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« La routine, l’exil, les grands espaces » en littérature jeunesse

Interview : Timothée de Fombelle à propos de Quelqu'un m'attend derrière la neige et Alma : Le vent se lève

 

Article publié le 27/05/2020 par Nathan Lévêque

 

« Il ne restera que les cris des cormorans, puis le grincement du bateau sur l'océan, puis la rumeur de la forêt d'Afrique. Et ce ne sera que le commencement de tout. »

Le commencement de tout, dans les livres de Timothée de Fombelle, c'est toujours le souffle de l'aventure. Il s'apprête à lever une véritable tempête historique avec le premier tome de sa trilogie Alma : Le vent se lève, en librairie le 11 juin, une ébouriffante épopée sur l'esclavage et le combat de l'abolition sur laquelle nous avons eu la chance de lui poser quelques questions. Mais, déjà, il emportait ses lecteurs dans une touchante mais plus ordinaire aventure avec Quelqu'un m'attend derrière la neige, un album illustré par Thomas Campi et publié en novembre 2019, dans lequel il souffle dans les ailes d’une petite hirondelle, Gloria, témoin et actrice d’une rencontre inattendue. C’est aussi de ce livre, en sélection dans la catégorie jeunesse du Prix Babelio 2020, que nous allons parler dans notre entretien avec le romancier.

 

© Chloé Vollmer-Lo



Quelques questions à propos de Quelqu'un m'attend derrière la neige

 

Bien que l’on retrouve dans cet album des motifs qui sont propres à votre narration – croiser dans l’aventure trois destins très différents, par exemple –, on vous découvre aussi dans une histoire très réaliste et très en prise avec notre temps. Comment est née cette histoire et qu’est-ce qui a motivé le choix de sa thématique ? A-t-elle incarné un défi particulier pour vous ?

J’ai toujours aimé ces histoires de neige ou de nuit de Noël, surtout quand elles sont sombres et un peu douloureuses. Je les aime dans un film de Capra comme La Vie est belle, dans une chanson de Sinatra comme "I’ll be home for Christmas", ou dans le merveilleux petit album du Père Castor : Michka. J’aime les contraintes d’un genre hyper codé comme le conte, à condition d’aller en explorer les marges. Et aussi de m’aventurer dans mes propres marges. Je parle si rarement du monde d’aujourd’hui. Je m’échappe souvent très loin. Cette fois, je voulais me plonger tout entier dans la réalité en me servant de l’imaginaire comme scaphandre.

Malgré son ancrage très fort dans la réalité, votre livre se présente donc comme un conte de Noël. Ici pourtant, la magie de Noël semble résider dans le simple miracle de la rencontre inopinée de trois vies égarées. Artefacts fantastiques, lutins, reines des neiges et autres consorts ne sont pas de la partie. Était-ce une volonté de vous ancrer dans une tradition « sociale » du conte de Noël, comme le faisait notamment Dickens ?

Oui, vous avez raison, j’avais oublié dans mes références Dickens, ou La petite fille aux allumettes d’Andersen. C’est cette tradition qui me touche. Pourtant, je n’ai rien contre le bric à brac de Noël, les rennes, les lutins, les grelots… Ils peuvent avoir accidentellement aussi leur poésie s’il y a des odeurs de sapin et des chaussettes qui sèchent dans la cheminée. Mais j’aime surtout le mélodrame, cette espèce de droit au miracle que nous donnent les histoires de Noël. Finalement, la clef pour réussir à écrire de tels contes, c’est de savoir y mettre assez d’obscurité pour qu’une simple étincelle soudain ressemble à un incendie !

 



On retrouve souvent, dans vos textes, la description sensible de moments du quotidien pour raconter un personnage. Ici, Freddy d’Angelo s’incarne au lecteur par la voix de Frank Sinatra dans la camionnette qu’il conduit, sa volonté de ne jamais goûter une seule glace de la société pour laquelle il travaille, son habitude de retapisser lui-même l’intérieur du camion de velours rouge, sa tristesse à l’idée de « regarder les deux chaises autour de la table pendant que le café chaufferait ». Donner vie à vos personnages de la sorte demande-t-il un travail préparatoire dans votre processus d’écriture ou est-ce plus intuitif que cela ?

Je crois que mon seul travail pour cet aspect là de l’écriture, est un exercice de disponibilité. Je m’assieds avec mes personnages, je respire le même air qu’eux. Je vous jure qu’à certains moments, j’étais une hirondelle et je sentais la vibration de la raideur de mon aile en traversant la tempête. Je n’y pense jamais, mais il y a quelque chose de compassionnel dans l’écriture : être au plus près de ses héros, de leur douleur ou de leur joie. Par ailleurs, je ne crois pas aux portraits en pieds des personnages qu’on décrit des souliers au chapeau. Au contraire, il suffit d’un détail, pour qu’ils deviennent uniques au monde. Quand je croise un homme dans la rue et qu’en regardant bien je vois qu’il a fait des doubles nœuds à ses lacets, j’imagine toute sa vie d’un coup, son chat, sa mère et tout le reste.

