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Critiques de Upton Sinclair (81)
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Les griffes du dragon, tome 1

LES GRIFFES DU DRAGON d’ UPTON SINCLAIR

C’est une série centrée sur Lanny Bird écrite dans les années 1940/1950, une douzaine de volumes dont je n’ai trouvé que les deux premiers en traduction française. Cette série a connu un succès considérable aux États Unis et SINCLAIR a reçu le prix Pulitzer pour ces romans en 1943.

Lanny Bird est marié avec Irma et le premier tome commence avec son accouchement et l’intérêt des journalistes particulièrement Pietro, ami de Lanny. Le couple Lanny/Irma fait partie en effet des gens célèbres que l’on rencontre dans les lieux à la mode, on les croirait sortis d’un univers à la Fitzgerald, avec une différence notable, Lanny est socialiste, engagé politiquement, Irma est dans de nombreuses associations caritatives et ces actions prennent chez eux une place prépondérante. De plus l’oncle de Lanny, Jesse est communiste, lui aussi extrêmement engagé et passe des soirées à argumenter avec Lanny. Irma est issue d’une riche famille dont une partie de la fortune a été amputée par la crise de 1929, mais leur couple n’a pas besoin de travailler. La naissance d’une fille unique, Frances, désole la grand mère qui espérait un héritier mâle! Ils sont à Juans les Pins et sont invités à une croisière par la famille Robin, qui va les mener à Gênes, Athènes, Istanbul avec d’étranges passagers dont une voyante et un médium ce qui va passionner Lanny. Ce dernier s’adonne à faire l’intermédiaire sur le marché de l’art mais la crise est toujours bien présente aux États Unis et l’Allemagne,que Lanny connaît bien, va mal. Il n’est pas ravi de voir son père Robbie faire des affaires en vendant des armes et va s’installer quelque temps en Allemagne. La famille arrive en pleine élection. Lanny va retrouver des amis et les discussions politiques vont être intenses et laissent peu de place à la modération, les protagonistes étant essentiellement le parti national socialiste et les communistes.
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La jungle

C'est l'histoire d'un émigrant lituanien qui découvre l'Amérique industrielle autour de Chicago. Il s'installe avec sa famille mais il va la perdre petit à petit car rongé par la condition sociale. Il faut dire que les ouvriers n'avaient guère la vie facile. Il y a un peu trop de malheurs pour une si petite épaule et cela en est presque exagéré.



C'est un véritable cri du coeur de l'ouvrier démuni contre le riche patron. C'est tiré d'un roman de 1905 et remis au goût du jour sous forme de bd. Un roman graphique que n'aurait pas renié un certain Karl Marx et qui sert bien une certaine forme de propagande politique. On regrettera l'absence de subtilité même si on sait bien qu'au fond cela décrit une dure réalité. La misère a toujours existé et ne fera malheureusement que s'accroître à l'avenir.
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La jungle

Hallucinant tableau de la naissance de la civilisation industrielle et de son maître, le capitalisme! Un "voyage" aux racines du mal de notre société, faisant malheureusement tristement écho dans notre époque... Le roman a souvent des accents de tragédie grecque, avec ses destins écrasés...par le nouveau dieu tout puissant de l'Olympe: l'argent, et ce au mépris de toute humanité. La fin se veut optimiste, le recul fait que nous le sommes moins.Chef d'oeuvre de littérature sociale!
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Pétrole !

Vous ne l'avez pas lu? Courrez! Allez dans la première petite librairie et commandez cette épopée, ce monstre à cinq pattes. C'est l'histoire fabuleusement bien conté d'un garçon fils d'un futur magma du pétrole, de la lutte des classes, du socialisme balbutiant aux Etats-unis. Sinclair le Zola Américain comme le nomme la presse hexagonale, écrit avec ces poings mais parle avec son coeur. Du coup on a un livre qu'on dévore, qui raconte l'épopée du pétrole mais pas que... C'est avant tout l'éveil d'un homme ( le fils) vers ce que l'humanisme à de plus beau. Ce fils qui pourrait tout avoir, s'ouvre à la condition humaine, témoin des injustices il va prendre des chemins de justice... Mais point trop n'en dire comme disent les Deschiens... Faut lire cette masse puissante de vigueur, de vie...
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La jungle

C’est à la radio que j’ai connu ce livre et que j’ai eu envie de le lire. Une claque .., entre Jack London, Steinbeck et Zola. Une dénonciation sociale réaliste terriblement d’actualité toujours… au delà des abattoirs c’est le fonctionnement de l’industrie américaine du début du siècle qui y est dénoncée et permet de mieux comprendre l’émergence du socialisme.
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La jungle

Vous aimez les romans d'Emile Zola ? Les films de Ken Loach ? Vous rêvez d’Amérique et pensez encore que tout y est possible ? Si vous répondez positivement à au moins une de ces questions, ce livre est fait pour vous.

Upton Sinclair met en scène, en 1900, une famille lituanienne partie tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique. Il parait qu’à Chicago, les abattoirs embauchent à tour de bras et que les salaires y sont élevés. Jurgis, Ona, Elzbieta, Marija et les enfants rassemblent leurs économies et quittent leur campagne lituanienne natale pour rejoindre la terre de l’oncle Sam. Ils vont y découvrir l’enfer.

L’enfer, Upton Sinclair le décrit avec un factuel glaçant. Quarante ans avant la publication des Raisins de la colère (Steinbeck), il expose la perversion du capitalisme sous tous ses angles possibles. Esclavage ouvrier, corruption des élus, impunité judiciaire, fraude alimentaire… Dans le quartier des abattoirs de Chicago, le pouvoir du trust de la viande n’a pas de limites. L’horreur des conditions de travail est indescriptible. L’hygiène alimentaire, inexistante. Le destin des malheureux émigrés, aussi innocents à leur arrivée dans cette jungle humaine que le bétail qu’ils contribuent à transformer en chair à saucisse avariée, est scellé d’avance. Leur vigueur est siphonnée en quelques jours. Leurs économies volées par les rapaces de l’immobilier, des transports, de la médecine, de la justice et j’en passe. Leur avenir, nul. Tenter sa chance à Packingtown, c’est se condamner au désespoir et à une mort certaine.

