Citations de Willa Cather (219)
Dans une moitié du ciel, de noirs cumulus chargés d'électricité dessinaient un damier; mais la zone ouest tout entière restait lumineuse et limpide; à la lueur des éclairs, on aurait dit une eau d'un bleu intense reflétant le clair de lune.
Le tonnerre faisait un bruit métallique et prolongé, pareil au vacarme d'une plaque de tôle qu'on agite; les éclairs, traçant des lignes brisées dans le ciel, mettaient en relief tous les détails du paysage et l'objet le plus lointain semblait un instant à portée de notre main.
Des gouttelettes de sueur, je m'en souviens, bordaient sa lèvre supérieure comme une fine moustache, quand nous nous tenions penchés au-dessus du carré de pois.
Couché dans mon lit, près de la fenêtre, je regardais les éclairs de chaleur qui serpentaient doucement à l'horizon et la maigre silhouette de l'éolienne dressée contre le bleu sombre du ciel.
Elle relevait la tête dans un mouvement d'orgueil et m'invitait à palper les muscles de son bras brun qu'elle gonflait à mon intention.
La nuit, nous avions l'impression d'entendre pousser les épis; sous les étoiles, dans les champs aux lourdes senteurs, les champs humides de rosée, un craquement léger montait parmi les tiges emplumées, vertes et gonflées de suc.
Juillet arriva, et cette chaleur éclatante qu'aucun souffle ne trouble et qui fait des plaines du Kansas et du Nebraska le meilleur pays du monde pour la culture du maïs.
Il n'y avait que le printemps lui-même, sa palpitation, son effervescence légère, son essence vitale partout répandue -- dans le ciel, dans les nuages rapides, dans le grand vent tiède, qui se levait soudainement, primesautier et folâtre comme un jeune chien qui vous donne des coups de pattes puis se couche pour être caressé.
On ne connaissait vraiment un homme, disait-il, que lorsqu'on l'avait vu mourir.
On voyait bien qu'il aimait sentir les outils entre ses doigts. Quand il rabotait, ses mains allaient et venaient sur les planches d'un mouvement passionné et attentif; on aurait dit qu'il les bénissait.
Le ciel bas ressemblait à une feuille de métal. La blondeur des champs de maïs s'était enfin évanouie dans une grisaille fantomatique; le petit étang était gelé et, tout autour, les bouquets de saules inclinaient vers la glace leurs branches raides. De gros flocons tournoyaient sur le paysage et disparaissaient dans les herbes rouges.
Quand le soleil sombra derrière l'horizon, une soudaine fraîcheur se répandit dans l'air et une odeur puissante s'éleva de la terre et des herbes desséchées.
Combien de fois avons-nous, Antonia et moi, vagabondé l'après-midi dans la prairie, au coeur de cette magnificence! Et toujours, deux longues ombres noires glissaient devant nous ou nous suivaient, taches sombres sur l'herbe rougeoyante.
La prairie tout entière faisait penser "au buisson tout en feu qui ne se consumait point".
Les meules de foin prenaient des teintes roses et projetaient de longues ombres.
Les champs de maïs blonds devenaient vermeils, avec des reflets d'or.
L'herbe d'un rouge cuivré baignait jusqu'à l'horizon dans une lumière plus intense et plus ardente qu'à n'importe quel autre moment de la journée.
J'aimais flâner le long des maïs jaune pâle et parfois, à la lisière d'un champ, je découvrais un creux humide, où la persicaire prenait très tôt une belle teinte cuivrée -- les feuilles brunes et étroites pendaient repliées comme des cocons autour des nœuds gonflés de la tige.
Je ne sais pas, mais le bonheur, c'est ça : se dissoudre dans un grand tout.
Je me sentais parfaitement heureux. Peut-être est-ce là ce qu'on éprouve quand on meurt et qu'on devient partie d'un grand tout, que ce soit l'air et le soleil, ou la bonté et la connaissance.