Elle désirait, me dit-elle, Le Livre des amoureux et les Etoiles des absents. J'ai souri. J'éprouvais pour elle plus de sympathie que pour les clients habituels de la librairie La Rose Rouge, dans le quartier d'Albaicin. Je lui ai confié: c'est mon livre de chevet et il me procure une grande sérénité. Je lui ai remis le livre et lui ai trouvé une place dans un coin éclairé par une fenêtre, près d'une table ancienne; je lui ai souhaité bonne lecture et l'ai invitée à me donner ses impressions après la lecture d'un chapitre. Je l'ai vue de loin ouvrir le livre en laissant retomber sa chevelure. Au but de quelques instants son regard s'est illuminé. L'univers rencontré dans le livre nous a rapprochés et nous a fait aimer la vie sous le signe de ce livre.
J'étais étonnée de voir un tel bateau transporter la population de Beyrouth ou de Jérusalem ; à un moment j'ai eu l'impression que ma ville tout entière faisait la traversée. L'atmosphère me paraissait insolite, lourde et imprégnée d'une odeur que je respirais pour la première fois ; j'ai su plus tard que c'était l'odeur de l'exil. Oui, l'exil a une odeur qui évoque la cendre des feux de genévrier, l'odeur du levain, des pâtes rances et des feuilles mortes macérées dans l'eau, ( ... )
«La mort n'a besoin que de sa tombe ; partout où nous sommes, c'est la terre de Dieu. La terre est une et le corps périssable est un» (p 695).
«Quand tu aimes, n'aime pas de tout ton être, tu mourrais trahi. Garde pour toi un peu de toi-même pour pouvoir rester debout» (p 366)
Dans une ville sinistre, qui meurt prématurément, on a besoin d'un coin où retrouver bonheur et gaîté, et je les découvre un peu en ce lieu d'exil appelé appartement : musique, livres, tableaux, avec la possibilité de méditer sur les choses impérissables. Au fond de chacun de nous, Miryam, il y a quelque chose de La Berbère, du tourment de Fadhma Aït Amrouche : son enfance, le père inconnu, les vexations de la tribu, le bannissement de la famille, la misère, l'exil, la mort dans un silence angoissant.
Dans toutes les guerres, il y a les partisans de la paix, qui cherchent à sauvegarder l'honneur, les richesses et les hommes, et il y a ceux qui se livrent aux pires excès. Derrière l'émir, il y avait les tribus habituées aux razzias et aux prises de guerre ; derrière Desmichels, il y avait un système pervers où l'on cherchait à profiter de la guerre et à faire durer l'embrasement en ignorant les haines qui renouvellent et perpétuent la guerre, la rendent plus meurtrière et veulent la justifier.
«La cancer (
) c'est l'illustration par excellence du sadisme de Dieu. Il te torture et il te déforme avant de t'achever» (p 332).
«Quand le maître savant commet une faute, il entraîne les autres» (p 84
«Le châtiment le plus cruel que l'on puisse infliger à un homme, c'est l'oubli. La mort est plus clémente» (p 153
«Le djihad ne consiste pas à prendre l'épée et à la brandir à la face du premier venu. Le djihad consiste à lever l'épée quand se ferment devant toi les chemins de la paix (...). Le djihad c'est d'apprendre sans relâche à l'homme qu'il est un ignorant tant qu'il se laisse devancer par le temps»