Oui, tout est possible en Amérique. Upton Sinclair dénonce avec une telle force la réalité des conditions de travail aux abattoirs de Chicago, qu’après la parution de La Jungle et le scandale que le roman provoque, Theodore Roosevelt ordonnera une enquête qui conduira à la création de la FDA (Food and Drug Administration). C’est là une ironie bien amère qu’Upton Sinclair analysera avec les mots suivants : « J’ai visé le cœur du public et par accident je l’ai touché à l’estomac. ». Ou dit autrement, on se fout de protéger les ouvriers ; par contre, préservons le palais délicat des plus riches, n’est-ce pas ?

Je vous laisse découvrir par vous-même l’espoir vain sur lequel se termine La Jungle. La société américaine a-t-elle progressé en matière de protection sociale, cent-vingt ans après la parution du livre ? Rien n’est moins sûr.
Lien : https://akarinthi.com/2023/0..
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Pétrole !

" Pétrole " est une fiction politique dans l'histoire de laquelle nous découvrons la face sombre du capitalisme des pétroliers américains .

Ce titre est paru aux USA en 1926 sous le titre " Oil " . L'auteur , politiquement contestataire du capitalisme outrancier , déploie devant nos yeux , l'ascension fulgurante des magnats du pétrole ( à l'appétit insatiable ) , la concentration en peu de mains des richesses et la stagnation sociale des travailleurs ne possédant que leur force de travail ( se contentant des miettes , si il y en a ) . La vision futuriste de l'auteur oppose le communisme au capitalisme dans un proche avenir . Nous savons depuis qu'il y a peu de différence entre capitalisme privé et capitalisme d'état ( communisme ) , mais en 1926 , l'espoir était permis .
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La jungle

The Jungle, Upton Sinclair, Penguin Modern classics.



Voila un livre important que j'ai eu plaisir à lire dans sa version américaine, avec son vocabulaire particulier, les interventions compatissantes, discrètes, ou plus lyriques de l'auteur sur les aventures/mésaventures de Jurgis et de ses proches.



D'origine lithuanienne, « notre ami » débarque en candide aux USA, et plus précisément dans le complexe industriel de Chicago ; Comme tout immigré sans le sou, il doit affronter de multiples difficultés d'intégration, en particulier dans le monde des abattoirs où il travaille, ou se fait licencier dans tous les services de cette gigantesque boucherie/conserve.



L'analyse d'Upton Sinclair ne rejoint pas l'éloge de l'épopée industrielle du travail automatisé qui garantit une nourriture de qualité à grande échelle ! Bien au contraire, dans ce roman naturaliste, on suit le parcours du combattant, dépourvu de droits sociaux, comme celui du porc dont l'utilisation est intégrale, jusqu'aux poudres d'engrais et aux soies de brosse à dents. Tout est recyclé, « sauf le couinement du porc », dans un tableau qui annonce - livre paru en 1906, l'aspect industriel du génocide de la seconde guerre mondiale (abat-jours en peau, « ton grand père, ils en ont fait du savon » ! etc.)



Le monopole industriel, le règne de la publicité, du leasing et autres escroqueries commerciales qui bafouent le droit et la plus élémentaire honnêteté, est décrit avec une acuité convaincante, si bien que la vie entraîne « poor Jurgis » dans le dédale de la cité et de ses bas-fonds. Tous les méfaits du capitalisme sont explorés d'un regard acéré, avec les fléaux sociaux qu'il implique.



Un auteur moderne aurait certainement insisté sur les cruautés de l'abattage, la préoccupation de l'auteur est essentiellement focalisée sur le sort réservé au prolétariat. Jurgis fera partie des clochards, des travailleurs itinérants de l'agriculture, il connaîtra les grèves, les magouilles politiques et syndicales orchestrées par le patronat.



La dernière partie intéresse aussi puisque réservée à l'utopie socialiste dans ses différentes formes.



Après la condition du travailleur, l'éveil des idéologies, c'est donc un panorama complet du capitalisme effréné au début du XXe siècle. On est de plus concerné par la qualité de la nourriture mise en conserve.



L'ouvrage m'a paru passionnant, tant pour l'intérêt de l'histoire que pour ce tableau vécu d'un capitalisme fort bien organisé ; Là encore on voit que la prospérité de l'entreprise ne garantit pas intégralement le bien-être du travailleur…

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La jungle

LA JUNGLE d’ UPTON SINCLAIR

On suit l’arrivée d’une famille lituanienne aux États Unis plus particulièrement à Chicago. Ils vont découvrir les conditions de vie et de travail épouvantables dans les abattoirs puis les usines d’engrais. Véritable dénonciation de ces conditions dans les années 1900 ce livre sera directement à l’origine de plusieurs lois qui réformeront le marché du travail et les conditions d’exploitation. Un livre choc qui ne laisse pas indifférent.
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Pétrole !

