Citations de Yann Martel (135)
Le corps est capable d'héroïsme dans la lutte. Si un naufragé est blessé, méfiez-vous des traitements médicaux bien intentionnés mais malavisés. L'ignorance est le pire médecin, tandis que le repos et le sommeil sont les meilleurs infirmiers.
Les mouvements d’Odo sont fluides et précis, d’une ampleur et d’une force exactement adaptées à ses desseins. C’est sans la moindre gêne qu’ils sont exécutés. Odo ne donne pas l’impression de réfléchir quand il fait quelque chose, il le fait, c’est tout. Quel sens y a-t-il à cela ? Pourquoi le fait de penser – marque de l’être humain – nous rend-il maladroits ? Quand on y songe, les mouvements du chimpanzé ont toutefois un équivalent humain : un grand acteur qui offre une grande performance. La même économie de moyens, le même formidable effet. Sauf que le jeu d’acteur résulte d’une formation rigoureuse, c’est un artifice atteint par l’homme à force de travail acharné. Odo, lui agit – est – facilement et naturellement.
Je devrais l’imiter, médite Peter.
Choisir le doute comme philosophie de vie, c'est choisir l'immobilité comme moyen de transport.
D'un seul coup d'oeil, je découvris que la mer était une ville. Juste sous moi, partout, sans que je l'aie soupçonné, il y avait des routes, des boulevards, des rues et des ronds-points animés d'une intense circulation sous-marine. Dans une eau dense, vitreuse et tachetée de millions de petits grains lumineux de plancton, des poissons comme des camions et des autocars et des voitures et des bicyclettes et des piétons couraient comme des fous, et ils devaient sans doute klaxonner et gueuler les uns après les autres. (...) ici les voitures étaient conduites au-dessus et dessous les unes des autres, comme si elles étaient sur dix étages de bretelles d'autoroute.
La vie est si belle que la mort en est tombée amoureuse, d'une passion jalouse, sans partage, qui s'accroche à tout ce qu'elle peut. Mais la vie bondit délicatement au-dessus du néant en perdant seulement quelques parcelles sans importance, et la tristesse n'est que l'ombre d'un nuage qui passe.
Je dois dire un mot sur la peur. C'est le seul adversaire réel de la vie. Il n'y a que la peur qui puisse vaincre la vie. C'est une ennemie habile et perfide, et je le sais bien. Elle n'a aucune décence, ne respecte ni lois ni convictions, ne manifeste aucune clémence. Elle attaque votre point le plus faible, qu'elle trouve avec une facilité déconcertante. Elle naît d'abord et invariablement de votre esprit. Un moment vous vous sentez calme, en plein contrôle, heureux. Puis la peur, déguisée en léger doute, s'immisce dans votre pensée comme un espion. Ce léger doute engendre l'incrédulité et celle-ci tente de le repousser. Mais l'incrédulité est un simple fantassin. Le doute s'en débarrasse sans se donner de mal. Vous devenez inquiet. La raison vient à votre rescousse. Vous êtes rassuré. La raison dispose de tous les instruments de pointe de la technologie moderne. Mais, à votre surprise et malgré des tactiques supérieures et un nombre impressionnant de victoires, la raison est mise K.-O. Vous sentez que vous vous affaiblissez, que vous hésitez. Votre inquiétude devient frayeur. [...]
Vous prenez rapidement des décisions irréfléchies. Vous abandonnez vos derniers alliés : l'espoir et la confiance. Voilà que vous vous êtes défait vous-même. La peur, qui n'est qu'une impression, a triomphé de vous.
Est-ce que le recours aux mots pour raconter quelque chose [...] ce n'est pas déjà une sorte d'invention ? Est-ce que le fait de regarder ce monde n'est pas déjà un peu une invention ? [...] Le monde n'est pas seulement ce qu'il est. C'est aussi ce que nous comprenons, non ? Et en comprenant quelque chose, nous lui ajoutons quelques chose, n'est-ce pas ? Est-ce que cela ne fait pas de la vie une histoire ?
La vie est si belle que la mort en est tombée amoureuse, d'une passion jalouse, sans partage, qui s'accroche à tout ce qu'elle peut. Mais la vie bondit délicatement au-dessus du néant en perdant seulement quelques parcelles sans importance, et la tristesse n'est que l'ombre d'un nuage qui passe.
Si son espace est trop ensoleillé ou trop humide ou trop vide, si son perchoir est trop haut ou trop exposé, si le sol est trop sablonneux, s’il y a trop peu de branches pour faire son nid, si la mangeoire est trop basse, s’il n’y a pas assez de boue pour s’y vautrer — et bien d’autres si encore -, alors l’animal ne sera pas serein. Ce n’est pas tant qu’il faille reproduire les conditions existant dans la nature qu’une question de saisir l’essence de ces conditions. Tout dans un enclos doit être exactement au point — en d’autres mots, aucun élément ne doit dépasser la limite des capacités d’adaptation de l’animal.
La peste soit des zoos qui ont de mauvais enclos ! Ils donnent une mauvaise réputation à tous les zoos.
Les animaux sauvages capturés quand ils ont déjà atteint leur pleine maturité sont un autre exemple de bêtes qui ont tendance à vouloir s’échapper ; il arrive souvent qu’ils soient trop ancrés dans leurs habitudes pour pouvoir restructurer leur monde subjectif et s’adapter à un nouvel environnement.
