Citations de Thierry Crouzet (132)
C’était une addiction pire que la cigarette, une addiction à la médiocrité. Julien courait de boutique en boutique. Il entra dans plusieurs restaurants. Odeurs de fritures ou de sauces tomates. Pizza italienne, sushi japonais, bacalhau portugaise. Les bouches s’ouvraient et se refermaient. Lèvres luisantes, dents tâchées de détritus salivaires, œsophages rongés par la vinasse.
Les ordinateurs, eux, ne rêvaient pas, ça leur manquait. Pourtant, quand ils n’effectuaient aucune opération, leur processeur calculait dans le vide faute de savoir-faire autrement. C’était une forme de rêve élémentaire. Il ne faudrait jamais débrancher les ordinateurs, il faudrait les laisser écrire aléatoirement leurs programmes. Julien s'était mis dans une situation identique : il ne choisissait plus son avenir, ayant confié son destin aux mains du tueur de Michel.
La tune n’est pas le sang qui irrigue votre corps, ni la sève qui avive vos passions, ni la ferveur qui enflamme vos idées. La tune n’est précieuse que pour celui qui ignore les dimensions non économiques de l’existence et refuse le partage des expériences. La tune n’est qu’un concept de riches; tournez-leur le dos. Ne vous définissez plus dans l’opposition mais par vous-même, par votre unicité.
Je m'attends au pire dans les années à venir. On nous fera pousser des antennes pour remplacer nos téléphones et des fous tenteront de nous exterminer.
J'ai toujours détesté l'incertitude (...) J'aime planifier ma vie et je suis condamnée à attendre qu'un événement extérieur décide pour moi. Je pensais que tout problème avait une solution et je suis incapable de trouver une issue à ma situation. Cet état de panique m'anéantit.
La doctrine de Zénon ne convient qu'à Zénon, celle d'Épicure qu'à Épicure. Les autres hommes ne pouvant s'y appliquer de tout leur être. Ils oscillent entre le dogme et leurs propres aspirations. Accepter les idées d'un philosophe ne pose pas en soi de difficulté, il est en revanche plus exigeant de se conformer à ce qu'elles impliquent. C'est même impossible sans la faveur des contingences : si Épicure n'avait pas souffert de troubles intestinaux, il aurait inventé un épicurisme moins austère. Les disciples ne doivent pas être blâmés. Ils se coulent au mieux dans des doctrines taillées pour d'autres qu'eux.
La bibliothèque provoque cette réflexion. Parce qu'elle met en contact des textes étrangers, il devient possible de penser la relativité des savoirs. Elle pourrait être un centre de bonheur, le foyer d'une lumière nouvelle et dévastatrice. Les savants en oublient qu'ils forment une communauté et perdent le sens de la mesure. Ils s'autorisent à railler une œuvre dont ils n'ont lu qu'une phrase. Ils accusent leurs collègues de stupidité sans prendre garde de ne pas être plus stupides qu'eux. Ces orgueilleux n'ajoutent plus aucune beauté à leur vie.
La complexité est inhérente à l'existence puisqu'elle découle de la simplicité. (p272)
Il fallait construire des bateaux géants. Se lancer dans un tour du monde suicidaire. Mourir en héros plutôt qu’étouffer sous les coups d’une armée de fonctionnaires chétifs, préoccupés de leur pouvoir dérisoire, jamais attirés par la grandeur ou la beauté glorieuse.
Mener plus loin son individuation implique de mesurer les liens qui existent entre l’individu et le collectif, de voir combien l’un et l’autre se définissent réciproquement. Il s’agit par exemple de ne pas confondre individuation et individualisme. Si nous nous enfermons dans notre moi, si nous ne pensons
qu’à nous regarder nous-mêmes, nous ne faisons que ressembler à tous les égoïstes.
Mais chez nous l’égoïsme n’est pas dominant. Un altruiste se cache en nous.
Le nomos, substantif du verbe nemein, c’est la loi, les règles qui défendent la séparation et le droit de propriété. De là, on aboutit à nemesis, le don de ce qui est dû, la vengeance, à nomisma, la monnaie, la numismatique. Le nomos serait ce qui est fluide comme la monnaie, mais aussi ce qui sépare, ce qui divise, aussi comme la monnaie.
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Mais l’étymologie a le don de nous fourvoyer si nous ne nous demandons pas qui a forgé les mots. Les nomades ont toujours été craints par les sédentaires, sédentaires qui nous ont donné nos langues. Il est logique qu’étymologiquement le nomadisme sente le souffre.
Pourquoi nous laissons-nous influencer avec autant de facilité ? En 1961, le philosophe René Girard suggéra que nous souffrions du désir mimétique, c’est-à-dire du désir d’imiter nos semblables 6. Si je vois mes voisins acheter de grosses voitures, j’ai envie d’acheter une grosse voiture, et même plus grosse si possible. La surenchère conduirait à la surconsommation et à la violence. Si je vois quelqu’un se saisir d’un objet, je veux aussi m’en emparer.
« J’ai toujours détesté l’incertitude ——
J’aime planifier ma vie et je suis condamnée à attendre qu’un événement extérieur décide pour moi .
Je pensais que tout problème avait une solution et je suis incapable de trouver une issue à ma situation .
Cet état de panique m’anéantit. »
J'en ai ma claque, des virus et des bactéries. Je ne vois qu'eux dans mes cours de médecine et c'est à cause d'eux que je suis emprisonnée.
Ces deux types de microbes sont de cent à dix mille fois plus petits qu'un grain de sable. On les trouve partout : dans l'eau, dans la terre, dans l'air. Rien que dans notre bouche, nous abritons des milliards de bactéries. Quand nous roulons un patin de dix secondes, nous en échangeons des millions. Berk ! Elles peuplent notre peau et nos intestins. Elles sont au moins aussi nombreuses que les cellules de notre corps, ce qui veut dire que la moitié de nous-même nous est étrangère. Une bonne leçon pour les racistes et autres xénophobes.
Doué, [Lysimaque] aurait été poète. Volontaire, il aurait étudié les mathématiques. Fort, il aurait sculpté le granit. Ne possédant aucune de ces qualités, il se satisfait de porter un regard critique à tout ce qui l'entoure, une habitude gagnée dès son plus jeune âge.
Notre cerveau a le don de connecter des faits. Parfois ces connexions conduisent à des découvertes scientifiques, parfois à des œuvres d'art, le plus souvent à des affabulations. (p163)
Le hacker excelle dans les technologies qui peuvent être mises en œuvre dans un garage ou un appartement, sans infrastructure couteuse, sans machines monumentales. Le hacker détient la puissance dont jadis seuls les industriels disposaient. Artisan technologique, il exerce ses talents en informatique, en mécanique, en génétique. Peu à peu, il conquiert tous les champs d’expertise.
Si tout le monde suivait la route du Bouddha, elle serait trop encombrée. Je ne doute pas de la sagesse de ton guide. Je questionne simplement la bonne foi de ceux qui espèrent l’imiter.
Ils se caressent avec une force que les dieux n’ont pas, alourdis par le poids de l’éternité.
Laissez-le agoniser, ordonne Sosibe. C’est sa dernière chance de se penser vivant.