythme de Sappho !

Fais-moi fléchir la belle nymphe éprise
Que je désire avec un doux émoi,
Quoique son cœur pour Diane méprise
Et Vénus et moi !

Car chaque nuit, les Grâces, troupe nue,
Viennent baiser, dans un céleste accord,
Son chaste sein, lorsque cette ingénue
Lydia s’endort.

Si folâtrant avec les chasseresses,
Elle s’ébat dans vos flots querelleurs,
Oh ! faites-lui vos plus folles caresses,
Naïades en pleurs !

Inspire-moi, toi qui portes la lyre,
Toi dont le char devance l’aquilon,
Des chants que brûle un amoureux délire,
Phœbus Apollon !

Et toi, Cypris, veux-tu la prendre au piège ?
Alors je t’offre avec un myrte vert
Des tourtereaux plus blancs que n’est la neige
Ou le lys ouvert !
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La nuit de printemps.

C’était la veille de Mai
Un soir souriant de fête,
Et tout semblait embaumé
D’une tendresse parfaite.

De son lit à baldaquin,
Le Soleil sur son beau globe
Avait l’air d’un Arlequin
Étalant sa garde-robe,

Et sa sœur au front changeant,
Mademoiselle la Lune
Avec ses grands yeux d’argent
Regardait la Terre brune,

Et du ciel, où, comme un roi,
Chaque astre vit de ses rentes,
Contemplait avec effroi
Le lac aux eaux transparentes.

Comme, avec son air trompeur,
Colombine, qu’on attrape,
À la fin du drame a peur
De tomber dans une trappe.

Tous les jeunes Séraphins,
À cheval sur mille nues,
Agaçaient de regards fins
Leurs comètes toutes nues.

Sur son trône, le bon Dieu,
Devant qui le lys foisonne,
Comme un seigneur de haut lieu
Que sa grandeur emprisonne,

À ces intrigues d’enfants
N’ayant pas daigné descendre,
Les laissait, tout triomphants,
Le tromper comme un Cassandre.

Or, en même temps qu’aux cieux,
C’était comme un grand remue-
Ménage délicieux,
Sur la pauvre terre émue.

Des Sylphes, des Chérubins,
S’occupaient de mille choses,
Et sous leurs fronts de bambins
Roulaient de gros yeux moroses.

Quel embarras, disaient-ils
Dans leurs langages superbes ;
À ces fleurs pas de pistils,
Pas de bleuets dans ces herbes !

Dans ce ciel pas de saphirs,
Pas de feuilles à ces arbres !
Où sont nos frères Zéphyrs
Pour embaumer l’eau des marbres ?

Hélas ! comment ferons-nous ?
Nous méritons qu’on nous tance ;
Le bon Dieu sur nos genoux
Va nous mettre en pénitence !

Car hier au bal dansant,
Où, sorti pour ses affaires,
Il mariait en passant
Deux Soleils avec leurs Sphères,

Nous avons de notre main
Promis sur le divin cierge
Son mois de mai pour demain
À notre dame la Vierge !

Hélas ! jamais tout n’ira
Comme à la saison dernière,
Bien sûr on nous punira
De l’école buissonnière.

Pour ce Mai qu’on nous promet
Ils versent des pleurs de rage,
Et vite chacun se met
À commencer son ouvrage.

Penchés sur les arbrisseaux,
Les uns, au milieu des prées,
Avec de petits pinceaux
Peignent les fleurs diaprées,

Et, de face ou de profil,
Après les branches ouvertes
Attachent avec un fil
De petites feuilles vertes.

Les autres au papillon
Mettent l’azur de ses ailes,
Qu’ils prennent sur un rayon
Peint des couleurs les plus belles.

Des Ariels dans les cieux,
Assis près de leurs amantes,
Agitent des miroirs bleus
Au-dessus des eaux dormantes.

Sur la vague aux cheveux verts
Les Ondins peignent la moire,
Et lui serinent des vers
Trouvés dans un vieux grimoire.

