Citations de Yasmine Ghata (77)
À aucun moment je n'ai eu peur de la mort, elle n'est féroce qu'avec ceux qui la craignent.
La jeune apprentie calligraphe héritant du matériel inestimable du plus ancien de l'atelier, qui vient de mourir, se rend compte combien tout cela va déterminer sa vie :
C'est ainsi que je devins calligraphe. Ce legs, capable de me transmettre le talent d'un calligraphe virtuose, allait conserver longtemps les usages de son maître, l'adresse de ses mains et l'agilité de ses doigts, consciente que cet héritage allait bouleverser ma vie, je le gardai secret, je cachai ma joie comme j'avais pris l'habitude de cacher ma peine, avec la même facilité; nous autres calligraphes sommes impénétrables, l'encre nous enseigne l'opacité. (p. 31)
Le temps de séchage correspond au délai de la visite du Très-Haut,pas plus d'une minute en hiver,quelques secondes en été, lors des grosses chaleur. Les calligraphes ne soufflent jamais sur l'encre; accélèrer le séchage revient à expulser cette présence divine.
Musicien guérisseur,on disait que ses notes avaient le pouvoir d'atteindre les oreilles de Dieu,et d'attirer ses bienfaits.
Je n'étais pas en mesure d'exister sans mon père, ma propre identité reposant sur la sienne. Je n'étais plus personne, imaginais sans cesse les instants privilégiés qu'il vivait loin de ma présence. Mon père était inaccessible, introverti et absent mais il était ma raison d'être...
Je roule ses dessins, les retire de leur vue et les range pour écourter leurs bavardages acerbes. Je les maudits en silence, exècre leur mépris. Je plains leur ignorance, leur inexpérience et leur imbécillité. Ils n’accéderont jamais à la beauté et resteront asservis à l'illusion d'une perfection et d'une excellence.
Mon père cherche un point central et non le meilleur point de vue, fuit les univers divinement ordonnés. Il cherche la ligne pure sans sophistication, il cherche une présence.
Un père nous ouvre le monde, construit votre être loin des peurs archaïques et vous donne de l'amour pour toute votre vie...
Seul un père donne une valeur...on naît pas femme sans la reconnaissance d'un père. Il faut sans cesse réparer les manques, raccommoder cette lourde lacune de la vie...
Des émissions radiophoniques à caractère religieux incitèrent à la prière et encouragèrent le pèlerinage à la Mecque. [...] Les écoles religieuses rouvrirent leur lourds volets de bois. La ferveur anima les rues et les maisons, alors que le souvenir du laïque Ataturk continuait à régner sur les esprits.
Le 6 avril 1941. L'Allemagne attaqua la Yougoslavie et la Grèce. Leurs bombardiers ne aventureusement pas plus loin. [...]
Le régime se rigidifia et l'Islam refit son apparition dans la vie politique. Les religions, chose connu, émergent en temps de guerre. Le monde entier brulait, à nos oreilles parvenaient des rumeurs de massacres et de génocides. La prière était notre seul bouclier.
"Ataturk a chassé Dieu du pays" répètent les calligraphes. Désormais, seul au pouvoir, le Loup gris [Ataturk], admirateur de la culture occidentale, ennemi de illettrisme, a réformé l’écriture, comme on substitue un lait maternel. Élimination des mots arabo-persans, remplacés par les mots turcs. La nouvelle langue dispose de huit voyelles phonétiques, là où l'arabe n'en a que trois, les lettres ne sont plus liées. Les caractère n'ont plus d'accent et les lettres ne changent plus de forme selon leur position dans la phrase. Nous écrivons désormais de gauche à droite. On raconte que les spécialistes linguistiques ont demandé cinq ans à Ataturk pour définir un alphabet, il ne leur a accordé que trois jours. - p55
J'ai quand même posé la question, par cruauté ou par innocence, peut-être, je ne sais plus.
"Il va revenir aujourd'hui, papa ? "
A six ans, jouer l'ignorance quand on a parfaitement compris.
Mourir n'empêche pas un père de revenir à la maison. Mourir est un acte comme un autre.
Mon Dieu que cette odeur t'a rappelé des choses...Tu as fermé les yeux, et aussitôt des images se sont mises à défiler, des papillonnements de lumière.
Dormir dans cette valise t'avait protégé du froid, des bêtes sauvages, des pluies torrentielles et de cette brume épaisse qui te cernait. Recroquevillés, tes pieds étaient tous deux calés sur les bordures intérieures. Tu sentais les cailloux aiguisés à travers la peau épaisse, mais tu dormais quand même...
Vous étiez deux sur ce chemin. Seul, tu n’aurais pas survécu.
Les lattes du parquet grincent toujours, réaniment les détails d'une vie passée. A l'époque, la mère tapait sur une machine à écrire, ses doigts agiles sautaient sur les touches. Ce bruit était devenu un bruit domestique, tel le sifflement de la cocotte ou le bruit de l'aspirateur. Il y avait un son qui euphorisait par-dessus tout Suzanne, c'était le bruit de la serrure de la porte d'entrée audible de chaque extrémité de l'appartement. Les yeux rieurs, bien que fatigués, de son père la scrutaient comme un animal affamé d'amour.
La nuit, la mort rôde et visite les vivants. On peut se lever et suivre les morts sur un simple malentendu (…) J’ai longtemps eu peur de la nuit .Dormir dans ma valise les tenait à distance. »
Dieu ne s'intéresse pas à l'alphabet latin. Son souffle dense n'arrive pas à glisser sur ces lettres séparées et trappues. "Atatürk a chassé Dieu du pays", répètent les calligraphes. Désormais, seul au pouvoir, le Loup gris, admirateur de la culture occidentale, ennemi de l'illettrisme, a réformé l'écriture, comme on substitue un lait maternel. Elimination des mots arabo-persans, remplacés par des mots turcs. La nouvelle langue dispose de huit voyelles phonétiques, là où l'arabe n'en a que trois, les lettres ne sont plus liées. Les caractères n'ont plus d'accent et les lettres ne changent plus de forme selon leur position dans la phrase. Nous écrivons désormais de gauche à droite. On raconte que les spécialistes linguistiques ont demandé cinq ans à Atatürk pour définir un alphabet, il ne leur a accordé que trois mois.
Les calligraphes sont meurtris, le Coran aussi. La langue arabe est bannie de tout usage public et les sourates ne sont plus enseignées dans les écoles. Nous ne comptons plus avec le soleil, nous mesurons désormais le temps suivant la méthode de la journée internationale de vingt-quatre heures.
Ne répétait-il pas que " la musique ne provoque pas dans le coeur ce qui ne s'y trouve pas"?
L'ornement est ma raison de vivre: méandres,labyrinthes,zigzags, volutes, spirales, arabesques.
Le talent est un don qui se partage et se transmet.
Dieu m'est apparu dans une nuée difforme aux couleurs indéfinies.Il est clair comme de l'eau et flamboyant comme la flamme.Quand il disparaît,une lueur décroissante ma ramène à l'obscurité.A cet instant,je crois entendre mes notes crépiter,mes notes frémir d'étincelles pareilles à un feu qui s'étiole.