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Citations de Victor Segalen (613)


Pour lui complaire


A lui complaire j'ai vécu ma vie. Touchant au bout extrême de mes forces, je cherche encore à imaginer quoi pour lui complaire :

Elle aime à déchirer la soie : je lui donnerai cent pieds de tissu sonore. Mais ce cri n'est plus assez neuf.

Elle aime à voir couler le vin et des gens qui s'enivrent : mais le vin n'est pas assez âcre et ces vapeurs ne l'étourdissent plus.



Pour lui complaire, je tendrai mon âme usée : déchirée, elle crissera sous ses doigts.

Et je répandrai mon sang comme une boisson dans une outre :

Un sourire, alors, sur moi se penchera.
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Victor Segalen nous recommande non seulement un art de voyager, mais aussi un art de vivre :

Conseils au bon voyageur

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.

Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches, mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.

Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.

Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la vertu d'une vertu durable : romps-la quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.

Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peine, tu parviendras non point, ami, au marais des joies immortelles,

Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.
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[ Trahison fidèle ]

Tu as écrit : « Me voici, fidèle à l’écho de ta voix, taciturne, inexprimé ? » Je sais ton âme tendue juste au gré des soies chantantes de mon luth :

C’est pour toi seul que je joue.

Écoute en abandon et le son et l’ombre du son dans la conque de la mer où tout plonge. Ne dis pas qu’il se pourrait qu’un jour tu entendisses moins délicatement !

Ne le dis pas. Car j’affirme alors, détourné de toi, chercher ailleurs qu’en toi-même le réponses révélé par toi. Et j’irai, criant aux quatre espaces :

Tu m’as entendu, tu m’as connu, je ne puis pas vivre dans le silence. Même auprès de cet autre que voici, c’est encore,

C’est pour toi seul que je joue.
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Ce n'est point au hasard que doit se dessiner le voyage. À toute expérience humaine il faut un bon tremplin terrestre. Un logique itinéraire est exigé, afin de partir, non pas à l'aventure, mais vers de belles aventures.
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Je suis comblé je suis si haut, tout en mon corps d'homme respire
Mais qui me tord et pénètre et renie...
Devant tes monts, au haut de toi, étreignant ton investiture
Mais quoi me conjure et me parjure...
Je t'ai vaincu Thibet superbe, ô mon poème! o mon émoi
Je t'ai embrassé dans ta superbe
Autant qu'un homme peut jouir je me suis fondu dans ta glace
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Au delà des monts de mon désir ,
Épaulant le Ciel-Océan de ton promontoire sans norme,
Radjah du gigantesque gésir.
L'espace a durci; le poids tombe; l'eau se fait lutte mouvante;
Ici, tout dévale de ton haut;
Et l'eau et l'espace et le poids et je ne sais quoi d'épouvante,
Descend, majestique en Tes troupeaux
Ces humains! Ces taureaux enrobés! des deux arcs
m'encornant,- deux mains m'empoignant,
Intrus et interdit dès l'orée:
Ces géants grenats et grands, faces saintes, démarche délurée,
Ces bucrânes vivants et grognants!
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L'homme riche ignore la sandale et méprise la marche. L'homme riche, bourgeoisement, s'en va-t-en chaise.
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Une ville populeuse, peuplée, mais non populacière. Ni trop ordonnée, ni trop compliquée. Les rues, dallées de ce large grès velouté, gris-violet, doux au fer des sabots et aux semelles ; des rues que l'échange des pas remplit, et pourtant où l'on peut trotter à l'aise à grande allure ; où les riches maisons de vente dégorgent incessamment les soies et les couleurs et les odeurs... même inattendues, des chaussures, minutieusement cousues, relèvent leur poulaine courte. Des jambons arrondissent leur fesse luisante ; des cordes de tabac et leur note grave ; des œufs rouges, d'une garance effroyable, des œufs peints, sont moins riches que la lueur ambrée et le verdâtre des œufs conservés, épluchés, leurs voisins. Ces délicats bijoux de plumes bleu turquoise, niellés d'argent ; des cuirs tannés, et des cuirs vivant encore ; des ceintures anciennes et ces cartouchières neuves... Voici des calots de soie mauve, et des coupons empilés, colonnes denses de soie, de soie dure, vendue au poids de soie, sous les teintures gris de pigeon, les verts de Chine, les grenats. Puis, des écheveaux affadis du rouge au blanc, laissant glisser le son comme une corde de luth dont on dévisse la clef. Ces denrées, ces matières papillotantes à l'extrême, encastrées méticuleusement dans chaque échoppe ou magasin, dont le cadre est fait de ceci : un beau noir et or. Les poteaux laqués du beau vernis brun sombre à luisants noirs et reflets roux, la laque de Tch'eng-tou, et non d'ailleurs...
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Cette ode au Passé ne peut donc être ancienne : il faut bien qu'elle date d'ajourd'hui.
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Nom caché

Le véritable Nom n’est pas celui qui dore les portiques, illustre les actes ; ni que le peuple mâche de dépit ;

Le véritable Nom n’est point lu dans le Palais même, ni aux jardins ni aux grottes, mais demeure caché par les eaux sous la voûte de l’aqueduc où je m’abreuve.

Seulement dans la très grande sécheresse, quand l’hiver crépite sans flux, quand les sources, basses à l’extrême, s’encoquillent dans leurs glaces,

Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du cœur, — où le sang même ne roule plus, — sous la voûte alors accessible se peut recueillir le Nom.

Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance !

p.134
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Nous montions un escalier entièrement revêtu d’un tapis spongieux où le pied s’encotonnait : précaution contre « ses » chutes, évidemment. Mais je me composais une attitude. Comment aborde-t-on un fou ? En restant impénétrable et digne afin de lui en imposer ? ou mieux, d’une façon joviale, avec un débraillé bon garçon ? Je me décidais à peine quand Mathilde ouvrit une porte : un son continu, doux et transparent me coula dans les oreilles. Mon débraillé s’en envola ; et ce fut évidemment sous des apparences ébahies que je pris la main qu’il me tendait, lui, le plus simplement du monde.
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{Récit de voyage - 1914}

La femme chinoise, plus que toute autre, demande à être achetée. Comme dans tout marché chinois le rôle des intermédiaires est important, si important que la conquête de l'objet, fort atténuée par les débats nécessaires, aboutit péniblement à une pure et simple livraison.
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Un grondement de la foule étrangla sa parole, mais il reprit plus fortement:
- "Quand les hommes changent leurs dieux, c'est qu'ils sont plus bêtes que les boucs, plus stupides que les thons sans odorat! J'ai vu des oiseaux habillés d'écailles! J'ai vu des poissons vêtus de plumes: je les vois: les voici: les voilà qui s'agitent ceux que vous appelez "disciples de Iésu". Ha! ni poules! ni thons! ni bêtes d'aucune sorte! J'ai dit : Ahora-nui pour la terre Tahiti, à ma revenue sur elle. Mais où sont les hommes qui la peuplent? Ceux-ci... Ceux-là... Des hommes Maori ? Je ne les connais plus: ils ont changé de peau."
(p. 230, Chapitre 4, “La loi nouvelle”, Partie 3).
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Vite, on ménageait des places rondes où préparer la boisson rassurante, le àva de paix et de joie, - que les Nuù-Hiviens, dans leur rude langage, appellent le Kava. Autour du bassin à quatre pieds creusé dans un large tronc de tamanu, s'assemblaient par petits groupes les gras possesseurs-de-terres, leurs fétii, leurs manants, leurs femmes. Une fille, au milieu du cercle écorçait à pleines dents la racine au jus vénérable, puis, sans y mêler de salive, la mâchait longuement. Sur la pulpe broyée, crachée du bout des lèvres avec délicatesse dans la concavité du tronc, elle versait un peu d'eau. On brassait avec un faisceau de fibres souples qui se gonflait de liquide, et que la fille étreignait au-dessus des coupes de bois luisantes. A l'entour, les tané buvaient alors la trouble boisson brune, amère et fade, qui brise les membres, mais excite les nobles discours.
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Térii, paisiblement, avait repris ses allées et venues dans la nuit. Et son corps d'homme vivant n'avançait point d'une démarche moins sûre que les pensers de son esprit, qui le conduisaient désormais sans une défaillance, par les sentiers broussailleux du passé. Cependant il désira connaître les ennemis de sa race, et quel avait été contre eux le succès du maléfice.
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La salle est plus vide que jamais. Il y fait noir, il y fait froid, il y fait peur.....Il y a là quelqu'un d'immense qui halète . Il y a là une présence plus redoutable que le vide qu'elle ne comble pas.
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Je naquis. Le reste en découle. C'est donner donc au reste, à ce livre, la simplicité, la droiture, - non pas d'une biographie, ni d'une apologie ni d'une confession ni d'une justification, - mais d'une série répétée de naissances, de constatations, de reconnaissances. C'est la mise en un seul point de vue d'une série de faits qu'il serait de mauvais goût envers soi-même d'exalter ou de déprécier à l'extrême sous prétexte qu'ils furent miens. Je n'ai pas d'exemple littéraire à suivre, ni de précurseurs à décrier ou à imiter. Toute naissance renouvelle par définition le monde autour de soi.

Je ne connais aucun essai de "journal" ou de vie qui ne soit précisément occupé et rempli de ce dont je me désintéresse ici : la rumination sentimentale, l'expérience ou le constat psychologique ! - la justification politique ou morale.

(Brest, 1916)


p. 107
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A celle dont les cheveux libres tombent en arrière, sans empois, sans fidélité - et les sourcils ont l'odeur de la mousse.
A celle qui a des seins et n'allaite pas; un coeur et n'aime pas; un ventre pour les fécondités, mais décemment reste stérile.
A celle qui, prête à donner ses lèvres à la tasse des épousailles, tremble un peu, ne sait que dire, consent à boire, - et n'a pas encore bu.
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J'ai cherché longtemps la trace dans la pierre des temps Confucéens, de ces faits légendaires et humains, presque trop exemplaires et si humains. On peut distinguer dans les "temps Confucéens", la vie proprement dite du Sage, 551 à 479, de la chronique dont il est l'auteur, le célèbre "Printemps et Automne", qui va de l'an 722 à 481. C'est l'époque de la Chine formaliste, féodale, rituelle, balancée, si minutieuse dans ses préceptes que l'on ne peut conclure qu'à beaucoup de grossièreté native chez un peuple qui réclamait qu'on lui mette ainsi à chaque pas la semelle dans une ornière bien prévue ; si mal habillé, ou si négligent de corps, qu'il fallut régler par décrets la longueur des manches, le nombre de boutons ; si peu sûr dans ses sentiments sociaux, qu'il fut obligatoire de lui en imposer tout au moins l'apparence, en l'obligeant à des "maintiens". - Il est vrai que le désir d'apprendre était aussi vif que celui d'enseigner. Les Chinois de Tcheou furent d'aussi bons élèves que Confucius fut bon instituteur. Et la "classe" durait encore, depuis deux mille cinq cents ans, il y a quelques années à peine.

Les origines de la statuaire de Chine, 1917.
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Évidemment j'avais affaire à un fou. Ce n'était pas discutable. Pour en être plus certain, je me le répétais avec obstination. Malgré tout, ce spectacle d'un mari maniaque épiant une imaginaire folie chez sa femme, ce spectacle était plein d'ironie triste.
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