Les Sylphes blonds dans son vol
Arrêtent l’oiseau qui chante,
Et lui disent : Rossignol,
Apprends ta chanson touchante ;

Car il faut que pour demain
On ait la chanson nouvelle.
Puis le cahier d’une main,
De l’autre ils lui tiennent l’aile

Et ceux-là, portant des fleurs
Et de jolis flacons d’ambre,
S’en vont, doux ensorceleurs,
Voir mainte petite chambre,

Où mainte enfant, lys pâli,
Écoute, endormie et nue,
Fredonner un bengali
Dans son âme d’ingénue.

Ils étendent en essaim
Mille roses sur sa lèvre,
Un peu de neige à son sein,
Dans son cœur un peu de fièvre.

Aucun ne sera puni,
La Vierge sera contente :
Car nous avons tout fourni,
Ce qui charme et ce qui tente !

Et Sylphes, et Chérubins,
Ce joli torrent sans digue,
Vont se délasser aux bains
Du bruit et de la fatigue.

Dieu soit béni, disent-ils,
Nous avons fini la chose !
Aux fleurs voici les pistils,
Des parfums, du satin rose ;

Au papillon bleu son vol,
Aux bois rajeunis leur ombre,
Son doux chant au rossignol
Caché dans la forêt sombre !

Voici leur saphir aux cieux
Dans la lumière fleurie,
À l’herbe ses bleuets bleus,
Pour que la Vierge sourie !

Mais ce n’est pas tout encor,
Car ils me disent : Poète !
Voilà mille rimes d’or,
Pour que tu sois de la fête.

Prends-les, tu feras des chants
Que nous apprendrons aux roses,
Pour les dire lorsqu’aux champs
Elles s’éveillent mi-closes.

Et certes mon rêve ailé
Eût fait une hymne bien belle
Si ce qu’ils m’ont révélé
Fût resté dans ma cervelle.

Ils murmuraient, Dieu le sait,
Des rimes si bien éprises !
Mais le Zéphyr qui passait
En passant me les a prises !
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Dernière angoisse.

Au moment de jeter dans le flot noir des villes
Ces choses de mon cœur, gracieuses ou viles,
Que boira le gouffre sans fond,
Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses,
Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses,
Je me sens un trouble profond.

Dans ces rhythmes polis où mon destin m’attache
Je devrais servir mieux la Muse au front sans tache ;
Au lieu de passer en riant,
Sur ces temples sculptés dont l’éclat tourbillonne
Je devrais faire luire un flambeau qui rayonne
Comme une étoile à l’Orient ;

Rebâtir avec soin les histoires anciennes,
À chaque monument redemander les siennes,
Dont le souvenir a péri ;
Chanter les dieux du Nord dont la splendeur étonne,
À côté de Vénus et du fils de Latone
Peindre la Fée et la Péri ;

Ranimer toute chose avec une syllabe,
L’ogive et ses vitraux de feu, le trèfle arabe,
Le cirque, l’église et la tour,
Le château fort tout plein de rumeurs inouïes,
Et le palais des rois, demeures éblouies
Dont chacune règne à son tour ;

Les murs Tyrrhéniens aux majestés hautaines,
Les granits de Memphis et les marbres d’Athènes
Qu’un regard du soleil ambra,
Et des temps révolus éveillant le fantôme,
Faire briller auprès d’un temple polychrome
Le Colisée et l’Alhambra !

J’aurais dû ranimer ces effroyables guerres
Dont les peuples mourants s’épouvantaient naguères,
Meurtris sous un rude talon,
Dire Attila suivi de sa farouche horde,
Charlemagne et César, et celui dont l’exorde
Fut le grand siège de Toulon !

Puis, après tous ces noms, sur la page choisie
Écrire d’autres noms d’art et de poésie,
Dont le bataillon espacé
Par des poèmes d’or, dont la splendeur enchaîne
L’époque antérieure à l’époque prochaine,
Illumine tout le passé !

Dans ce grand Panthéon, des dalles jusqu’aux cintres
Graver des noms sacrés de chanteurs et de peintres,
D’artistes rêvés ardemment ;
À chacun, soit qu’il cherche un poème sous l’arbre,
Ou qu’il jette son cœur dans la note ou le marbre,
Faire une place au monument !

