Citations de Yasmine Ghata (77)
Depuis que l'image est permise, la belle écriture n'a plus lieu d'être. L'image est désormais omniprésente dans nos vies mais rien ne remplacera l'élégance des inscriptions.
Pourtant, la calligraphie peut traduire la sensibilité d'une époque nouvelle, elle n'est pas figée dans le temps et doit poursuivre son évolution. La chaîne des calligraphes est infinie et devrait se perpétuer jusqu'à la fin des temps. Eux seuls savent établir un dialogue entre Dieu et les hommes.
Les religions, chose connue, émergent en temps de guerre.
Je devins calligraphe. Je cachais ma joie comme j'avais pris l'habitude de cacher ma peine; avec la même facilité. Nous autres les calligraphes sommes impénétrables, l'encre nous enseigne l'opacité.
Mon père avait atteint l'extrémité droite de son long rouleau, les personnages démoniaques y dansaient comme ils l'avaient fait sous nos yeux. Leurs corps abominables paraissaient tournoyer encore sur la surface lisse du papier lustré… Cette soirée m'avait changée à jamais.
Suzanne devint muette ce jour-là, la colère et la frustration étaient trop fortes. Aucun son ne pouvait plus sortir de sa bouche. Les mots étaient une forme de légèreté qu'elle semblait avoir perdue à jamais.
Ta survie ne dépendait plus que d’elle, elle était ton toit, tes murs et ton plancher.
"Les heures passées dans cette salle de classe à dire l'indicible, à décrire l'impensable avaient exigé de lui un effort de mémoire que la moquerie de cet élève stupide réduisait à néant. Raconter son histoire, c'était la vivre et non la revivre. La souffrance d'Arsène ne pouvait se guérir qu'au moyen des mots."
Nous sommes au dernier étage, la vue sur le Bosphore est impressionnante, je me surprends parfois à tenir les murs, ou à les raser quand j'ai le vertige. Ma main ne travaille plus comme avant depuis que nous vivons en altitude, elle effleure le papier et sème l'encre comme un projectile. Les pleins et les vides se sont inversés à force de côtoyer le ciel. De ma fenêtre, je ne vois plus la terre ferme mais ce bras de mer turquoise embrassant l'immensité. Mes doigts battent des ailes à défaut de pouvoir bouger. Ils ne sont pas grand-chose en définitive, une drôle d'étoile à cinq branches qui écrit du haut d'un immeuble scrutant les allées et venues du détroit. Pourtant. ces petites mains suffisent à agiter les eaux du Bosphore. Quand je peaufine une lettre, un tourbillon voit le jour; Quand ma main s'emporte, l'écume jaillit sur les quais et se retire avec la même intensité.
La belle écriture éclaire, épanouit les traits et intensifie le regard.
Le lendemain, au moment où le soleil était au zénith, ton village ne comptait plus aucun habitant tutsi. Pas un seul sauf toi…
Tu as longtemps eu peur de la nuit avec cette croyance ancrée que l’on est plus fragile et plus vulnérable dans l’obscurité.
Les paroles pour l’un, l’écriture pour l’autre les conduisent à la recherche de soi.
"Plus rien ne peut te faire peur, toi qui as erré si petit dans ce paysage hostile. Si, une chose te fait peur, te terrorise même, c'est de raconter. Ces événements enfouis dans ta mémoire pourraient ne jamais avoir existé, tu te dis parfois que c'est une légende qui court sur ton enfance."
Te rappelles-tu ce jour où Moshem nous déclara que le divin essaime partout? Il n'avait qu'à tendre l'oreille pour entendre Dieu.Etat immatériel où la musique et ses sonorités n'étaient plus nécessaires.
J'étais à lui tout entière, son instrument,sa corde unique,celle capable de produire mille vibrations sous ses doigts,mais jamais un cri ne dépassa le silence,Moshem,après le plaisir,traçait toutes sortes d'inscriptions invisibles sur moi.J'étais sa note nue qu'il habillait d'ornements,qu'il parait suivant son inspiration.L'ongle de son index droit employé comme plectre sous ma peau.
Entre deux marches et deux jambages métalliques, les pieds à l'aplomb du vide, elle avait soudainement compris qu'observer, c'était d'une certaine façon déjà écrire, déjà raconter.
Inséparable de ta valise, tu as dormi sept nuits dedans, le lit neuf te terrorisait. Une parcelle du Rwanda respirait encore à travers les lambeaux de cuir.
Tu te rappelles la faim, la soif, les nuages au loin qui barraient la route à tout espoir… Pour toi, elle loge un cadavre ; celui de ton enfance pillée, en lambeaux.
Rien n’indiquait sa hâte de quitter cet endroit qui était pourtant devenu à ses yeux une sépulture à ciel ouvert.
Les calligraphes ne meurent jamais. Leur âme vagabonde aux frontières du monde habité cherchant à récupérer leurs instruments. Dieu les utilise pour révéler sa parole. Les prophètes la déclament, les calligraphes l'écrivent.