900 pages de plaisir, une fresque remarquable où tous les aspects de la société sont explorés. Une modernité de ton étonnante qui fait terriblement écho dans notre époque.
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La jungle

Quand l'on parle des lettres américaines l'on oublie trop souvent Upton Sinclair qui pourtant en quelques oeuvres est devenu l'une des plus grandes plumes de l'histoire. Cet opus publié en 1905 aborde les conditions de vie terribles des travailleurs des abbatoirs de Chicago. Cette plongée dans l'envers du décor n'épargne rien au lecteur. Tout est abordé frontalement ici , et l'okn suit sans lacher cette famille lituanienne qui a fuie son pays pour une vie meilleure .... La lutte contre le néant de cette famille est passionante , malgré la crudité qu'elle fait paraitre. Un tel naturalisme peut faire penser à Zola , pour autant Sinclair évite ici le misérabilisme de l'auteur de Germinal . Certes , rien n'est rose et la brutalité est omniprésente ici , y compris avec les syndicats , d'on l'on voit bien la main mise , pas toujours favorable aux travailleurs qui sont broyés implacablement par cette machine qui épuise les corps avant de les abandonner exsangues.... Une telle oeuvre de par l'urgence qui transpire dans ces pages , s'avére fondamentale pour qui veut réelement comprendre la détresse des travailleurs de cette époque ... Sutout que hélas rien n'a changé depuis....
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Pétrole !

grande fresque humaine, historique, dynamique ! relation père fils, sort des ouvriers de l'industrie, achat des gouvernements par les financiers,
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La jungle

Roman naturaliste et social qui a le mérite de la pédagogie.

Au-delà des clivages politique, il peut se lire comme une description factuelle des conditions de travail des travailleurs, immigrés pour la plupart, il y a un peu plus d'un siècle.

Et comment le capitalisme sans garde-fou peu mener à une misère sans nom, au mépris des travailleurs, mais aussi des consommateurs.

J'ai lu quelques critiques qui affirmaient que cela n'avait pas beaucoup changé depuis ; je pense au contraire que personne, personne aujourd'hui ne pourrait cautionner cette exploitation institutionnelle, encadrée et régulée par la police.

Les raisons de se révolter ne manquent certes pas dans notre monde actuel, mais on ne peut nier le progrès réalisé depuis cette époque.

En revanche, on aurait pu se passer du discours militant final (que j'ai lu en diagonale, j'avoue !) car la démonstration par l'exemple était à mon avis suffisante.

J'ai apprécié le style évocateur, qui parfois me rappelait du Maupassant dans la façon de raconter un destin en quelques phrases.
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Pétrole !

Upton Sinclair est un de mes excellents amis depuis que j’ai lu sa Jungle, une œuvre vraiment admirable, à la fois pathétique et féroce, une littérature sensible et de combat. Si elle ne tirait un peu excessivement sur la corde de la pitié, sans doute serait-elle quelque chose de tout à fait parfait à mon goût. Et certes, un homme qui se moque à ce point de plaire à ses contemporains est certainement un être esseulé et socialement condamné qui ne trouvera pas d’inconvénient à quelque soutien rare pour affronter la solitude et renoncer au pistolet sur la tempe. Aussi lui prêté-je volontiers ma main droite à serrer et mon dos sur quoi s’appuyer…

Quoi ? Il est mort peut-être et n’en a plus besoin ? Eh bien, c’est alors que moi j’en ai besoin plus que lui !

Il existe dans le genre réaliste toutes sortes de courants, une variété de conceptions quasiment opposées et qui n’ont pas encore été nettement identifiées, à ma connaissance. La distinction de ces variétés ne tient pas seulement compte de la forme qui est toujours une source de réductions inutiles et absurdes, mais bien de l’intention de l’écrivain et de l’effet auquel il aspire avant même l’écriture de son premier mot.

S’il fallait que je proposasse les linéaments d’une telle classification, je dirais que Zola, par exemple, était nettement un réaliste à thèses, c’est-à-dire un réaliste d’université, une sorte de littérateur doctorant : il voyait des idées partout, des concepts soi-disant universels pour valoriser sa carrière en ayant l’air d’être à l’origine de trouvailles… de sorte que peut-être, en fin de compte, il ne voyait de réalités nulle part mais bien davantage des représentations. On peut raisonnablement douter qu’il observait des objets et des gens en dehors des désirs qu’il y projetait et des conclusions qu’il en avait déjà formées quand il réunissait ses « carnets » sur le terrain. Je n’ai jamais vu dans ses romans que des faits déjà longuement connus, vaguement tendancieux, et des extrapolations à la mode. Une ouvrière devait être pour lui une sorte d’entité utile, et une machine industrielle un prétexte à une description enlevée sur le modèle de « Mélancholia » de Hugo ; il posait certainement à tout ce petit monde des questions et des regards bien singuliers et orientés ! Quoiqu’on dise, je crois que ce sont des figures comme Zola qui ont inventé la religion, la phrénologie et l’idéologie raciale, n’en déplaise aux partisans du célèbre « J’accuse ».

Sur une ligne nettement parallèle et distincte, on trouverait le réalisme sentimental, par lequel un auteur souhaite divertir et émouvoir au moyen des péripéties amoureuses d’un personnage en général féminin ; alors, pour donner à son intrigue une note d’implication plus efficace, il le situe au sein d’un univers contemporain et vraisemblable. Un tel auteur – par exemple Jane Austen, Thomas Hardy, Gustave Faubert, Guy de Maupassant, Anthony Trollope et jusqu’à Somerset Maugham –, ne souhaite pas fondamentalement rendre une théorie sociale, exposer un principe ou édifier sur une situation concrète de quelque manière que ce soit : cela peut arriver, mais ce n’est pas l’esprit avec lequel l’œuvre est véritablement entreprise. C’est plutôt l’épanchement et le partage de passions transposables qui sont visés dès l’origine, et cette intention est logiquement vite perceptible et donne lieu, quelquefois ou souvent, à des débordements déraisonnables où le protagoniste apparaît dénué de rationalité, de recul et de bon sens : c’est le prix à payer – je veux parler d’un certain excès émotionnel – pour susciter rapidement l’empathie du lecteur.