Dire Moïse, Homère à la voix débordante
Qui contenait en lui Tasse, Virgile et Dante ;
Dire Gluck, penché vers l’Éden,
Mozart, Gœthe, Byron, Phidias et Shakspere,
Molière, devant qui toute louange expire,
Et Raphaël et Beethoven !

Montrer comment Rubens, Rembrandt et Michel-Ange
Mélangeaient la couleur et pétrissaient la fange
Pour en faire un Jésus en croix ;
Et comment, quand mourait notre Art paralytique
Apparurent, guidés par l’instinct prophétique,
Le grand Ingres et Delacroix !

Comment la Statuaire et la Musique aux voiles
Transparents, ont porté nos cœurs jusqu’aux étoiles ;
Nommer David, sculptant ses Dieux,
Rossini, gaieté, joie, ivresse, amour, extase,
Et Meyerbeer, titan ravi sur un Caucase
Dans l’ouragan mélodieux !

Mais surtout dire à tous que tu grandis encore,
Ô notre chêne ancien que le vieux gui décore,
Arbre qui te déchevelais
Sur le front des aïeux et jusqu’à leur épaule,
Car Gautier et Balzac sont encore la Gaule
De Villon et de Rabelais !

Montrer l’Antiquité largement compensée,
Et comparant de loin ces œuvres de pensée
Qu’un sublime destin lia,
Répéter après eux, dans leur langage énorme,
Ce que disent les vers de Marion Delorme
Aux chapitres de Lélia !

Pas à pas dans son vers suivre chaque poème,
Chaque création arrachée au ciel même,
Et surtout le vers de Musset,
Fantasio divin, qui, soit qu’il se promène
Dans les rêves du ciel ou la souffrance humaine,
Devient un vers que chacun sait !

Enfin, pour un moment traînant mes Muses blanches
Sur les hideux tréteaux et les sublimes planches,
Aller demander au public
Les noms de ceux qui font sa douleur ou son rire,
Puis, avant tous ces noms, sur le feuillet inscrire
George, Dorval et Frédérick !

Ainsi, des temps passés relevant l’hyperbole,
Et, comme un pèlerin, apportant mon obole
À tout ce qui luit fort et beau,
J’aurais voulu bâtir sur l’arène mouvante
Un monument hardi pour la gloire vivante,
Pour la gloire ancienne un tombeau !

Hélas ! ma folle Muse est une enfant bohème
Qui se consolera d’avoir fait un poème
Dont le dessin va de travers,
Pourvu qu’un beau collier pare sa gorge nue,
Et que, charmante et rose, une fille ingénue
Rie ou pleure en lisant ses vers.
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Les Cariatides.

C’est un palais du dieu, tout rempli de sa gloire.

Cariatides sœurs, des figures d’ivoire
Portent le monument qui monte à l’éther bleu,
Fier comme le témoin d’une immortelle histoire.

Quoique l’archer Soleil avec ses traits de feu
Morde leurs seins polis et vise à leurs prunelles,
Elles ne baissent pas les regards pour si peu.

Même le lourd amas des pierres solennelles
Sous lesquelles Atlas plierait comme un roseau,
Ne courbera jamais leurs têtes fraternelles.

Car elles savent bien que le mâle ciseau
Qui fouilla sur leurs fronts l’architrave et les frises
N’en chassera jamais le zéphyr et l’oiseau.

Hirondelles du ciel, sans peur d’être surprises
Vous pouvez faire un nid dans notre acanthe en fleur :
Vous n’y casserez pas votre aile, tièdes brises.

Ô filles de Paros, le sage ciseleur
Qui sur ces médaillons a mis les traits d’Hélène
Fuit le guerrier sanglant et le lâche oiseleur.

Bravez même l’orage avec son âpre haleine
Sans craindre le fardeau qui pèse à votre front,
Car vous ne portez pas l’injustice et la haine.

Sous vos portiques fiers, dont jamais nul affront
Ne fera tressaillir les radieuses lignes,
Les héros et les Dieux de l’amour passeront.

