Citations de Timothée de Fombelle (1017)
Les yeux dans les yeux, ils profitèrent de cette distance pendant de longues minutes parce qu’ils savaient qu’à l’instant où leurs mains se toucheraient, plus rien, jamais, ne les séparerait.
Ce jour-là, Tobie comprit, en regardant Maïa, que quand on pleure quelqu’un, on pleure aussi ce qu’il ne nous a pas donné. Maïa pleurait la mère qu’elle n’avait pas eue. Désormais, c’était certain, une mère idéale ne traverserait pas sa vie. C’est pour cela qu’elle sanglotait. Comme si, jusqu’au bout, on garde l’espoir d’un geste ou d’un mot qui rattraperait tout. Comme si la mort tue ce geste qui n’a pas été fait ou ce mot qui n’a jamais été dit.
Les hirondelles ne s'occupent pas non plus de ces petits êtres qui s'agitent en dessous d'elles : les hommes. Elles les voient se promener de continent en continent sans qu'ils puissent décoller du sol. Elles les regardent franchir le désert, en file indienne, s'enfoncer parfois dans le sable et disparaître. Et quand elles survolent les flots, elles les comptent par centaines, englués dans leur pesanteur, traversant la mer blanche sur un bouchon de bois.
La plupart des hirondelles ne connaissent rien d'autre de l'humanité, de ses tragédies et de sa beauté, que ces silhouettes minuscules tout en bas qui se croient grandes sur la terre mais ne dépassent pas le plus petit de leurs arbres.
- Occupons-nous de nôtres, conclut Torfou. Si chacun rendait heureuses les vingt personnes qui l’entourent, l’arbre serait un petit paradis.
Tobie croyait entendre Nils Amen : « Je prends soin de ceux qui m’entourent. » Oui, ce principe était beau. Mais que faire de ceux que personne n’entoure ?
Le chagrin et la révolte rendent tout possible.
Alma ne s’habitue pas aux étrangetés de ce monde. Parce que sa peau est noire ou parce qu’elle est une fille, on trouvera toujours une raison de la faire dormir avec les animaux.
La fin d’une journée de récolte n’est jamais un soulagement pour les esclaves. Il y a la pesée du coton ramassé. Alma a mis du temps à comprendre l’angoisse de cette dernière heure du jour. Elle a découvert partout les mêmes règles en remontant les plantations du Mississippi.
Le chef d’atelier a inscrit dans ses livres de comptes le poids cueilli à la fin de la première journée de récolte de chaque esclave, quand il n’était pas encore usé par le travail. Ce chiffre sert de référence pour toute la saison. Il est différent pour chacun. On devra cueillir chaque jour cette quantité exacte de coton malgré la fatigue accumulée au fil des mois. Celui qui ramasse moins est fouetté. Et si par peur de la punition, on a cueilli davantage, le nouveau poids devient la mesure pour la suite, une mesure qui devient impossible à atteindre. Même le grand intendant des enfers, s’il existait, n’aurait pas l’imagination d’inventer de telles règles.
Il le savait : ni le pardon, ni la vengeance ne pouvaient lui rendre son ami.
Oui, personne n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.
Ce que je vais te dire maintenant, c'est elle qui me l'a appris. Il y a, sous les mots, des doubles fonds, comme sous le parquet de ta cabane. On peut y cacher des messages secrets qui ne sont trouvables que par certains.
Mais d'abord, jure-moi que tu te méfieras de Léo. Il est plus intelligent que tout ce que tu imagines. Depuis que je suis petit, j'ai appris quelque chose, Nils. Il y a deux énergies dans la vie. La haine et l'amour. Les gens vivent de l'une ou de l'autre. Mais Léo à les deux. Elles coulent dans ses veines en même temps. En disant ces mots, Tobie pensait à Ilaïa, la fille des herbes. Elle aussi était traversée de ces vagues contraires qui font les tempêtes.
Dans le roncier, Jalam avait commencé à tout dire parce qu'il croyait mourir. Mais la vie était revenue en lui avec ses verrous et ses barricades. On ferait mieux de donner à toute sa vie la transparence des derniers instants.
Ces voix que Tobie craignait d'oublier mais qui lui revenaient, par instants, murmurées.
Le pire endroit, jeune homme, le pire moment. Mais tu étais la bonne personne.
Jalam, stupéfait, prenait conscience pour la première fois de ces quelques milligrammes de brin d'homme bourrés de courage et d'imagination. C'était donc cela, un enfant.
Avec sa robe blanc et bleu, avec le bruit du tissu sur le parquet ciré, le tambourin de ces pieds nus, on dirais une de ces petites vagues qui galopent sur le sable ne se laissent arrêter par rien.
Parce-qu'il ne reçoit pas d'argent, Parce-qu'il a les poches toujours vides, Joseph ne compte pour personne. C'est le destin des marginaux, des pauvres et des poètes. Ils deviennent transparents aux yeux des autres. Ils n'existent plus.
Le capitaine Alexandre disait que la guerre avait fait de lui un monstre de justice. Car les batailles les plus justes ont aussi leur monstruosité.
Une brume de tristesse couvrait tous les visages. L’éclair dans l’œil, cette trace infime sur la prunelle, était le signe de ceux qui avaient perdu leurs parents. Seul ce peuple sauvage savait déceler cette cicatrice du chagrin.
- Mano nous a menti. Depuis des années, il n’a pas arrêté de se tromper et de nous tromper. Il n’a pas fait un seul bon choix. Ou plutôt il n’en a fait qu’un seul : il a décidé de revenir vers nous. Ce dernier choix, il n’efface rien mais il réparera tout.