À côté d’eux, sur une autre ligne d’effets bien séparée, je distinguerais le réalisme esthétique, plus rare et typique par exemple de la littérature dite « fin-de-siècle », où le cadre apparemment concret ne sert qu’à valoriser un style, notamment précieux ou byzantin, comme c’est le cas chez Joris-Karl Huysmans, Catulle Mendès, Jules Renard ou peut-être Albert Cohen. On n’a pas même alors l’impression de suivre une intrigue, cette préoccupation-là fut tout extérieure au projet d’origine : il s’est plutôt agi de démontrer qu’en partant d’une matière connue et parfois même rebattue, l’auteur était capable d’une virtuosité nouvelle et d’un ton hors de mode ; et cet effort a produit des originalités qui n’ont à peu près d’intérêt que stylistique – encore que ce ne soit pas du tout un intérêt maigre ou facile.

Inutile de me parler de ce « réalisme » actuel, qui n’est, pour l’essentiel, qu’un pseudoréalisme contemporain. Si c’est pour prétendre par exemple que Houellebecq est un réaliste au prétexte qu’il parle de sexe et d’ordinateur au bureau (les deux au bureau), ou bien que Nothomb ou je ne sais quelle dame en est aussi parce qu’elle dit je ne sais quoi sur la vie fantasmée ou améliorée des femmes d’aujourd’hui (avec ou sans menotte), alors je préfère m’en aller tout de suite et quitter la conversation. Je n’accorde déjà pas facilement à ces récits l’appellation de littérature, alors quant à leur attribuer l’idée de réalisme ! La vérité, c’est que ces textes ne disent à peu près rien de la société où ils naissent si ce n’est son état de laisser-aller et de superficialité mentales : le lectorat n’y trouve qu’un divertissement narcissique et indigne même à être nommé « intrigue », et le monde de l’édition s’y devine par son inlassable, piètre et pathétique recherche d’une littérature thématique représentative d’une époque et par sa criante absence de faculté à discerner au-delà des objets du monde ce qui fait l’essence d’une réalité. On y devine tout au mieux, mais au second degré loin derrière la conscience de ses amateurs, un vague désir d’assumer agréablement une insatisfaction reconnue et bien identifiable, une plaisante grogne des vexations du moment – ce en quoi se distingue ce qu’on ne pourrait appeler tout à fait un courant : une tentative, une ébauche, rien qu’un râle mêlé de soulagement instantané et suffisant à étancher sa cause.

Mais tout autre est ce réalisme qui consiste, avec aussi peu de pensées préconçues que possible, à relater des faits indubitables mais recelés, recelés parce que plus ou moins inconfortables voire tout à fait importuns pour un vaste milieu ou même une Nation – et parfois avec une pointe de satire chargée de donner du piquant à la narration : je l’appelle le réalisme critique. Lire en ce sens Sherwood Anderson, Theodore Dreiser, Richard Wright, Sinclair Lewis, Upton Sinclair, John Steinbeck, Truman Capote, Edward Abbey... qui furent les poils à gratter et les empêcheurs de tourner en rond de la morale américaine. On découvrira alors qu’en France, par comparaison, on a tout juste exposé des théories compliquées, pseudo-scientifiques et pas trop inacceptables pour être mises en scène où par exemple la progéniture d’un ouvrier fut longtemps un monstre difforme, analphabète et promis à la dégénérescence sexuelle et alcoolique – on soutint cela, on le prouva, c’était pourtant tout à fait une élaboration de Troisième Reich – tandis qu’aux Etats-Unis, cette caricature donnait déjà la nausée du temps de la guerre de Sécession. En France, quand les éditeurs réclamaient à leurs artistes de ne pas heurter la sensibilité des minorités parmi lesquelles certains de leurs lecteurs devaient nécessairement se trouver et particulièrement la minorité des investisseurs, au même moment l’industrie alimentaire portait plainte contre le brave Sinclair pour diffamation, et… à la fin, dans une société pourtant fervente du succès économique et de la gloire patriotique, c’est Sinclair qui l’emporta !

Dans Pétrole ! l’auteur ose encore dénoncer un rêve américain en l’espèce de l’exploitation des gisements du fameux « or noir » – activité fort symbolique et lucrative en 1927 où le livre fut écrit. Il excelle à décrire, dans une prose subtile et efficace, aussi bien l’intérêt passionné de J. Arnold Ross dont la vie est un éternel investissement en derricks, pipelines et raffineries, que les émerveillements et inquiétudes de son fils Bunnny appelé à assurer sa succession mais dont l’âme honnête est au rejet des corruptions et à la découverte du socialisme, sans oublier les méticuleuses explications sur les moyens techniques et humains liés à l’extraction du pétrole, forage, cimentage, cuvelage, raffinage… C’est en tout un travail formidable, impressionnant tant d’humanité fine que de documentation rigoureuse où se mêle la révélation d’une perpétuelle lutte pour l’argent atteignant même tous les milieux : petits propriétaires fonciers, salariés du pétrole, exploitants cupides, prêtres détraqués, bourgeois déconnectés, politiciens corrompus. Ce livre révèle les mouvements d’une danse extrêmement cynique et folle, une euphorie acharnée de la fortune et du profit où le succès financier apparaît comme résultante d’une suite inexorable de compromissions et de vices qu’un fils effaré constate sans pouvoir agir : c’est là toute la marche du monde, argue toujours le père.

Extrêmement touchante aussi cette affection mutuelle et filiale qui lie la plupart des péripéties comme autant de souvenirs d’enfance et de traces lumineuses laissées sur la pellicule de la mémoire : les promenades sensationnelles en automobile, l’aura presque sacrée du père ingénieux et adoré, les parties de camping entre hommes, les emballements du cœur à l’abord de nouveaux gisements ; un récit d’initiation, en somme, où un fils admirant et découvrant son père en vient à s’interroger peu à peu sur la légitimité de cet effort traditionnelle et insatiable du gain.

