Citations de Umberto Eco (1507)
pour empêcher le peuple de se découvrir une quelconque nouvelle ligne de conduite politique, nous le distrairons par toutes sortes de divertissements : jeux gymniques, passe-temps, passions de différentes natures, guinguettes et, nous l'inviterions à prendre part à des concours artistiques et sportifs.... Nous encouragerons l'amour du luxe effréné et nous augmenterons les salaires, ce qui ne soulagera pas les ouvriers, car, en même temps, nous élèverons le prix des objets de première nécessité, sous le prétexte de mauvaises récoltes.
Préservation des savoirs de l’usure des discours, p. 233
En le gardant secret [ce nouveau savoir], [la bibliothèque] gardait au contraire intacts son prestige et sa force, il n’était pas corrompu par la dispute, par la suffisance quodlibétique qui veut passer au crible du sic et non chaque mystère et chaque grandeur. Voilà, me dis-je, les raisons du silence et de l’obscurité qui entourent la bibliothèque, elle est réserve de savoir mais elle ne peut conserver ce savoir intact qu’en l’empêchant de parvenir à quiconque, fût-ce aux moines eux-mêmes. Le savoir n’est pas comme la monnaie, qui reste physiquement intacte même à travers les plus infâmes échanges : il est plutôt comme un habit superbe, qui se râpe à l’usage et par l’ostentation. N’en va-t-il pas ainsi pour le livre même, dont les pages s’effritent, les encres et les ors se font opaques, si trop de mains le touchent ?
Paratexte, Les livres parlent entre eux, p. 360
- Souvent les livres parlent d’autres livres. Souvent un livre inoffensif est comme une graine, qui fleurira dans un livre dangereux, ou inversement, c’est le fruit doux d’une racine amère. Ne pourrais-tu pas, en lisant Albert, savoir ce qu’aurait pu dire Thomas ? Ou en lisant Thomas, savoir ce qu’avait dit Averroès ?
- C’est vrai », dis-je plein d’admiration. Jusqu’alors j’avais pensé que chaque livre parlait des choses humaines ou divines, qui se trouvent hors des livres. Or je m’apercevais qu’il n’est pas rare que les livres parlent de livres, autrement dit qu’ils parlent entre eux. À la lumière de cette réflexion, la bibliothèque m’apparut encore plus inquiétante. Elle était donc le lieu d’un long et séculaire murmure, d’un dialogue imperceptible entre parchemin et parchemin, une chose vivante, un réceptacle de puissances qu’un esprit humain ne pouvait dominer, trésor de secrets émanés de tant d’esprits, et survivant après la mort de ceux qui les avaient produits, ou s’en étaient fait les messagers.
Apostille au Nom de la rose
Le souffle
Les longs passages didactiques avaient aussi une autre raison d'être. Après avoir lu le manuscrit, mes amis de la maison d'édition me suggérèrent de raccourcir les cent premières pages, qu'il trouvaient trop absorbantes et fatigantes. Je n'eus aucune hésitation, je refusai. Je soutenais que si quelqu'un voulais entrer dans l'abbaye et y vivre sept jours, il devait en accepter le rythme. S'il n'y arrivait pas, il ne réussirait jamais à lire le livre dans son entier. Donc, les cent premières pages avaient une fonction pénitentielle et initiatique. Tant pis pour qui n'aimerait pas : il resterait au flanc de la colline.
- Le bien, pour un livre, c'est d'être lu. Un livre est fait de signes qui parlent d'autres signes, lesquels à leur tour parlent de choses. Sans un œil qui le lit, un livre est porteur de signes qui ne produisent pas de concepts, et donc il est muet. Cette bibliothèque est née peut-être pour sauver les livres qu'elle contient, mais maintenant elle vit pour les enterrer.
- Pourquoi donc ? Pour savoir ce que dit un livre vous devez en lire d'autres ?
- Parfois, oui. Souvent les livres parlent d'autres livres. Souvent un livre inoffensif est comme une graine, qui fleurira dans un livre dangereux, ou inversement, c'est le fruit doux d'une racine amère. Ne pourrais-tu pas, en lisant Albert, savoir ce qu'aurait pu dire Thomas ? Ou en lisant Thomas, savoir ce qu'avait dit Averroès ?
- C'est vrai » dis-je plein d'admiration. Jusqu'alors j'avais pensé que chaque livre parlait des choses, humaines ou divines qui se trouvent hors des livres. Or je m'apercevoir qu'il n'est pas rare que les livres parlent de livres, autrement dit qu'ils parlent entre eux. A la lumière de cette réflexion, la bibliothèque m'apparut murmure, d'un dialogue imperceptible entre parchemin et parchemin, une chose vivante, un réceptacle de puissances qu'un esprit humain ne pouvait dominer, trésor de secrets émanés de tant d'esprits, et survivant après la mort de ceux qui les avaient produits, ou s'en étaient fait les messagers.
Les autres moines regardèrent Guillaume avec beaucoup de curiosité, mais ne risquèrent aucune question. Et de mon côté, je m'aperçus que, fût-ce dans un lieu aussi jalousement et orgueilleusement consacré à la lecture et à l'écriture, cet admirable instrument n'avait pas encore pénétré. Et je me sentis fier d'accompagner un homme qui avait en sa possession quelque chose digne d'étonner d'autres hommes fameux dans le monde pour leur sagesse.