Mais même des animaux ayant été élevés dans des zoos, n’ayant jamais connu la nature sauvage, et qui sont donc parfaitement adaptés à leur enclos et ne ressentent pas de tension en présence des humains, connaîtront des moments d’agitation qui les amèneront à chercher à s’évader. Tous les êtres vivants ont en eux une mesure de folie qui les pousse dans des directions étranges, parfois inexplicables. Cette folie peut être salutaire ; elle est intimement liée à la capacité d’adaptation. Sans elle, aucune espèce ne pourrait survivre.
Quelle que soit la raison de vouloir s’échapper, saine ou folle, les détracteurs des zoos devraient se souvenir que les animaux ne se sauvent pas pour aller vers un lieu mais plutôt pour fuir un lieu.
Quelque chose dans leur propre espace leur a fait peur — l’intrusion d’un ennemi, l’agression d’un animal dominateur, un bruit surprenant — et a déclenché une réaction de fuite. L’animal s’évade ou il essaie de s’évader. J’ai été surpris d’apprendre au zoo de Toronto — un excellent zoo, par ailleurs — que les léopards peuvent faire des bonds allant jusqu’à six mètres de hauteur. Notre enclos pour les léopards à Pondichéry avait un mur arrière de cinq mètres de haut ; j’en conclus que Rosie et Copycat n’ont jamais sauté au-delà de cette paroi, non pas parce qu’ils en étaient incapables physiquement mais simplement parce qu’ils n’avaient pas de raison de le faire. Les animaux qui s’enfuient passent du connu à l’inconnu — et s’il y a une chose qu’un animal déteste par-dessus tout, c’est bien l’inconnu. Les animaux qui s’évadent se cachent habituellement dans le premier endroit qu’ils trouvent où ils éprouvent un sentiment de sécurité, et ils ne sont dangereux que pour ceux qui se placent entre eux et ce qu’ils tiennent alors pour un lieu sûr.
- Alors dites-moi, puisqu'il n'y a aucune différence quant aux faits, en ce qui vous concerne, et que vous ne pouvez apporter aucune preuve dans un sens ou dans l'autre, quelle histoire préférez-vous? Quelle est la meilleure histoire, l'histoire avec des animaux ou l'histoire sans animaux?
- L'histoire avec des animaux.
- Il en va ainsi de Dieu.
L’air frais était aussi plaisant qu’une feuille de menthe dans la bouche.
- Alors, qu'est-ce qui est arrivé, monsieur Patel ? Nous nous interrogeons. Tout est normal et soudain ...
- Et soudain le normal a coulé.
Et j'ai survécu parce que je me suis efforcé d'oublier.(...) Je ne comptais ni les jours ni les semaine ni les mois. Le temps est une illusion qui nous essouffle, rien d'autre? J'ai survécu parce que j'ai oublié jusqu'à la notion de temps.
On vous alloue un certain temps, au bout duquel on s'attend à ce que vous reveniez dans le monde, que vous retourniez à votre ancienne vie. Mais pourquoi ? Après des funérailles, de bonnes funérailles, plus rien ne vaut la peine, il n'y a plus d'ancienne vie à laquelle retourner. Il ne nous reste plus rien. On n'a même pas de mots, pas tout de suite. La mort, sur le coup, mange les mots.
Tout près du kiosque de l'entrée, sur un mur, papa avait fait peindre en grandes lettres rouges la question suivante : Savez-vous quel est l'animal le plus dangereux du zoo ? Une flèche pointait vers un petit rideau. Tellement de mains avides et curieuses tiraient le rideau. Derrière, il y avait un miroir.
Dans les instants d'émerveillement, on parvient aisément à sortir de la petitesse, à élever son esprit aux dimensions de l’univers jusqu’à embrasser le tonnerre et le murmure, le bon et le mauvais, le proche et le lointain.
Le principal champ de bataille pour le bien n'est pas la grande arène du débat public, mais plutôt la petite clairière de chaque coeur.
L'amour est une maison aux nombreuses pièces, une qui sert à le nourrir, une, à le divertir, une, à le laver, une, à l'habiller, une autre, à lui permettre de se reposer, et chacune pourrait aussi bien être la pièce où l'on rit, où l'on écoute, où l'on confie ses secrets, où l'on boude, la pièce où l'on présente ses excuses ou la pièce où l'on partage son intimité. Et puis il y a bien sûr les pièces destinées aux nouveaux venus de la famille. L'amour est une maison dans laquelle la tuyauterie apporte chaque matin de nouvelles émotions pétillantes et inédites, où les disputes sont évacuées dans les égouts, où les fenêtres lumineuses s’ouvrent pour laisser entrer l'air frais d'une bonne volonté renouvelée. L'amour est une maison aux fondations inébranlables et au toit indestructible. Tomás a déjà eu une telle maison, jusqu'à ce qu'elle soit démolie. Il n'en a plus, maintenant - son appartement d'Alfama est aussi vide que la cellule d'un moine -, et mettre le pied dans un foyer ne fait que lui rappeler qu'il n'est nulle part chez lui. (p.31-32)
C'est quelque chose de difficile à apprendre que de simplement rester assis là et de se laisser être.
Je n'ai rien à dire de ma vie professionnelle, sauf qu'une cravate est un nœud coulant et que, même à l'envers, elle peut encore pendre un homme si celui-ci ne fait pas attention.