Ce roman colossal de presque un millier de pages débute d’une façon magistrale comme une révélation d’univers – et c’est vraiment le mieux que puisse faire un auteur réaliste de nous présenter un microcosme inconnu, insoupçonné même, à la façon d’une explicitation éblouissante : on comprend, sans impression de grossissement, les roublardises et les négociations d’achat, les détours légaux, les dispositifs techniques, les risques et les accidents d’exploitation ainsi que leurs exactes solutions, l’organisation influente des syndicats pétroliers et leurs modes de gestion des grèves de travailleurs, la concussion systématique mouillant, baignant, inondant de noirceur aqueuse tout ce qui trempe dans cette entreprise féroce et amorale du pétrole…Le premier tiers du livre est une étourdissante merveille, dense et colorée, relatant toutes les étapes méthodiques et excitantes de la découverte d’un gisement à son exploitation au nom de Ross Jr. ; on en retient même, sentiment galvanisant, l’impression d’une large bouffée d’Amérique, avec ses climats, ses décors, ses rites, ses mœurs et son exaltation typique de liberté un peu extravagante, en somme tout ce qui fait, depuis que les États-Unis se cherchent des écrivains, la fierté d’une véritable identité littéraire nationale. C’est beau et profond comme une voile peinte exposée en pleine lumière, on y sent l’immense affection d’un homme pour sa terre, pour les hommes qui y vivent et pour la diversité bienheureuse de leurs modes de vie. Une curiosité intense, épanouie dirige le regard de Sinclair dans toutes les directions, goûtant chaque chose, relatant le soleil, les accents et la vie, et on y perçoit toute une réjouissance généreuse d’en partager les saveurs et de retranscrire les émotions intimes de l’existence au sein d’un univers composite de satisfactions et d’opportunités.

Tout cela confine au chef d’œuvre, vraiment, comme dans certaines des plus pittoresques pages contemplatives de London ou Steinbeck. C’est vif et c’est profond ; on respire un ambitieux vent de pleine littérature ; on se sent porté par des airs supérieurement purs où l’humanité et l’art se mêlent en voltigeant avec une incomparable fluidité.

Mais l’au-delà de ce premier tiers du livre est, de mon point de vue, un peu moins bon.

Et c’est pourtant presque insensible, on glisse imperceptiblement aux environs de la partie VII vers autre chose, et plus le temps passe, plus le récit se développe et s’élargit, plus on s’interroge sur une impression vague d’étrangeté et de superflu, sans comprendre exactement d’abord quelle est la source de l’écart : le style est bien le même, l’intrigue poursuit logiquement la formation universitaire de Bunny qu’on découvre de plus en plus édifié par des idéologies de gauche… En toile de fond, l’histoire mondiale se poursuit avec les développements de la Grande Guerre, où le pétrole occupe tout vraisemblablement une place d’importance – et ces années franchies n’abîment même en rien l’unité de temps…

Oui mais : où est passé notre précieux puits initial dans ce si pittoresque pays de sensations et d’idées ? Et pourquoi s’éloigne-t-on de ce grisant sentiment d’appartenance où le réalisme servait à tracer le portrait d’un gisement en particulier et de ses premiers derricks ?

Parti, envolé, confisqué, le champ glorieux des doux commencements. L’engrenage est tourné, il faut murir, voir Bunny devenir homme et se confronter à la tout puissante logique universelle et sociale : le monde n’est pas contenu dans un seul puits, que diable ! Certes, mais ce recul éloigne du sujet qu’on croyait circonscrit d’abord : les premières amours de Ross Jr n’étaient pas apparemment prévues au programme ou bien j’avais mal compris, et ni le contenu de ses études, ni les délires d’un escroc à la religion ne figuraient dans les attentes logiques… Le récit prend un tournant inattendu, moins intime et affectueux, et peu à peu il se métamorphose en une dénonciation des persécutions contre les communistes ; ce thème prend même progressivement toute la place, et j’ignore si c’est la suite nécessaire de cette ruée vers l’or noir mais ça paraît tout à fait autre chose que la description d’un milieu : c’est devenu la critique du système capitaliste dans son ensemble et de ses brutalités obligées, et le pétrole même acquiert une dimension secondaire, théorique et lointaine.

La relation des amours de Bunny, par exemple, ne sert alors qu’à illustrer comment son argent attire en-dehors de sa personne, comment sa classe vit déconnectée des préoccupations ordinaires, comment son caractère éprouve l’attirance paradoxale des théories socialistes et bolchéviques ; ses actions et ses dires, sans plus rien dévoiler de la colossale machine pétrolière, indiquent des contradictions insolubles, tant de dilemmes moraux insurmontés où le type même du personnage ressort affaibli, affadi, éternellement indécis : en cela ce n’est pas du tout un récit de formation, mais le roman d’un renoncement passif aux valeurs de l’argent. Bunny n’est qu’un perpétuel observateur, certes pratique pour l’auteur à nous rendre témoins extérieurs comme lui, une utilité en somme ; mais est-il vraiment possible, à ce point ? La dimension psychologique paraît assez négligée, c’est toujours le même fils à papa, et l’auteur peine à y injecter une sentimentalité crédible et profonde : Sinclair ne me semble pas fort compétent à cet exercice, après tout ; c’était déjà probablement l’inconvénient avec La Jungle, on y trouvait des marionnettes, on n’était jamais surpris par des introspections complexes c’est-à-dire vraiment humaines.

Le défaut de cet ouvrage, c’est peut-être, en somme, de n’avoir pas tout à fait admis qu’on ne peut pas placer tous les souffles dans un même bocal, toutes les représentations dans un seul livre : il eût fallu métaphoriser quelque peu au lieu d’élire systématiquement toutes les situations où introduire un protagoniste dans une posture éloquente ; il y a par trop dilution de l’idée fondatrice, et l’unité non de temps comme j’écrivais mais d’intrigue se répand et se perd. Le récit reste pourtant majestueux, son style ne souffre d’aucun vice, mais il est à la fois trop démonstratif et imparfaitement tenu, comme ces jus excessivement mélangés, fort goûteux par eux-mêmes mais dont on ne distingue plus les fruits d’origine : la saveur en devient bizarre et incongrue, et on oublie l’idée même de finesse dans la superposition pléthorique de ce qu’il faut absolument chercher et qui nous détourne de l’efficacité des ingrédients primordiaux.

