Connaitre une guerre simplement par l'intermédiaire de la radio et de journaux remplis de slogans, de rumeurs, de préjugés immuables, dans le confort de sa maison, est différent d'une expérience directe. Il est dangereux d'accorder trop d'importance aux informations de secondes main.
[...] toutes les blessures reçues de chaque côté du front lui paraissaient infligées sur un seul et même corps qu'était l'humanité.
Il hésita un instant sur le mot "heureux", conscient de la quantité d'encre que l'on avait versée depuis des siècles au sujet de ce sentiment ineffable, impossible à saisir, à démontrer, à prouver. Il eut une brève pensée pour ses parents, qui avaient consacré leur vie entière à une abstraction. Il m'avait ni la force ni le temps d'analyser sa courte existence, de réfléchir à ce qui l'avait pousser à se croire heureux. Il s'imaginait qu'on lèverait les yeux au ciel en lisant son dernier message : lui heureux, mais comment est-ce possible?
- Tu sais bien qu'il est parfois plus facile de mourir tôt que de vivre.
....." Sur le dos des femmes, nous disait-on, il y avait trois montagnes qui risquaient de les écraser : le droit de leur père, le droit de leur mari et le droit de leur fils... Une fois libérées, ces femmes pourraient soulever la moitié du ciel."
Il faudrait garder un oeil sur ces jeunes, ils sont affolés aujourd’hui, il s se permettent de tout dédaigner, leurs profs, leurs parents et leurs ancêtres. Mais, croyez-moi, le jour où ils tueront leur passé, il pleureront leur avenir!
(Québec Loisirs, p. 27)
N'a-t-il pas coupé les ponts en partant de chez lui?
Il est vrai qu'il déteste les ponts. Les arrières-pensées, les prétextes, les précautions, les compromis que sous-entendent les ponts. Les ponts renvoient à des structures solides, à des oppositions insurmontables, à des écarts toujours persistants, à des divisions et des séparations changeantes mais éternelles. Ce mot fait partie du vocabulaire des stratèges, des diplomates, des guerriers, des savants, de ceux qui s'appuient sur des catégories rassurantes. Il refuse de devenir cette chose sur laquelle on marche en agitant un drapeau, en emportant un plan dans sa poche, en entonnant une chanson selon la direction du vent.
[...] la guerre, voulant imposer un autre rythme et d'autres modalités, cherchant à réduire le monde à une seule civilisation, était capable de balayer toute trace humaine, d'enterrer plusieurs générations, en très peu de temps. Cela au profit d'une minorité de gens puisque, au détriment d'une masse manipulable, grâce au sacrifice du sang jeune, car dans tous les camps, ce sont des jeunes plein de vitalité, des jeunes brûlants de révolte et d'exaltation, qui sont envoyés au front et qui meurent les premiers.
C'est ainsi depuis toujours, que les médiocres ciblent les êtres qui semblent vivre dans une autre dimension, jaloux de leur vitalité, de leur audace, de leur aspiration naïve à quelque chose de mieux.
Seule sur le quai, elle regarda le bateau partir vers son pays natal. Elle eut soudain l’impression que la vie s’éloignait d’elle comme ce bateau, emportant des êtres chers ou détestés, et surchargés d’amour ou de haine.
(Leméac, p. 96)