Citations de Vincent Munier (78)
COUPER LE VENT
Le yack fendait l'ombre et la poussière,
Il faisait la navette entre hiver et lumière.
LA PANTHERE CHATOYANTE
Poikilos : ce mot grec désigne la peau tachetée d'un fauve.
Le même terme, dans la poésie antique, décrit le chatoiement de la pensée.
La panthère, comme la pensée, circule dans le labyrinthe.
Difficilement saisissable, elle passe, accordée au monde, pavoisée de beauté.
Vive parmi les choses mortes.
Douce et dangereuse à la fois.
Ambiguë comme la plus haute parole.
Imprévisible et sans confort.
Pensée bigarrée, réalité chatoyante, pelage moiré : panthère poikilos.
LA QUESTION DE NOTRE PRESENCE
Le Tao invite au non-agir.
Le bouddhisme recommande d'enfouir tout désir.
Mais que viennent faire les Occidentaux au Tibet?
Pleine face,
Grand vent,
Présence pure :
Souveraineté de l'être.
Les bêtes sont les notes sur la partition.
Que jouent-elles ?
Le chant du monde.
Et soudain la panthère apparut, prouvant par sa présence qu'on gagnera toujours à s'oublier et à attendre que le temps pourvoie la récompense de la patience. (Sylvain Tesson)
Moi qui ne jurais que par l'art de la fugue, on m'invitait aux promesses de l'affût. (Sylvain Tesson)
Munier fut ce professeur qui m'a appris à lire pour la deuxième fois de ma vie. (Sylvain Tesson)
Un vieux briscard, à la large tête marquée de cicatrices. Une vie rude. Quelle drôle d'allure...
Il mange sur la bête, sortant régulièrement sa tête rouge de sang pour nous jeter un regard glacial.
La journée sera mémorable !
Vincent : "Rien n'est écrit. Tu ne peux pas tout deviner, anticiper ou maîtriser. Tu es suspendu au mouvement de l'animal, à la lumière, aux éléments.
Sauvage signifie un peu ça : c'est quelque chose qui échappe à notre contrôle.
Simplement. Et c'est bon.
L'expérience aide un peu, bien sûr, mais elle n'est pas suffisante. Il y a une nécessité d'immersion dans le milieu, d'acharnemen aussi, d'humilité, de respect, de connaissance, de patience..."
Sylvain : "C'est un jeu de piste, en fait ! C'est la lecture d'un grand livre, que tu fais.
Un livre plein de signes.
Et si tu n'as pas appris à lire, tu traverses le livee sans rien voir."
À chaque ascension j'enrage d'être si peu adapté à ce milieu.
Notre recherche du confort et notre soi-disant progrès nous éloignent de la nature, mais aussi de notre propre nature. Tout puissants ? Pas ici...
"Je suis sa proie !"
À quelques mètres, j'avoue que c'est la peur qui m'a fait me lever, et lui montrer que je n'étais pas un yack mais un homme. Ma verticalité a suffi pour la stopper, et faire dévier son chemin d'un bond vers les rochers. Elle s'arrête plus loin dans la pente, me jette un regard altier. Et avec dignité, s'évapore dans le minéral.
Souvent, il m'arrive de regretter de m'être levé.
Jusqu'où serait-elle allée ?
Bien évidemment, je reste confiant. Huit loups peuvent certes terrasser un yack de 600 kilos, à côté desquels mes 75 kilos ne représentent pas grand chose. Mais le loup n'attaque jamais l'homme. Si je reste sur mes gardes avec l'ours, l'habitude de côtoyer les loups en a fait des amis timides. Une amitié non réciproque, probablement...
Grâce à la neige, nous pouvons suivre ses traces toutes fraîches. Tenaces, nous nous élançons. Ça monte raide. Le passage est dangereux.
Mais on se sent panthère...
Pister un animal est toujours fascinant.
Je remonte la rivière gelé et trouve des traces de loup, de renard, de bharal et même celle d'un gros chat : grand lynx ou petite panthère ? Je tente de me glissee dans la peau du félin, en scrutant les moindres rochers. En y croyant. Il faut y croire. Tout le temps. Persévérer... car elle est là, c'est certain. La pierre animale m'observe.
Le poids du jour,
le jour lui-même le porte.
Il y a un autre monde,
tapi dans celui-ci.
On le sait au crépuscule.
Loup : d'où viens-tu, loufiat des grands chemins, avec ton air pas tranquille?
LE TAO, LE CENTRE, LES BETES
"Il y avait quelque chose d'indéterminé avant la naissance de l'univers".
dit le xxve chapitre du Tao-tö king de Lao-Tseu.
L'univers vibrait, inétendu et ineffable.
Bêtes et hommes n'existaient pas encore. Les dieux peut-être déjà.
Un point singulier puisait dans le néant.
Soudain, ce fut l'explosion.
La lumière se réveilla, les forces se libérèrent, la matière se forma et la vie apparut.
Elle prit visage, sortit de l'eau, se complexifia, emprunta des ramifications.
Les êtres se séparèrent.
Darwin expliqua tout cela.
Alors, dans la montagne, loups, panthères, yacks, serpents et vautours entreprirent
la ronde de la vie et de la mort, chacun reflétant dans sa livrée de poils, de plumes
et d'écailles le souvenir des temps où nous ne faisions qu'un.
Notre immense mélancolie porte le souvenir de l'unité perdue.
Le yack allait très lent dans la montagne immense.
Le monde lui était ouvert.
S'il semblait perdu, c'était dans nos pensées.