N’importe, c’est un beau roman, minutieux, audacieux, incontestablement risqué : il y aurait assurément du tort à condamner tout un livre pour un petit excédent d’ambition auquel une certaine forme ne saurait correspondre ; on ne retire pas son amitié pour si peu, en particulier quand l’émotion, si maîtrisée au début, ne fait que retomber légèrement sous l’effet de l’analyse et d’exigences quelque peu intellectuelles d’unité et d’effets. Je pousse trop loin peut-être ma recherche de perfection – ou ma volonté d’objectivité –, mais c’est pour rester juste et digne, et ne pas feindre d’ignorer, avec tant de complaisance ordinaire, que fort rares sont les amis parfaits, qu’imparfaits sont toujours nos amis même les plus chers, bien qu’une âme élevée en recherche toujours de meilleurs.



P.-S. : Je sais bien que la quatrième de couverture indique que There Will Be Blood, le film de Paul Thomas Anderson, est une adaptation de ce roman, mais je veux préciser que, dans cette adaptation, c’est à peine si on y retrouve la moindre substance du livre. J’ai regardé ce film peu après sa sortie en 2008, et je viens de relire son synopsis : le lecteur serait bien déçu s’il croyait qu’il s’y trouve plus que de vagues correspondances avec l’œuvre de Sinclair. Ce fut sans doute, de la part du réalisateur, un prétexte à succès que de prétendre à l’extraction d’un récit aussi célèbre, et c’est, de la part de l’éditeur, un assez scabreux opportunisme que de préciser un tel rapprochement, le film ayant bien marché. Quant à cette œuvre cinématographique, je n’en ai qu’un souvenir, après l’avoir acquise en DVD et revendue peu après : c’est qu’il s’agit d’une réalisation magnifiquement photographiée et jouée, mais aussi une de celles qu’on ne se sent de revoir qu’une fois tous les quinze ans, pour des raisons obscures qui tiennent à la faiblesse de la patience humaine et peut-être, aussi, à quelque petite autre chose impatientante inhérente au film lui-même.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Pétrole !

Une fresque d’une densité impressionnante dont l’écriture (1927) et l'intrigue restent pourtant d’une modernité éclatante. La puissance du récit contraste avec la naïveté touchante de Bunny, héros attachant du roman. Édifiant d’un point de vue historique, les 992 pages se dévorent aussi grâce à de nombreux personnages hauts en couleur. A lire pour pouvoir aussi comparer avec l’adaptation ciné « there will be blood » dont Paul Thomas Anderson signe une version décentrée par rapport au personnage principal du livre.
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La jungle

Contrairement à son roman ''Pétrole!'', le roman ''La jungle'' de l'auteur Upton Sinclair est un roman coup de poing.



Un roman sur la condition ouvrière. Ce n'est pas réellement un roman d'éducation, excepté vers la fin. C'est plutôt un roman : «Je te colle le nez dans ta merde» (pardonnez-moi les termes utilisés). Ainsi, on aime ''la jungle'' et ''Pétrole'' pour des raisons assez différentes. Le premier consiste à montrer à la face du monde plusieurs chemins de vie possible d'un ouvrier (peu reluisant) tandis que le deuxième cherche à éduquer son lecteur par rapport au monde qui l'entoure. En d'autres termes, un roman coup de poing versus un roman qui fait appel à la raison et à l'intellect.



Upton Sinclair, quelquefois appelé le Zola américain, à fait son roman à partir d'un travail journaliste sur les conditions de travail dans les abattoirs. Il a parcouru quelques abattoirs, un sceau à la main pour se fondre dans le décor et à lui-même assisté au travail acharné des ouvriers.Il a également assisté à des scènes de la vie quotidienne. À ce titre, son roman est une image des conditions de vie et de travail des ouvriers de cette époque pas très lointaine.



Toutefois, il est difficile de donner une note parfaite. Il a trop voulu faire vivre d'expériences à son personnage principal. Ainsi, il est ouvrier dans plusieurs départements, chômeur (jusqu'ici, ça va), , vagabond, gangster, responsable politique mineure, contremaître corrompu et finalement, à nouveau, ouvrier éclairé par une éducation socialiste. Tout cela, il aurait pu le séparer entre quelques personnages ou au moins, deux. Mais, il a voulu montrer plusieurs facettes, peut-être trop.



Cela dit, le livre est excellent. L'écriture n'est pas rebutante pour celui qui voudrait avoir une vue partielle sur ce que pouvait être la vie d'un ouvrier au début des années 1900.
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Les griffes du dragon, tome 2

La famille arrive en pleine élection, Lanny va écouter Hitler qu’il trouve sans charme et sans humour mais les élections vont le surprendre avec 6,5 millions de voix pour le parti national socialiste et 4 millions pour les communistes. La fuite des capitaux est immédiate. Il aura l’occasion de rencontrer de par ses relations Hitler lui même et ceux qui seront plus tard ses lieutenants et réalisera tardivement que le mot socialiste dans la bouche d’Hitler n’a pas la même connotation que dans la sienne. La famille passera très près du drame. Il peinera à sauver un proche du camp de Dachau et devra actionner tous les leviers à sa disposition pour y arriver en prenant d’énormes risques personnels.

Lanny réalise que les allemands sont sous le charme d’Hitler, sa mère voit son yacht confisqué et compromet sa croisière annuelle, c’est son seul souci!! Lanny et Irma quitteront finalement l’Allemagne non sans qu’il se soit impliqué dans un attentat qui échouera lamentablement.