Quelqu’un m’attend derrière la neige a initialement été écrit pour une revue avant d’être publié, accompagné d’illustrations, par Gallimard jeunesse. A-t-il nécessité un retravail particulier pour Gallimard Jeunesse ? Pensez-vous que cette histoire prend une autre dimension en étant publiée en jeunesse ?

En effet, c’était la première fois que je publiais en littérature jeunesse un texte écrit sans penser spécialement à ce public. C’était très intéressant, parce que je passe mon temps à me défendre de faire le moindre effort pour m’adapter aux jeunes lecteurs. J’écris mes histoires, c’est tout. Pourtant, si je relis ce livre, je vois bien que je l’ai écrit un peu différemment des autres. Cela m’a troublé, mais j’ai résisté à l’envie de le corriger. Je voulais garder intact le projet. Et ma joie est de voir qu’il rencontre les jeunes lecteurs et les moins jeunes, comme mes autres histoires.

 



A l’occasion de cette publication, votre texte a été illustré par Thomas Campi qui, de vignettes en doubles pages entières, donne richement vie à l’histoire. Quel impact a le travail d’un illustrateur sur la relation qu’un auteur entretient avec son texte ? Nombre de vos albums voire romans ont été illustrés… Pensez-vous poursuivre ce format sur des projets futurs ?

J’aime ce passage de relais entre celui qui écrit et celui qui dessine. Enfin notre solitude se brise. Cette fois, cela s’est passé à distance parce que Thomas Campi vit en Australie… Il a fallu faire confiance, ce qui est la meilleure attitude quand on s’adresse à des vrais créateurs. Pour moi, travailler avec des dessinateurs comme François Place, Christian Cailleaux, Isabelle Arsenault ou Thomas Campi, est un cadeau inespéré de ce métier. Je pensais raconter mes histoires dans mon coin et je reçois l’aide de ces talents, ou bien, comme dans le livre disque Georgia : Tous mes rêves chantent, la collaboration de musiciens et de chanteurs que j’admire. Ce sont presque toujours des histoires d’amitié et d’admirations partagées. Et cela me console de ne savoir ni dessiner ni jouer de la musique. Mais je ressens la même gratitude pour chacun des métiers du livre, l’édition, l’imprimerie, la librairie…

Les trois personnages dont les destins vont se croiser sont, chacun à leur manière, en mouvement. L’un routier, l’autre en fuite, l’autre oiseau migrateur, ces trois personnages sont également très solitaires… Est-ce qu'on peut les voir comme des métaphores "vivantes" de l'écrivain, solitaire lui aussi ?

Je n’y avais pas pensé, mais vous avez parfaitement  raison. Un auteur est à la croisée de ces trois mondes proches et paradoxaux qui sont ceux de mes trois personnages : la routine, l’exil, les grands espaces… En y repensant grâce à vous, je suis frappé de cette métaphore inconsciente qui résume tout ce que je pense de mon étrange métier. Voilà pourquoi, il ne faut pas se demander ce qu’un texte a voulu dire mais toujours creuser ce qu’il dit. Peu importe l’intention. Cet autoportrait à travers ces trois solitudes, je ne l’ai pas cherché mais il est là.

 



Quelques questions à propos d’Alma : Le vent se lève

Après Quelqu’un m’attend derrière la neige, paru en novembre, c’est Alma : Le Vent se lève, odyssée historique et premier tome d’une trilogie que vous vous apprêtez à publier. Que diriez-vous en quelques mots à un lecteur pour lui raconter ce nouveau livre ? Doit-il s’attendre à se retrouver, comme dans votre album, à la croisée des destins ?

Oui, encore un chassé-croisé de personnages. C’est la grande aventure d’Alma, jeune fille Africaine, partie de sa vallée heureuse à la fin du XVIIIe et prise dans le tourbillon de l’Atlantique, de l’esclavage, de la piraterie, des plantations... Autour d’elle, bien d’autres destinées se rencontrent, un jeune chercheur de trésor, la fille d’un armateur de La Rochelle mais surtout la famille de ma jeune héroïne éparpillée sur toutes les rives de l’océan…

Avec Alma, en plus de renouer avec un genre dans lequel vous aviez déjà exercé votre talent avec Vango, le roman historique, vous explorez un pan très douloureux de l’histoire du monde : le commerce triangulaire. D’où vous est venue l’envie de raconter cette période ? Au cours du roman, vous écrivez, concernant le personnage d’Amélie, ceci : « Comment ce minuscule cataclysme ne lui fait-elle pas ouvrir enfin les yeux sur l'immensité des drames que vivent ces hommes et ces femmes ? Sur la fin de la liberté, la fin de tout un monde ? Sur les maisons et les parents disparus par millions ? Sur tous les enfants perdus ? » Avez-vous d’une certaine manière, avec ce roman, cherché à comprendre vous-même comment une telle chose a pu arriver ?

