Citations de Titaua Peu (60)
Se pouvait-il que ce peuple, naguère si fier, ne ressemble aujourd'hui qu'à un troupeau apeuré par la liberté même ?
J'ai le sentiment que nous, les enfants, on s'était fait une vie bien à part, je veux dire sans maman. Je veux pas jouer les petites Cosette, m'apitoyer sur notre sort, du genre "maman absente = délinquance", etc., mais il faut avouer qu'une mère, ça manque quand elle est trop occupée ou trop fatiguée.
Ils ont raison. Et je souris, je ris. Tahiti, lieu de toutes les incompréhensions. Île des différences qui séparent.
Faut croire que le soleil oblige certains à perdre tout sens de la correction.Quand on voit ce qu’on voit, on ne peut s’empêcher de penser à une chose. Une chose qui sonne comme une réclame, un slogan bien trouvé : « Tahiti, laboratoire de cons en quête d’exotisme. »
Ce matin-là, avant de mourir, il a eu des yeux très étranges, un sourire moqueur, diabolique, il lui a sorti qu’un jour elle comprendrait que cette religion importée ne les élèverait pas. Ni eux, ni leurs descendants. Cette religion était la religion de l’exclusion. Ne croire qu’en un seul Dieu, c’était annuler toute possibilité aux hommes de s’élever au rang de divinité, et donc d’approcher la perfection. Ainsi, avec la religion chrétienne, l’homme sera condamné à n’être qu’un homme. Une créature toujours imparfaite, toujours demandeuse, toujours peureuse.
Toutes les histoires commencent par des histoires de famille. Dans chaque famille, il y a des personnes qui ont le même sang. C'est sûr. Mais il arrive que dans les familles, il y ait des destins qui se séparent, des gens qui ne se ressemblent pas du tout. Et ça amène des tas de rendez-vous manqués, des incompréhensions aussi. Ça arrive. C'est la vie.
J’enviais Nina, j’enviais tous ces gens qui reposaient là pour l’éternité. Ils avaient fini de vivre et pour eux, c’était la fin de l’angoisse.
Elles se battaient contre des hommes qu’elles croyaient forcément machistes, ignorant qu’il n’y a pas plus misogyne qu’une femme.
Elle se dit souvent que les mots, c'est la seule chose qu'on peut s'accaparer sans que ça paraisse indu, sans que ça ressemble à un vol.
Je sais pas si j’ai déjà dit que tante Poe avait des tonnes de gosses. Sûrement, parce que c’est la première chose à laquelle on pense, quand on la voit. Large, obèse, mais agile, des seins aussi vertigineux que les montagnes de chez moi, qu’on n’escaladait jamais. Tout ça, c’était le corps de tatie. Un corps fait, taillé pour porter le plus d’enfants possible, pour consoler les chiards, leurs petites et leurs grosses douleurs. Un corps qu’apparemment son mari aimait, aimera toujours, jusqu’au moment où le soleil et la terre seront vidés de leurs souvenirs.
Ils étaient adultes et les rêves, ils les avaient largués depuis longtemps.
Souffrir pour quelqu’un qui ne se sait pas perdu, il n’y a presque rien d’aussi terrible.
Tuer, c’est très facile, vous savez. Celui qui a le projet de le faire, possède une force extraordinaire, possède toutes les légitimités de son côté.
Notre maître est un Chinois. On dit à l'école qu'il est sévère et impartial. Il n'a aucune préférence. Mais enfin, c'est quand même bizarre. Le tout premier jour des classes, il nous a lui-même installés. Alors, la salle de classe, elle ressemble à ça : devant il y a les élèves qui ont les cheveux blonds. Au milieu, on trouve des cheveux noirs, mais ce sont ceux des petits Chinois. Puis, au fond, d'ailleurs ça m'arrange, il y a nous, les "petits" d'ici. On est tous du même quartier. On n'est ni Chinois, ni un peu clairs. Au contraire, on est tous très marron foncé. La classe, elle fait un peu métissé pour être gentil, bariolée, stratifiée, pour dire les choses un peu méchamment.
Cela faisait un petit bout de temps que maman n’avait pas eu de relations suivies avec un homme. Elle n’avait eu que des flirts que nous ne tenions d’ailleurs pas à connaître. Aussi, quand plus tard elle nous présenta l’homme qui allait partager sa vie, ça a été un choc, du moins pour moi.
Second décalage, seconde blessure : l’intrusion d’une
nouvelle personne, d’un homme dans notre intimité.
Il n’y aurait désormais plus de « maman, mes sœurs, mon
frère et moi ». Il fallait à présent compter avec cet homme,
qu’apparemment elle aimait. Quand il s’est installé à la maison, je n’ai plus eu le droit de dormir près d’elle.
Je n’ai plus eu droit à la chaleur de ses seins, à son odeur.
J’ai dû partager le lit de ma sœur, qui avait la poitrine
trop plate à mon goût.
De cette époque, je garde des images très nettes, je
n’avais pas plus de cinq ans, mais j’avais des peurs, des
tourments de grandes personnes.
Tahiti, c'est une côte ouest très chic qui possède quelques rares plages blanches. C'est aussi une côte est plus tourmentée, souvent grise de pluie et pleine de falaises abruptes. Les vagues qui se jettent sur cette côte, c'est un peu le chagrin de la terre entière qui vient mourir là.
Je sais pas comment parler de mon pays, de mon île Tahiti... C'est presque comme une évidence. Je veux dire que mon île est en moi, bien assise en ma mémoire, en mes souvenirs. Et c'est tellement évident qu'il est difficile de l'en faire sortir. Les autres, les étrangers, s'attendent peut-être à des choses quelque peu exotiques. Moi, je sais pas si c'est exotique. Je sais pas si tout ce que je peux dire de mon pays peut satisfaire à leurs exigences. Si ce n'était pas le cas, je ne m'en excuserais pas, car je ne crois pas avoir le droit de sacrifier à la mode un vécu, personnel et collectif : le mien, celui de ma famille, de mes voisins et par extension celui de mon peuple...
La violence, telle une seconde peau, avait revêtu la couleur de la crasse. Cette violence puait, elle haïssait "l'étranger" et battait ceux qu'on dit aimer
L'important, ou plutôt ce qui était vital, c'était son absence.
Elle dit aussi que le bon Dieu est bon, qu’il ne veut pas qu’on touche aux petits et qu’il les protège. Mais déjà, je ne crois pas à son dieu, parce que la grosse femme est de plus en plus méchante, elle mange de plus en plus et moi j’ai faim.
Ce mariage, pour lui, ce n’était que l’occasion de prouver qu’il serait désormais le maître de sa vie, de nos vies. Elle devait savoir qu’il était viril, surtout ne jamais l’oublier…