Les deux premiers tomes de cette série m’ont fait penser à cette pièce de théâtre de Brecht « la résistible ascension d’Arturo Ui » où on tarde à comprendre le fond d’une politique qui pourtant semble bien claire dès le départ. Fascinant SINCLAIR auteur de la Jungle et de Pétrole.
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La jungle

Un livre qui m'a bousculé, révolté par son sujet.

Je n'ai pas arrêté de relire sa date de parution et me suis dit mais est ce que les choses ont réellement changé depuis la parution de ce roman.

Samedi soir j'ai regardé sur LCP un documentaire sur les "opérateurs" des abattoirs et quel effroi d'entendre certains échos sur ces témoignages et des pages de ce roman de Upton Sinclair, écrit en 1906.

L'auteur va nous raconter la vie de Jurgis, lituanien, qui est venu chercher le rêve américain, une vie meilleure En 1900, il est à Chicago avec sa jeune épouse, Ona, sa belle mère et des cousins. Ils vont survivre dans cette jungle, trouver du travail dans les abattoirs, premier employeur de cette ville. Romanesque, avec un style journalistique, Upson Sinclair nous parle de cette Amérique du début du 20e siècle : le début du capitalisme, de l'industrialisation, de l'American dream, mais quel constat éprouvant. L'auteur décrit très bien cette vie d'ouvriers, de misères, d'espoirs, de désillusions, de combats....

J'avais lu Pétrole ! de cet auteur et avait déjà apprécié son texte, un peu plus romanesque que celui ci.

Un texte même si quelquefois sa lecture est éprouvante et révoltante, il faut le lire car c'est un grand texte romanesque mais aussi un témoignage sur Chicago, l'américan dream, la condition ouvrière.

Ironie de mes lectures, je suis en train de lire et apprécier la lecture de "la femme révélée" de Gaëlle Nohant et celui ci se passe un peu plus tard à Chicago en 1950-1960 et les conditions sociales ont un peu évolué.

Quand le romanesque nous parle de la vie, des espoirs, des combats menés et qu'il faut malheureusement continués à mener.



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La jungle

Bien que l'histoire de ses héros soit fictive, le roman d'Upton Sinclair a la précision d'un témoignage, presque d'un documentaire. En nous plaçant aux côtés d'une famille d'immigrés lituaniens dans le Chicago du début du XXème siècle, il dresse un tableau exhaustif et terriblement réaliste de la condition ouvrière de l'époque, mais s'attache aussi à mettre en évidence le fléau que représente le nouveau modèle économique symbolisé par les trusts américains, en prenant l'exemple de la filière viande.



Ona et Jurgis sont au centre du clan dont nous faisons la connaissance, le roman s'ouvrant sur leur cérémonie de mariage, alors que le jeune couple est aux Etats-Unis depuis quelques mois. Ils se sont connus en Lituanie, et rapprochés à la mort du père d'Ona, propriétaire terrien qui voyait d'un mauvais œil que Jurgis, travailleur et sincère mais pauvre et illettré, tourne autour de sa chère fille, cultivée et habituée à un certain confort. Ona orpheline, et la fortune paternelle n'ayant pas fait long feu, Jurgis n'a guère eu de peine à la convaincre de le suivre pour tenter leur chance en Amérique. Ils partent accompagnés de Marija, l'exubérante et vigoureuse cousine d'Ona, de sa belle-mère et de ses cinq enfants, du frère de cette dernière et du père de Jurgis.



Passées les vicissitudes du voyage, qui voit fondre leurs maigres économies -ils sont bien sûr la proie de profiteurs en tous genres-, ils s'installent à Packingtown, quartier des abattoirs de Chicago, où les hommes de la famille et la solide cousine trouvent rapidement du travail. Les nouveaux arrivants sont alors subjugués par l'ampleur et la perfection technique de ce qui représente une ville à part entière : les abattoirs sont sans doute la plus grosse concentration de main-d'oeuvre et de capitaux qui ait jamais existé. Comptant trente mille employés, ils nourrissent trente millions de personnes de par le monde, et des milliers de bœufs et de cochons y sont tués chaque jour.







Bientôt, nos héros quittent la chambre crasseuse et minuscule dans laquelle ils s'entassaient depuis leur arrivée pour une petite maison soi-disant neuve qu'ils achètent, comptant sur le cumul des revenus des hommes de la famille pour en régler les traites...



La réussite semble leur sourire, mais ce n'est qu'une illusion...



Le travail à la chaîne pour un salaire de misère, à des cadences toujours plus soutenues, sans aucune mesure de sécurité, l'absence de protection sociale, rendent quotidien le risque d'accident ou de mort, par ailleurs exhaussé par des conditions de vie insalubres. Jurgis perd son père, emporté par la tuberculose, puis un accident de travail le maintient alité pendant plusieurs mois. A partir de là, tout semble se liguer contre eux. Les dépenses imprévues se multiplient, ils découvrent avoir été arnaqués lors de l’achat de leur maison, Marisa se retrouve elle aussi au chômage suite à la fermeture de la conserverie où elle peignait des boîtes... Lorsque Jurgis peut de nouveau travailler, il a perdu sa constitution robuste et son endurance, et doit se contenter de tâches de plus en plus viles, difficiles et mal payées.



Même le climat est contre eux, chaque saison faisant subir ses contraintes. Au printemps, c'est la pluie qui transforme tout le quartier, dépourvu de rues, en marécage, ses habitants devant parfois progresser plongés jusqu'aux aisselles dans une eau souillée pour rejoindre leurs logements. En été, ce sont les températures accablantes qui rendent les ateliers irrespirables, et provoquent de nombreuses morts par insolation. Le froid et la neige de l'hiver font des trajets pour joindre les lieux de travail une aventure parfois fatale pour les doigts et les oreilles...



Une véritable descente aux enfers, en somme, que partage le lecteur horrifié.



Les conditions de vie et de travail de tous ces hommes et femmes, de ces enfants aussi -puisque malgré la récente interdiction du travail aux moins de seize ans, les parents, pour survivre, n'ont souvent d'autre moyen que de mentir sur l'âge de leur progéniture- sont si dures, si dangereuses, si méprisantes du respect de l'individu que c'en est à peine supportable.