L’envie de raconter cette aventure est née pendant mon adolescence, quand je vivais en Afrique. En visitant à 13 ans les forteresses de la côte du Ghana d’où on embarquait les captifs vers l’Amérique, j’ai senti comme cette réalité terrible que je pouvais toucher du doigt n’avait jusque là pas intégré mon imaginaire. C’était pour moi un vague savoir, une ombre sur l’Histoire, mais tant que ça ne colonisait pas mon imaginaire, ce n’était pas à l’échelle de ces millions de vies emportées. La littérature peut jouer ce rôle : remettre la vie au cœur de notre mémoire. J’ai mis très longtemps à trouver comment écrire ce livre mais le sujet était finalement déjà dans tous mes autres romans, qui ne parlent que d’exil et de liberté !

 



En grand habitué des duologies ou peut-être des one shots, vous vous lancez avec Alma dans l’écriture d’une trilogie. Qu’est-ce que cela a changé dans votre manière de travailler ?

Je sentais que je voulais m’appuyer sur quelque chose de plus ample, plus feuilletonnant encore que Tobie Lolness ou Vango. Je me souvenais aussi que j’avais senti en terminant d’écrire Le Livre de Perle (en un seul volume !) que ce roman aurait pu être une série de nombreux livres. J’en étais un peu frustré. Pour Alma, à cause de la géographie, de mes différents personnages, et pour bien d’autres raisons, j’ai très vite vu la construction triangulaire de mon histoire. Enfin, pour la première fois je fais mon récit de manière presque chronologique, ce qui me permet d’avoir plus facilement comme cadre le fil de l’Histoire qui est la toile de fond du livre. On suivra Alma de 1786 à 1792 sur trois continents. La construction chronologique permet de couper trois tranches dans la grande histoire que je raconte. Mais pour être sincère, le choix du nombre de volume est toujours pour moi surtout un défi fou que je me lance à moi-même, l’obligation d’être ambitieux, une manière de me pousser plus loin que mes limites ou mon confort.

Loin d’être un simple roman historique douloureux, Alma est aussi une épopée et une grande fresque de personnages où se mêlent l’aventure, des pirates, des villes, des contes et des océans. Votre roman semble ainsi renouer avec le simple plaisir des histoires qu’on écoute enfant. Quelle énergie vous habite quand vous travaillez ? Est-ce l’enfant ou l’écrivain qui raconte ? Cette nouvelle trilogie a-t-elle par ailleurs des influences et inspirations particulières ?

Je suis heureux que vous ayez senti ce fourmillement, et peut-être cette oralité des conteurs en terminant le livre… C’est une des raisons qui m’ont fait utiliser de bout en bout le présent de l’indicatif qui peut pourtant être si froid. Je voulais cette immédiateté du conte et aussi de l’enfance. L’enfant et l’écrivain se confondent à l’intérieur de moi. Au sujet de l’énergie au moment d’écrire, c’est une question qu’on ne m’a jamais posée est qui est pourtant décisive. J’ai écrit Alma avec un sentiment d’urgence et de nécessité comme tous mes autres livres, mais aussi de responsabilité. Ce qui est nouveau pour moi. Habituellement, je ne suis pas très porté sur la « magie de l’inspiration », je crois essentiellement au travail, au courage, à l’exigence, mais pour ce livre, je sentais physiquement en moi les douze ou quatorze millions de personnes arrachées à leur continent en quelques siècles. Je ne suis qu’un auteur blanc, un homme qui écrit au XXIe siècle, mais je vous assure que j’avais Alma au-dessus de mon épaule en écrivant…

 




Timothée de Fombelle à propos de ses lectures

 

Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?

Je pense à Danny le champion du monde de Roald Dahl qui vient d’être republié et dont j’ai un souvenir extraordinaire.

Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?

La Comédie humainede Balzac, ce qui permet de mettre près de cent livres sous un seul titre.

Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Têtes-mortes de Beckett, qui m’a appris que l’écriture était un art plastique.

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Le merveilleux chef-d`oeuvre de Séraphin de Philippe Fix, lu et relu de 5 à 47 ans.

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

Les Misérables.

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Gouverneurs de la rosée, de l’écrivain haïtien Jacques Roumain.

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

J’ai honte, mais je n’arrive toujours pas à lire La Chartreuse de Parme. Je réessaie tous les ans.

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

En voici une dont je me suis inspiré pour le sous-titre d’Alma et qui va si bien avec la période que l’on est en train de vivre : « Le vent se lève… ! Il faut tenter de vivre. » dans Le cimetière marin, de Paul Valéry.

Et en ce moment que lisez-vous ?

Je lis la correspondance de Karen Blixen pendant ses années africaines.

 

 



Découvrez Quelqu'un m'attend derrière la neigeet Alma : Le vent se lève de Timothée de Fombelle publié aux éditions Gallimard jeunesse.

 

Ce livre faisait partie des 100 titres sélectionnés pour le Prix Babelio 2020. Retrouvez la sélection ici
 
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