Avec ces objets aux yeux, Guillaume se pencha sur les listes dressées dans le codex. Je regarderai moi aussi, et nous découvrímes des titres de livres dont nous n'avions jamais entendu parler, et d'autres très célèbres, que la bibliothèque possédait.
Les hommes d'autrefois étaient beaux et grands ( maintenant ce sont des enfants et des nains), mais c'est là fait parmi tant d'autres témoignant du malheur d'un monde qui vieillit. La jeunesse ne veut plus rien apprendre, la science est en décadence, le monde entier marche sur la tête, des aveugles guident d'autres aveugles et les font se précipiter dans les abîmes, les oiseaux se lancent dans le vide avant d'avoir volé, l'âne sonne de la lyre, les boeufs dansent, Marie n'aime plus la vie contemplative et Marthe n'aime plus la vie active, Léa est stérile, Rachel a l'oeil charnel, Caton fréquente les lupanars, Titus Lucrèce devient femme. Tout est détourné de son propre cours. Dieu soit loué, moi, en ces temps-là, j'acquis de mon maître l'envie d'apprendre et le sentiment du droit chemin, qu'on garde quand bien même la sente serait tortueuse.
Le chaos actuel n’est pas une Renaissance.
Le XVIe siècle reposait sur la redécouverte du passé et l’organisation de l’univers autour de l’homme.
Nous vivons l’inverse : ignorance du passé et oubli de la notion d’homme.
Pour moi, l’avenir ressemble plutôt à la chute de l’Empire romain.
(Nouvelles Clés N°71 - 2011)
Personne ne nous impose de savoir, Adso. Il le faut, un point c'est tout, fût-ce au prix de mal comprendre.
Dieu nous pardonnera cet abus de pouvoir, vu qu'Il pardonne tant d'autres choses
Je laisse une nouvelle fois la parole à Roosevelt : "J'ose dire que si la démocratie américaine cessait de progresser comme une force vive, cherchant jour et nuit, par des moyens pacifiques, à améliorer la condition de nos citoyens, la force du fascisme s'accroitra dans notre pays" (4 Novembre 1938). Liberté et Libération sont un devoir qui ne finit jamais. Telle doit être notre devise : "N'oubliez pas."
Simei avait la tête d'un autre. Ce que je veux dire, c'est que moi, je ne me souviens jamais du nom de celui qui s'appelle Rossi, Bambilla, Colombo, ou même Mazzini ou Manzoni, parce qu'il a le nom d'un autre, je me souviens seulement qu'il devrait avoir le nom d'un autre. Bon, la tête de Simei, impossible de se la rappeler car elle ressemblait à celle de quelqu'un qui n'était pas lui. En fait, il avait la tête de tout le monde.
"- Un livre ? lui ai-je demandé
- Un livre. Les mémoires d'un journaliste, le récit d'une année de travail pour préparer un quotidien qui ne sortira jamais. D'ailleurs, le titre du journal devrait être Domani : ieri - "Demain : hier", pas mal non ?
Pense à un fleuve, dense et majestueux, qui coule sur des milles et des milles entre les digues robustes, et tu sais où est le fleuve, où la digue, où la terre ferme. À un certain point le fleuve, de lassitude, parce qu'il a coulé pendant trop de temps et sur trop d'espace, parce que s'approche la mer, qui annule en soi tous les fleuves, ne sait plus ce qu'il est. Il devient son propre delta. Il reste peut-être un bras majeur, d'où beaucoup d'autres se ramifient, dans toutes les directions, et certains reconfluent les uns dans les autres, et tu ne sais plus ce qui est à l'origine de ce qui est, et parfois tu ne sais plus ce qui est fleuve encore, et ce qui est déjà mer...
(page601) il y avait,... un clou de la croix . Il y avait,... une partie de la couronne d'épines, ...un lambeau jauni de la nappe de la dernière cène.... Il y avait la bourse de Saint Mathieu,....un os du bras de Sainte Anne. Je vis ....un fragment de la mangeoire de Bethléem, et un empan de la tunique purpurine de Saint Jean l' Évangéliste, deux des chaînes qui serrèrent les chevilles de l' apôtre Pierre à Rome, le crâne de Saint Adalbert, l' épée de Saint Etienne, un tibia de Sainte Marguerite, un doigt de Saint Vital, une côte de Sainte Sophie, le menton de Saint Eoban ,la partie supérieure de l' omoplate de Saint Jean Chrysostome, la bague de fiançailles de Saint Joseph, une dent de Saint Jean Baptiste, la verge de Moïse, un point de dentelle déchiré et minuscule de l' habit nuptial de la Vierge Marie.
Tu as bien vu qu'à l'intérieur de ces murs le rire ne jouit pas d'une bonne réputation.
J'ai commencé à écrire en mars 1978, mû par une idée séminale. J'avais envie d'empoisonner un moine.
Aimer une nuque. Et la veste jaune. Cette veste jaune qu'elle portait un jour à l'école, apparition lumineuse dans le soleil printanier - et sur quoi j'ai rimé. Depuis lors, je n'ai jamais pu voir une femme avec une veste jaune sans ressentir un rappel, une insupportable nostalgie.
-C'est un homme ... bizarre , osai-je dire à Guillaume.
- C'est, ou il a été, sous de nombreux aspects, un grand homme. Mais précisément pour cela, il est bizarre . Ce sont les hommes petits qui paraissent normaux.
"N'attendez pas trop de la fin du monde." (Stanislaw J. LEC, "Aforyzmy. Fraszki")