Ces ouvriers sont considérés non pas comme des individus d'ailleurs, mais comme de la main d'oeuvre, dont on tire le maximum au meilleur prix, et que l'on jette sans scrupule lorsqu'ils ne sont plus utilisables. Et c'est d'autant plus facile quand on a affaire à des travailleurs immigrés, ignorants de la langue et des usages de leur nation d'accueil.







C'est ainsi une nouvelle forme d'esclavage que dépeint Upton Sinclair, confortée par la toute puissance d'industriels engagés dans la course du profit à outrance, justifiant les pratiques les plus malhonnêtes, voire les plus délétères pour ceux qui en sont les victimes. Ainsi, dans les abattoirs, rien ne se perd : la graisse évacuée dans des eaux polluées est récupérée pour fabriquer du saindoux (auquel s'ajoute parfois les restes d'un ouvrier tombé dans la cuve), les carcasses de bœufs tuberculeux sont vendues après avoir été "maquillées", des alchimistes colorent les déchets pour en faire des conserves... Et ces mystifications à but lucratif s'étendent aussi au quotidien des habitants de Packingtown, dont les logements sont construits, en l'absence de tout-à-l'égout, sur des déjections, dont les aliments sont frelatés (des sels de cuivre sont ajoutés dans les conserves pour rehausser la teinte des légumes, le lait est étendu d'eau et additionné de formol...) dont les vêtements sont faits de coton additionnés de déchets de laine retissés,...



Tous les niveaux de la société sont d'ailleurs gangrenés par la corruption : la police, la justice, les services d'inspection sanitaire... sont à la solde des trusts dont ils servent les intérêts.



Face à cette puissance a priori invincible, à cette iniquité a priori inéluctable, que faire sinon capituler ? La prérogative quotidienne de la survie, créent une angoisse permanente. La misère est âpre, cruelle, mais surtout sordide, triviale, laide, et humiliante : beaucoup perdent tout respect d'eux-mêmes, sombrent dans l'alcoolisme, se perdent dans la prostitution... L'enthousiaste et responsable Jurgis devient dur, cynique. Il reprend toutefois espoir le jour où, ayant pénétré dans une salle de réunion pour s'abriter du froid, il entend un discours nouveau, qui invite à la lutte...



"La jungle" est un récit dur mais édifiant, dans lequel Upton Sinclair a su allier le souci d'une rigueur quasi journalistique (il a passé six mois à enquêter dans les abattoirs, où il s'est même fait embaucher) à un sens du romanesque justement dosé. Bien que riche en descriptions parfois très détaillées, son récit n'est ainsi jamais fastidieux, la dimension sociale de son texte n'occultant pas l'importance de ses personnages. Son écriture est par ailleurs très vivante, faisant naître images et odeurs à l'esprit du lecteur, et enrichie d'un humour -certes noir- et d'une implication ironique qui met d'autant plus en lumière l'absurdité monstrueuse du monde qu'il évoque.



A lire, bien sûr !



N.B : à sa sortie, en 1906, cet ouvrage fit scandale. Mais au grand regret de son auteur, c'est davantage le scandale sanitaire qui interpella ses concitoyens que les conditions de travail inacceptables des ouvriers. Un rapport d'enquête sera exigé par le président Roosevelt à la suite de la parution de "La jungle", qui aboutira à l'adoption de deux lois sur l'inspection des viandes.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Pétrole !

Adapté au cinéma par PT Anderson dans There will be blood qui en a évacué toute la dimension politique (pourtant très bien décrite), ce roman volumineux accroche par son aspect picaresque. Un magnat du pétrole prospecte des terrains en compagnie de son unique fils afin d'y dresser des derricks et d'y extraire le précieux minerai. Les terres désertiques ne semblent exister que pour le développement de cette industrie. Les fermiers pionniers les ont déjà substituées aux Mojaves et il n'est donc pas choquant qu'ils se fassent eux-même déposséder à leur tour de leurs biens par les compagnies pétrolières. L'histoire qui se fonde sur l'exploitation de la multitude par un petit groupe d'hommes et la transformation des espaces naturels en décor artificiel n'est pas nouvelle. Mais elle retire ici un attrait supplémentaire pour la touche d'authenticité, l'histoire étant racontée par un américain. Ce pays a inventé l'histoire moderne en poussant jusqu'à l'excès la logique capitaliste dans laquelle le principe fondamental de gain noie toute tentative de considération humaniste.

Est-il pour autant aussi facile d'en tirer profit? Pas sûr. Car il faut compter sur la dangereuse duplicité des hommes politiques corrompus, le soulèvement d'une conscience collective menant à un nouvel ordre social, et sur l'organisation émergente d'une classe laborieuse révolutionnaire qui compte bien mener la vie dure aux entrepreneurs.

Cette lutte prend corps ici à travers les deux héros : Papa , un capitaliste endurci, et Bunny son fils, un privilégié aux idées radicales à tendance gauchiste.

Les deux figures vont s'opposer sans qu'il n'y ait pour autant de conflit majeur. Et là réside la force de ce roman, qui est de ne jamais montrer d'impasse à l'amour mutuel et au respect filial. le père et le fils, dans une recherche permanente de conciliation, vont suivre leurs chemins respectifs en acceptant leurs différences.

Rien n'est évident donc dans un monde réaliste où les idéologies, aussi vertueuses soient elles, ne se montrent pas moins sauvages et violentes que les systèmes qu'elles ont l'intention de renverser (la scène d'émeute dans l'un des derniers chapitres est d'une brutalité spectaculaire). Un livre cathartique qui prône la tolérance comme un étendard inaltérable, dépassant par là même les limites de la finitude des choses (les séances de spiritismes en sont l'illustration).







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