Citations de Vassilis Alexakis (190)
Les personnages de roman n'ont pas été moins présents dans ma vie que les gens de ma famille.
Notre adhésion à l’Europe, puis à l’euro, nous a fait croire que la Grèce avait changé, qu’elle n’avait plus de commun que le nom avec le pays malheureux de notre enfance, dit-il. Nous avons vécu un conte de fées. Dans les îles les pêcheurs ne pêchaient plus : ils discutaient dans les cafés de leurs placements boursiers. Nous nous sommes rêvés propriétaires de palais et de carrosses dorés. Nous avons atteint le comble de la mégalomanie en accueillant les Jeux olympiques, qui ont alourdi notre dette d’une quinzaine de milliards d’euros. Nos leaders politiques, qui avaient le devoir de nous aider à nous ressaisir, ont fait le contraire, ils ont encouragé nos illusions pour nous être agréables. Nous n’avons pas seulement menti aux autres, nous nous sommes menti à nous-mêmes.
On nous reproche d’être entrés dans la zone euro par effraction, en présentant de fausses statistiques qui minimisaient nos déficits, dit-elle. Mon mari me rappelait que les anciens Grecs ont pris Troie par ruse, cachés dans le cheval de bois imaginé par Ulysse, et que Zeus a obtenu les faveurs de la jeune Europe déguisé en taureau blanc.
La valeur des héros se mesure à la capacité de nuisance de leurs adversaires.
Certes, je n’ai pas été capable de suivre leur exemple, ils ont été néanmoins mes premiers maîtres. Tarzan m’apprit à grimper aux arbres, Robin à fabriquer des arcs, Robinson à construire des cabanes, le dernier des Mohicans à me déplacer sans bruit, Edmond Dantès à faire le mort.
Je suis assis face à la fenêtre, qui est ouverte, mais je ne vois rien, naturellement. Je quitterai une fois de plus Jannina en n'emportant aucune image de la ville. Je me souviendrai de son brouillard. Jannina a l'élégance de ne pas charger la mémoire de son visiteur d'images superflues, qui seront de toute façon effacées. Elle offre le tableau d'une ville déjà oubliée. Elle dépose dans la mémoire de son visiteur un petit morceau de coton.
Je rêve d'un texte susceptible de multiplier les espaces de ma vie, de me donner la même sensation de liberté que j'avais, enfant, en lisant Jules Vernes et Alexandre Dumas, et que j'éprouve à la lecture d'Eckermann.
Le pi (π) évoque ces baraques qu’on construit en toute illégalité, parfois en une nuit, dans les forêts, le rhô (P) un touriste robuste chargé d’un volumineux sac à dos, le phi (Φ) le même touriste vu de face. Le sigma (Σ) représente la gueule ouverte d’un poisson affamé. Le tau (T) est un marteau, l’upsilon (ϓ) un lance-pierres, le khi (X) une paire de ciseaux, le psi (Ψ), comme je l’ai dit un trident.
On ne doit entendre alors que la musique du jeu lui-même, le déplacement caressant des boules, leur imperceptible rebondissement sur la bande, la note juste et sourde qu’elles produisent lorsqu’elles se rencontrent. On dirait qu’elles s’excusent mutuellement. Le ping-pong a un caractère plus gai : son bruit évoque le pas d’une femme qui descend un escalier de marbre sur des talons aiguilles. Sa balle est à peine plus lourde que l’air. Elle est faite pour s’envoler. On a raison de la coincer sous la raquette quand le jeu s’arrête.
Le fanatisme religieux était inconnu à Rome aussi bien qu'à Athènes. Il a été introduit par les premiers chrétiens, qui avaient une mentalité proche de celle des fondamentalistes musulmans d'aujourd'hui. Ils étaient les soldats d'un Dieu qui ne tolérait aucune autre autorité que la sienne, aucune autre vérité non plus. Le monothéisme est un monologue. Les Romains n'auraient pas pris la peine de persécuter les chrétiens si la parfaite organisation de ces derniers et leur exaltation ne les avaient rendus dangereux.
- Tu m'as reproché quelquefois de ne pas extérioriser suffisamment mes sentiments. "Mais il y a des choses qu'on ne peut pas dire, je te répondais, ou que moi je ne sais pas dire." Tu prétendais que les choses qu'on ne dit pas n'existent pas... A l'hôpital aussi je voulais te parler, mais quelque chose m'en empêchait tout le temps... Je voudrais te remercier de m'avoir tenu compagne pendant tant d'années, ma bonne Marika.
Il a sorti de sa poche quelques mimosas enveloppés dans du papier et les a posés entre ses mains. Ensuite il a baisé ses mains. J'ai remarqué que le jeune fossoyeur était ému.
J'ai été charmé par l'adjectif érateinos, qui fait partie de ces mots innombrables qui n'ont pas survécu. Je ne sais pas comment disparaissent les mots, s'ils font naufrage ou si le temps les gomme progressivement, s'ils meurent lentement ou de façon accidentelle.
Vezirtzis, le professeur d'histoire qui supervise mes études de troisième cycle, a été surpris lorsque je lui ai fait part de ma décision.
- On peut savoir d’où vient ton intérêt pour les présocratiques ?
Il avait l'air moqueur, mais c'est l'air qu'il a à peu près tout le temps. Il l'a probablement adopté à Paris où il a fait son doctorat. J'imagine que tout les professeurs de la Sorbonne ont exactement cet air-là.
Nous avons la musique, mais nous n’avons pas encore les paroles. Le sango est peut-être notre dernier rempart. Les peuples privés de langue sont des peuples sans défense.
Le mot « fou » nous l’avons pris au français, mais nous l’avons développé, enrichi. Nous lui avons ajouté trois syllabes ! Il est devenu fufulafu ! Il exprime mieux l’état de folie sous cette forme, vous ne trouvez pas ?
Je lisais avec la crainte que le livre ne m'échappe, qu'il ne s'envole tel un oiseau. Il m'a échappé effectivement, à deux reprises, ce qui a fini par attirer l'attention d'une vendeuse."si vous comptez rester longtemps, vous feriez mieux de vous asseoir" m'a-t-elle dit assez rudement.
Tout compte fait, c’est au bord de la mer que je préfère être mangé. Les enfants pourront utiliser mes os pour consolider leurs châteaux de sable, les adultes mes genoux pour jouer aux boules, et tout le monde pourra se servir de ma tête comme d’un ballon de foot. J’aimerais bien faire mes adieux à la vie par un dernier joli but.
Toutes les liaisons sont sans le lendemain,
mais il faut parfois du temps pour
s' en rendre compte. (pg. 138)
Je me suis éloigné du dessin quand j'ai commencé à prendre conscience de la somme de travail qu’exige un roman. Je ne me souviens pas que cet abandon m'ait particulièrement coûté. Du reste, les mots savent dessiner. Peut-être y a-t-il dans les livres que j'ai écrits depuis que je ne dessine plus certaines des images que je n'ai pas exécutées au cours de toutes ces années.
Ne vous occupez pas de Plutarque a-t-il dit. Vous avez trouvé un chemin à vous. Il faut le suivre jusqu'au bout, il vous mènera bien quelque part. Je crains seulement que l'epsilon vous manque quand vous aurez rassemblé les quarante mots … Mais peut être n'en aurez vous plus besoin.