Le Dernier arbre est un récit très riche, aux multiples facettes, toutes bien approfondies. A commencer par la dimension humaine, très forte. Le Dernier arbre aurait pu être seulement l’histoire de Byron ou seulement celle de Randolph. Mais Tim Gautreaux va bien au-delà, en parlant des conditions sociales de l’époque, en donnant de l’importance à la fois aux deux frères et à ceux qui les entourent.
Ainsi, l’auteur détaille ce qu’était le quotidien des travailleurs de l’époque, la ségrégation Noirs/Blancs dans les logements et les considérations sociales, le gouffre riches/pauvres qui pouvaient rassembler Noirs et Blancs autour de même difficultés, l’industrialisation en pleine évolution.
Le cadre choisi est particulièrement sauvage, isolé et inhospitalier. Le danger rôde sous de multiples formes dans les marais et la vie à l’écart des villes crée un dynamisme propre dans la communauté de la scierie. La mini société évolue beaucoup sur les quelques années que dure l’intrigue, sous l’apport des uns et des autres, dans la violence ou en douceur.
Pour les deux frères, ces quelques années sont une source de transformation profonde. Randolph souhaite tirer Byron de ses cauchemars de guerre, mais doit faire face à un quotidien radicalement différent de ce qu’il a connu auparavant. Ainsi, lorsque l’aîné lutte entre la folie et le retour à un équilibre mental, libéré de toute violence, le cadet civilisé doit s’adapter à un monde brutal et rude loin de sa réalité d’origine.
Les changements qui les touchent sont souvent subtils, parfois brutaux et déstabilisants. Le destin de Byron est particulièrement poignant mais Randolph est un protagoniste très intéressant. Intelligent et ouvert, plein de bonnes intentions et de morale mais capable de s’adapter, c’est un témoin privilégié de la vie de la scierie et ses employés.
Le cadre historique n’a pas été choisi au hasard. Dans les années 20, marquées par de lourdes difficultés sociales aux Etats-Unis et qui suivent la guerre, beaucoup d’individus sont marqués par une vie rude, matériellement et/ou psychologiquement.
Si le conflit n’est pas arrivé jusque sur le territoire américain, de nombreux habitants l’ont pourtant vécu de près. Byron a lui été présent sur le sol français au plus près des combats et n’a pas pu en sortir indemne. Randolph et au-delà de lui son père et une bonne part de la société américaine, a du mal à comprendre ce que vit son frère, mais il va l’apprendre au fil des mois sans jamais renoncer.
Des personnages secondaires viennent encore donner des détails sur la guerre : soldats locaux envoyés au front ou immigrés européens, qu’ils soient sympathiques ou non, parfois ennemis dans le présent. Malgré tous les antagonismes, ces hommes ont vécu un traumatisme semblable et l’auteur sait rendre leur passé abominable quand bien même ils sont des êtres humains détestables. L’horreur de la guerre est absolument partout et la même pour tous.
Ainsi, Tim Gautreaux ramène régulièrement au cœur de cette période trouble du monde, avec des exemples, descriptions et détails. C’est un pan important de l’intrigue, qui se mêle au contexte présent avec des ouvriers nomades, très pauvres, exerçant des métiers dangereux, mais aussi avec le souvenir d’une autre guerre encore bien présente dans l’esprit des américains : la guerre de sécession, également évoquée car elle a particulièrement marqué les États du Sud.
La violence est donc partout dans la vie des habitants de la scierie. Dans leur passé, dans leur métier et leur quotidien, dans leurs confrontations avec des truands… Randolph souhaite s’élever au-delà de toute cette brutalité, mais il lui faudra peu de temps pour comprendre que dans un cadre aussi rude, elle est parfois inévitable et que si celle-ci vous trouve, il faut pouvoir riposter. Il en résulte un récit âpre et fascinant, où l’homme lutte à la fois contre la nature, contre les autres et contre lui-même.
L’écriture lente et posée de Tim Gautreaux aide à s’imprégner de l’atmosphère humide et rude. Les différentes thématiques sont abordées de manière équilibrée, la voix étant alternativement laissée aux deux frères comme à certains protagonistes secondaires, ce qui permet d’étendre toujours plus l’impact du cadre et de l’intrigue, aux nombreuses tentacules.
Si la violence est partout, le style de l’auteur tout en finesse dévoile pourtant de grandes nuances dans cette thématique, entre les bagarres quotidiennes qui rythment la vie de la scierie et des épisodes plus brutaux et soudains qui marquent un changement radical et permanent, une blessure supplémentaire pour ces héros ordinaires. Et pourtant, malgré le décor et l’isolement, malgré les dangers, il y a quelque chose de fondamentalement beau dans ce livre, un amour et un respect pour ceux qui ont traversé toutes ces épreuves et on façonné le pays.
Au fil des pages, l’histoire de ces hommes et femmes prend racine dans l’esprit du lecteur, le marquant en douceur mais inexorablement. Le Dernier arbre est un roman véritablement puissant, de ceux qui envoûtent discrètement mais laissent une empreinte durable.
Lire Le Dernier arbre de Tim Gautreaux, c’est faire une rencontre. Celle du Sud des États-Unis marqué par les guerres, la dépression et l’industrialisation, celle d’hommes et de femmes en lutte avec eux-mêmes comme leur environnement ou leurs semblables.
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