Lily est impressionnée. Quel esprit d’analyse malgré les circonstances ! D’ordinaire, une victime sur le point de mourir s’affole et hurle comme un chat qu’on baptise mais là, il assure. Il en est presque sexy.
Depuis quelques jours, sa vie d'avant lui échappe. Elle a l'impression d'être sur un terrain de volley, de crier : J'ai, j'ai ! mais de se prendre le ballon en pleine face.
Albert est un amoureux des livres, un vrai. Toucher le vieux papier, caresser la reliure, sentir cette odeur de fibres et admirer la danse des mots imprimés sur les pages est sa drogue, son bonheur.
N'ignore jamais ta peur ! Mais ne la laisse pas décider à ta place. Donne-lui du courage et elle t'aidera et, je sais, c'est peut-être difficile à comprendre, mais elle te fera déplacer des montagnes.
La douleur d'une mère se tait toujours quand hurle celle de son enfant.
Une infirmière pointe enfin le bout de son nez. Surdosage de maquillage et de cernes autour des yeux. Une ribambelle de stylos se partagent la poche gauche de sa blouse déformant sa généreuse poitrine planquée derrière un soutif de compétition. A ses pieds, les indémodables sabots en caoutchouc percés de petits trous qui rappellent à Lilly le masque de hockey de Jason Voorhees dans Vendredi 13.

Victor recouvre délicatement la graine. L’eau qui glisse entre les sillons ondule comme une danseuse orientale. Dans quelques heures, le soleil toulousain fera l’amour à la terre fraîchement retournée. Et de cette longue et douce étreinte naîtront les plus belles courgettes du quartier. Et bientôt, Joseph l’épicier viendra se servir dans ce jardin longtemps abandonné. Les passants ralentiront leur course pour humer cette bonne odeur de romarin. Les oiseaux se disputeront les cerises et il faudra les chasser sans les blesser. Les papillons du Canal du Midi entendront parler de ce jardin aux mille délices et viendront visiter les fleurs du printemps. Il y aura même du trèfle au pollen sucré. Délice des abeilles sauvages. Pas celles qui vivent en ruche, non. Les solitaires, celles qui volent au gré de la liberté et qui pollinisent le monde en secret. Victor s’imagine ce lendemain fleuri, ce jour où la nature l’aidera à guérir, ce jour où il retrouvera sa place.
Quel est le sens de la vie ? Je suis sûr que les boîtes de sauce tomate s’en tapent. Sûrement concentrées à penser à autre chose.
Sur les étagères de la supérette, Augustin observe la rangée de boîtes. Il les passe en revue, en replace certaines, les aligne parfaitement. Augustin le sait bien : les boîtes se foutent pas mal de vous regarder droit dans les yeux ou de vous tourner le dos. Ce qu’elles aiment, c’est qu’on les ouvre et qu’on les vide. Augustin ne les envie pas. Il n’aimerait pas qu’on ouvre son cerveau et qu’on le vide. Alors, il aligne ces boîtes, comme ça, on les bouffera, elles et pas lui.
Mais vois-tu ma Lily, le bonheur est un spaghetti qu'il faut casser. Le bonheur n'est pas une longue route tranquille mais bien une série de morceaux à recoller, de tranches de vie à partager et parfois de miettes à ramasser.

Rez-de-chaussée. Appartement numéro 1. Trois heures de répétition dans la chambre. Il le faut. Il est temps. Toc ! Toc ! Toc !
La porte s'ouvre. Victor en peignoir. […]
- Une lettre anonyme. C'est pour vous. Voilà !
Il y a des silences qui durent des éternités. Il y a des mots qui se disent les yeux dans les yeux. Il y a des mains veineuses et entaillées qui attrapent une lettre. Il y a des petites mains malicieux qui tremblent comme des feuilles.
- Une lettre anonyme ? Comment tu sais qu'elle est anonyme ? Tu l'as ouverte ?
- Ah, non, non ! Jamais de la vie !
Piégé. Augustin se sent con comme une moule accrochée à son rocher. Oui, une moule, c'est con. Ca n'a pas de cerveau, juste un cœur qui pompe du sang. Une moule, c'est con. Ca crée une super colle pour squatter un gros caillou, alors que ça pourrait voguer et faire le tour de la planète. Augustin est une moule scotchée sur un rocher en peignoir.
- Voyons voir ce que dit cette lettre…