Vincent Jauvert à Quais du Polar

À part l’ancien ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, Pierre Joxe, devenu avocat pour mineurs, il ne s’agit pas, pour ces énarques, de défendre la veuve et l’orphelin. Mais d’entrer dans le monde des affaires. En monnayant leur connaissance intime de l’État.
Pourtant, certains rechignent à franchir le pas. À la même époque que ses amis Hollande et Royal, Michel Sapin, lui aussi « voltairien », se pose des questions sur son avenir. « En 1993, j’avais 41 ans, j’étais ministre de l’Économie de François Mitterrand, raconte-t-il. Quand la droite a gagné les élections, je me suis dit : pourquoi pas le privé ? Comme je suis magistrat, je pourrais devenir avocat. »
L’ancien patron de Bercy prend contact avec un grand cabinet français. Les associés l’invitent dans un restaurant ultrachic. « À la fin du repas, se souvient Michel Sapin, je leur demande naïvement : ‘‘Que ferais-je chez vous ?’’ »
La suite du dialogue est savoureuse. Et ô combien révélatrice :
« Vous venez de faire adopter une loi sur la prévention de la corruption. Vous pourriez aider nos clients à ce sujet.
— Comment ? En leur montrant les failles de cette loi que j’ai imaginée ?
— Ben oui.
— Non, ça je ne peux pas. Ce ne serait pas déontologique.
— Mais alors, à quoi d’autre pourriez-vous bien nous servir ? »
Emmanuel Macron déteste les privilèges des grands commis de la République. Leur entre-soi mortifère aussi. C’est ce qu’il dit, en tout cas. Dans son livre de campagne, Révolution, il fulmine contre « les hauts fonctionnaires [qui] se sont constitués en caste ». « Il n’est plus acceptable, ajoute-t-il, qu’ils continuent à jouir de protections hors du temps. » Fort bien.
Seulement voilà : son univers – la Macronie – est peuplé de ces intouchables d’État.
L'inspecteur des Finances Jean-Pierre Lieb a fait toute sa carrière à la DGFiP dont il a dirigé la branche "fiscalité des entreprises". A 52 ans, il décide de changer de vie. Et d'employeur. En 2014, il se retrouve chez EY Société d'avocats. Où ? Dans le département "Business tax services", pardi !

Un jour, je demandais au financier Alain Minc s’il connaissait le montant des revenus du maire de Toulouse – quelques jours auparavant, il avait affirmé que l’édile de la ville rose n’était pas assez rétribué. « Dans l’atmosphère populiste, démagogique ambiante, avait dit-il lancé, on n’ose pas dire : le métier politique n’est pas rémunéré. Combien gagne un maire ? Un maire gagne quelques milliers d’euros, le maire d’une ville comme Toulouse. Tout cela n’a pas de sens. » En fait, il ignorait le vrai chiffre. Je lui indique donc : 10 000 euros net par mois tout compris. Il répond que cela est trop peu et qu’il faut éprouver une « jalousie de journaliste » pour penser le contraire. Au passage, je rappelle à Alain Minc que 10 000 euros par mois, c’est exactement le montant de ses émoluments comme président du conseil d’administration de la Sanef, une société d’autoroutes. « Vous savez, ces jetons de présence sont à peine quelques pourcents de mes revenus totaux », s’empresse-t-il de rétorquer, de peur sans doute d’être assimilé à un tel gagne-petit.
Ah, un conseil d'administration ! Pour un haut fonctionnaire c'est fromage, dessert et pousse-café. Prenez Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque de France et de la BCE (banque centrale européenne). Cet inspecteur des Finances de 75 ans (qui) début 2013 a été désigné administrateur d'Airbus, comme représentant de l'Etat qui détient 11% du capital. En 2016, le conseil d'administration s'est réuni six fois. A chaque reprise il était présent. Il a donc encaissé le maximum de jetons de présence: 160 000 euros. Depuis 4 ans, 585 000 euros, de quoi arrondir sa pension. Mais au fait, pourquoi se retrouve-t-il là, lui qui a fait sa carrière dans la banque, pas dans l'aéronautique ? "Détrompez-vous, lance-t-il en fronçant ses épais sourcils, j'ai été conseillé aéronautique d'un président français." Lequel ? "Giscard." C'était en 1974, il y a plus de quarante ans. Oui, immuable France.
... il s’est retrouvé, du jour au lendemain, administrateur d’Atos, avec une rémunération d’environ 40 000 euros par an, ce qui lui permet d’agrémenter son train de vie de maire et de président de l’agglomération du Havre pour lesquels il est rémunéré 8 400 euros bruts par mois. Et ainsi d’amoindrir sa perte de revenu, puisqu’en tant que Premier ministre il percevait 15 000 euros bruts par mois.
Prenez Alain Juppé. Oui, même Alain Juppé, aujourd’hui statue du commandeur de la politique française. En novembre 2002, il est élu président du nouveau parti chiraquien, l’UMP, juste après Renaud Dutreil… Il a 57 ans et demi. Il décide de liquider ses droits à la retraite d’inspecteur des Finance. Cela fait 38 ans qu’il cotise, alors que, de fait, il n’en a travaillé que quatre à l’inspection, de 1972 à 1976.
En épluchant les dossiers confidentiels de la CIA et du département d’État, il m’est apparu que Jean de La Grandville, dont les premiers quartiers de noblesse remontent au XVIe siècle, avait, de juin 1964 à fin 1966, informé secrètement les Américains sur tous les projets de De Gaulle concernant l’OTAN. Il a trahi en toute conscience.
Du jour au lendemain les français vont pouvoir connaître les rémunérations actuelles et passées des ministres, des maires de métropole, des présidents de département, des conseillers régionaux mais aussi des hauts fonctionnaires: les directeurs d’administration centrale, les ambassadeurs, les préfets, les trésoriers, payeurs généraux, les recteurs d’académie… Pour la démocratie, c’est une grande avancée. Pour la noblesse d’Etat, un affront insupportable. Elle va manoeuvrer en catimini.
Des ministres d'Edouard Philippe qui ont accumulé des fortunes dans des allers-retours entre le public et le privé et qui ont bénéficié personnellement de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune ( ISF ) décidée par le gouvernement auquel ils appartiennent .
Des femmes et des hommes politiques qu'Emmanuel Macron récompense , en coulisse , pour avoir changé de camp , avec des jobs rémunérés parfois plus de 200 000 euros par an .
Des anciens ministres de droite comme de gauche , et non des moindres , qui vendent leur carnet d'adresses au plus offrant et deviennent , à prix d'or , de vulgaires lobbyistes .
D'autres qui rentabilisent leurs réseaux en montant des fonds d'investissements , parfois aux limites de la loi .......