Vincent Munier

Je ne vois rien... et ne verrai rien d'autre.
Journée sans photos, mais de magnifiques images sont là, quelques part dans mon imaginaire.
Je me sens comblé. Entier. Vivant. Je me sens appartenir organiquement à cette Terre. Libre.
Sans triche, ni artifice.

Bharals : ils moutonnent lentement, peluches de ciel cotonnant le versant.

J'écris au fil éphémère dans le désert immaculé de l'Arctique. Je ne laisse que ma trace, que le vent aura vite fait d'effacer.

Tant de préparatifs, de négociations, de vols, de contrôles et de stress avant de pouvoir enfin vivre mon rêve... être seul au bout du monde, sur les terres du loup blanc.

J'étais frappé de la façon dont notre ami regardait le paysage. En réalité, il le lisait comme on déchiffre la page d'un poème ou comme le musicien étudie la partition. Il regardait les vires rocheuses, les parois, les anfractuosités et nous expliquait ce qui était susceptibles d'advenir. (Sylvain Tesson)

Le photographe naturaliste ne fend pas l'espace, il s'installe dans le temps. (Sylvain Tesson)

J'ai mangé de la poussière et grincé des dents, j'ai ri et pleuré de joie, mais je n'ai rien appris que ke ne savais déjà ou que je ne pressentais depuis des années.
J'ai compris depuis longtemps que la liberté ne se trouve ni sans les kilomètres parcourus, ni dans la quête de la rareté ou de l'extrême, mais dans la contemplation amoureuse du vivant. Qu'il soit une panthère des neiges, un envol de rouge-gorge ou une fougère dans un muret de pierres. (Marie Amiguet)

Elle a dû nous entendre et voir passer Sylvain et Léo.
Elle est là, quelque part, et nous observe.
La montagne a des yeux.

Rapidement on rejoint nos amis pour leur annoncer cette excellente nouvelle. Promesse de l'invisible.

Deux mois plus tard, à mon bureau, face à l'écran, je fais défiler mes images et tombe sur le faucon.
Un flash... Je zoome : LA PANTHÈRE !
Elle était là, derrière le faucon ! J'en ai des frissons... Elle me scrutait et m'observait. Au printemps, on m'apprend que le faucon serait mon animal totem. Peut-être voulait-il guider mon regard vers elle ?
J'aime à le penser.

Que j'aime cette vallée, avec ses successions de larges pentes douces, ses imposantes montagnes aux sommets noirs. Comme si de gourmets nuages y avaient délicatement déposé un coulis, qui donnerait presque envie de les manger.

Passer des heures en contrôles de sécurité, faire la queue. Ces milliers de gens, ces hôtels, bruits et odeurs. Quel non-sens ! Et ce sentiment de culpabilité qui me taraude : partir loin, si haut, si vite, sans aucun mérite. Prendre tous ces avions. Aurai-je un jour ce fabuleux courage d'y aller à pied, à cheval ou à vélo ? J'en serai fier.
Il y a aussi ce paradoxe récurrent de donner à voir la beauté de la nature et d'éveiller chez beaucoup l'envie de vivre la même aventure... Voire, pour certains, de développer un business de tourisme. Il est probable que, par ma faute, des centaines de photographes envahissent ces vallées magiques dans quelques années ! Quelle angoisse.
J'ai hâte de retrouver le précieux silence du toit du monde pour apaiser mes pensées sombres, le fatalisme qui m'envahit et me submerge...
Et tenter d'effacer cette impression de m'être trompé d'époque.

Quelques heures plus tard, enfin arrive la bête ! Sa tête, d'abord... puis elle apparaît doucement. Une queue interminable... Tapie, La panthère observe. Un couple de grands corbeaux joue avec sa queue, une fois, deux fois, trois fois...
Le félin est large, puissan. Un mâle, sûrement. Les taches de sa robe rappellent les lichens sombres des pierres. Quel mimétisme ! Quel art du camouflage !

Loup ? Grand renard ? C'est flou.
Je m'use les yeux. Effrayée par les yacks qui la chargent, la bête disparaît. Quand soudain je frissonne : le chant du loup !
Il est magique, je ne m'en lasserai jamais.

Émotion : la tête d'un grand yack sauvage surgit au-dessus de la ligne d'une colline.
Mélange de fascination et de peur. Utile sentiment que je rechercjhe en permanence : me sentir fragile.

PROPOSITIONS DE DEVISES POLITIQUES POUR LE PARTI DES BETES
Bas les pattes, devise de l'ours.
Sans peur et sans fatigue, devise du loup.
Je ne suis pas là, devise de la panthère.
Je maintiendrai, devise du yack sauvage.
L'union fait la force, devise du bharal.
Attrape moi si tu peux, devise de la gazelle.
Je vous tiens à l'oeil, devise du gypaète.
Je vaux mieux que ce que vous pensez, devise du kian.
Home sweet home, devise de la marmotte.
Service action, devise du faucon sacré.
Pardon pour la poussière, devise de l'antilope.
Ne croyez pas que je sois mignon, devise du chat de Pallas.
Je m'occupe du reste, devise du vautour.

Pour toutes ces bêtes, même conclusion : ne me touchez pas.

La jouissance d'être

Elle repose dans les rochers.
Ses siestes homériques durent un jour entier.
Comme les princes d'Asie, elle dort sur des fourrures.
A quoi rêve-t-elle ? A des festins de viande ?
Elle se réveille, hume le crépuscule, décoche un bâillement où elle avale le monde.
Elle plisse les yeux, ramène les pattes et se tient, les yeux perdus vers le Mékong.
Un savant répugnerait à dire qu'elle jouit de la vie.
L'Académie des sciences n'attribue pas aux bêtes l'art de méditer.
Pourtant, que savons-nous ?
Les animaux possèdent peut-être le sens du beau.
Et quand les gypaètes tiennent le surplace dans le ciel,
Je ne peux m'empêcher de penser qu'ils sont au spectacle de l'or du soir qui tombe.

Je connaissais déjà le talent de Vincent Munier mais avec cet ouvrage il signe un véritable chef d'œuvre. Des ambiances et des lumières qui transforment ses photographies en de véritables tableaux. La qualité des livres est elle-même à la hauteur des photographies : présentation soignée, impression et papier magnifiques, mise en page superbe.

Corbeau : un tourment passe dans la mémoire du ciel.

Gazelle : elle fuse comme une pensée dans l'esprit du lieu.

LE SOUFFLE DE L'OMBRE

Elle passe sans bruit sous la roche statutaire.
Elle est comme le temps : sans trace, ni repos.
"Tout passe, tout coule, tout s'écroule", disait Héraclite comme pour décrire la panthère.
Elle va, reflet d'un songe dans un jardin de glace.