Jan Baetens nous parle de «
Les petits dieux » de
Sandrine Willems.
Lien vers le livre : https://www.espacenord.com/livre/
les-petits-dieux/
Pour donner quoi que ce soit, n'a-t-on besoin, d'abord, de le manifester ? Comment pourrait-on aimer, pleinement, sinon en déployant, dans tous ses chatoiements, notre singularité ?
Et c'est là, où ça cesse de servir, que ça devient beau. […] Contrairement à ce qu'on pensait, c'est la vie qui est au service du beau.
Quand la vie semble derrière soi - quand en un sens elle l'est. Alors se lève une étrange insouciance, un printemps immense.
Mais qu'importe de réussir - le tout est de continuer, à toujours commencer.
C’est d’ailleurs toujours ça le chant. Comme un désir de s’en aller. De se sacrifier, corps et âme, dans un son. Un désir de devenir constellation, et de briller dans la nuit, comme ces mortelles jadis aimées des dieux, et métamorphosées par eux. Je n’aspirais qu’à me débarrasser de moi, de cette petite personne égoïste et encombrante, et à devenir pur amour. (p. 35)
On eût dit qu'il voulait devenir de plus en plus léger, se faire bulle de savon, où jouent quelques instants des reflets irisés, de minuscules arcs-en-ciel, reliant comme ils peuvent la terre au ciel - puis qui explosent, pour mieux se fondre dans l'air. Il cherchait une musique qui ne soit que jeu de lumière, si vite passé.
C’était de ça qu’il parlait, de tristesse et d’enfance, où tout se prépare pour ce qui vient, comme dans un arbre qui croît imperceptiblement, ou dans un printemps qui se fomente alors qu’il pleut encore.
Chaque soir, en ma petite méditation, ces images qui se succèdent : une flamme infime, vacillante et vive, qui devient feu pour s’emparer de mon corps, après ma mort, et le réduit en cendre ; puis cette cendre qui se diffuse, à tous vents, comme une semence, dans un champ, les montagnes, une savane, sous le pas tranquille d’un troupeau d’éléphants.
Et moi je soupire de soulagement, enfin affranchie de l’angoisse, n’ayant plus rien à craindre pour ce corps aujourd’hui si fragile, enfin soulagée de moi.
J’y ai toujours cru. Toujours. Dur comme pierre. Il le fallait d’ailleurs, lui aussi étant de pierre. Non comme ses ancêtres, dont on taillait l’image dans le roc ; Dieu, lui, n’a pas d’image. Mais il n’a pas non plus de cœur. Et quand il promet une terre, méfiez-vous, il n’y aura là que des cailloux. Moi qui ne le connaissais pas encore très bien, je ne me suis pas méfié.
Alors j'ai écrit. Pour que, si un jour je rencontre le nouveau bibliothécaire de Charmes, ça se passe différemment. Ou du moins pour que le printemps qui vient, parsemant l'Ardèche de crocus et de perce-neige, ne soit pas saisi par le gel.