Les voyez-vous, les uns avec des folles vignes
Dans les cheveux, ceux-là tenant contre leur sein
La lyre qui s’accorde au chant des hommes-cygnes ?

Voici l’aïeul Orphée, attirant un essaim
D’abeilles, Lyaeus qui nous donna l’ivresse,
Éros le bienfaiteur et le pâle assassin.

Et derrière Aphrodite, ange à la blonde tresse,
Voici les grands vaincus dont les cœurs sont brisés,
Tous les bannis dont l’âme est pleine de tendresse ;

Tous ceux qui sans repos se tordent embrasés
Par la cruelle soif de l’amante idéale,
Et qui s’en vont au ciel, meurtris par les baisers,

Depuis Phryné, pareille à l’aube orientale,
Depuis cette lionne en quête d’un chasseur
Qui but sa perle au fond de la coupe fatale,

Jusqu’à toi, Prométhée, auguste ravisseur !
Jusqu’à don Juan qui cherche un lys dans les tempêtes !
Jusqu’à toi, jusqu’à toi, grande Sappho, ma sœur !

J’ai voulu, pour le jour des éternelles fêtes
Réparer, fils pieux de leur gloire jaloux,
Le myrte et les lauriers qui couronnent leurs têtes.

J’ai lavé de mes mains leurs pieds poudreux. Et vous,
Plus belles que le chœur des jeunes Atlantides,
Alors qu’ils vous verront d’un œil terrible et doux,

Saluez ces martyrs, ô mes Cariatides !
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Le saut du tremplin.

Clown admirable, en vérité !
Je crois que la postérité,
Dont sans cesse l’horizon bouge,
Le reverra, sa plaie au flanc.
Il était barbouillé de blanc,
De jaune, de vert et de rouge.

Même jusqu’à Madagascar
Son nom était parvenu, car
C’était selon tous les principes
Qu’après les cercles de papier,
Sans jamais les estropier
Il traversait le rond des pipes.

De la pesanteur affranchi,
Sans y voir clair il eût franchi,
Les escaliers de Piranèse.
La lumière qui le frappait
Faisait resplendir son toupet
Comme un brasier dans la fournaise.

Il s’élevait à des hauteurs
Telles, que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
Ils le trouvaient décourageant,
Et murmuraient : « Quel vif-argent
Ce démon a-t-il dans les veines ? »

Tout le peuple criait : « Bravo ! »
Mais lui, par un effort nouveau,
Semblait roidir sa jambe nue,
Et, sans que l’on sût avec qui,
Cet émule de la Saqui
Parlait bas en langue inconnue.

C’était avec son cher tremplin.
Il lui disait : « Théâtre, plein
D’inspiration fantastique,
Tremplin qui tressailles d’émoi
Quand je prends un élan, fais-moi
Bondir plus haut, planche élastique !

« Frêle machine aux reins puissants,
Fais-moi bondir, moi qui me sens
Plus agile que les panthères,
Si haut que je ne puisse voir
Avec leur cruel habit noir
Ces épiciers et ces notaires !

« Par quelque prodige pompeux,
Fais-moi monter, si tu le peux,
Jusqu’à ces sommets où, sans règles,
Embrouillant les cheveux vermeils
Des planètes et des soleils,
Se croisent la foudre et les aigles.

« Jusqu’à ces éthers pleins de bruit,
Où, mêlant dans l’affreuse nuit
Leurs haleines exténuées,
Les autans ivres de courroux
Dorment, échevelés et fous,
Sur les seins pâles des nuées.

« Plus haut encor, jusqu’au ciel pur !
Jusqu’à ce lapis dont l’azur
Couvre notre prison mouvante !
Jusqu’à ces rouges Orients
Où marchent des Dieux flamboyants,
Fous de colère et d’épouvante.

« Plus loin ! plus haut ! je vois encor
Des boursiers à lunettes d’or,
Des critiques, des demoiselles
Et des réalistes en feu.
Plus haut ! plus loin ! de l’air ! du bleu !
Des ailes ! des ailes ! des ailes ! »

Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut,
Qu’il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour,
Et, le cœur dévoré d’amour,
Alla rouler dans les étoiles.
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