AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Zadie Smith (246)


Tel penseur élève une bâtisse immense, un système, un système universel embrassant toute l’existence et l’histoire du monde, etc. — mais regarde-t-on sa vie privée, on découvre ébaubi ce ridicule énorme, qu’il n’habite pas lui-même ce vaste palais aux hautes voûtes, mais une grange à côté, un chenil, ou tout au plus la loge du concierge ! Et qu’on risque un mot pour lui faire remarquer cette contradiction, il se fâche. Car que lui fait de loger dans l’erreur, pourvu qu’il achève son système… à l’aide de cette erreur.
Commenter  J’apprécie          00
Si seulement il était possible d’énoncer simplement ces sentiments sans en faire tout un plat, sans argumenter ou verser dans le dogmatisme ! Tel genre de femme et tel autre genre de femme — autant de bouées de sauvetage lancées à un Héraclite qui se noie. Chacune de ces bouées est une fiction différente. Est-il possible d’être aussi souple sur le papier — aussi éhontément autocomplaisant et perpétuellement inconstant — que nous le sommes dans la vie ? Il semblerait que nous n’y parvenions pas.
Commenter  J’apprécie          00
Face aux choses qui nous arrivent, nous nous efforçons tous de nous adapter, d’apprendre, de nous accommoder, parfois de résister, d’autres fois de nous soumettre. Mais les écrivains ne s’arrêtent pas là : ils se saisissent de toute cette masse informe de confusion, et ils la coulent dans un moule de leur conception. Écrire, c’est entièrement résister. Il peut arriver que ce soit une activité plaisante, parfois même utile — sur le papier. Mais d’après mon expérience personnelle, c’est une pratique plutôt vaine pour ce qui est de la vie réelle. Dans la vie réelle, la soumission et la résistance n’ont pas de forme prédéterminée.
Commenter  J’apprécie          00
J’étais une femme, mais pas ce genre de femme. « Misogynie intériorisée » — c’est ainsi, je présume, qu’on appellerait tout cela de nos jours. Je n’ai pas de meilleur terme. Mais au fond du fond, il y avait là une obsession du contrôle, que l’on retrouve souvent chez les gens de mon acabit (les écrivains).
Commenter  J’apprécie          00
On décrit communément l’écriture comme étant une pratique « créative » — cela ne m’a jamais semblé être le qualificatif approprié. Planter des tulipes, c’est créatif. Planter un bulbe (j’imagine, car je ne l’ai jamais fait), c’est participer d’une façon ou d’une autre au miracle cyclique de la création. Écrire, c’est contrôler.
Commenter  J’apprécie          00
Un homme était un homme était un homme. Il pliait la nature à sa volonté. Il ne s’y soumettait pas, excepté dans la mort. Il apparaissait que la soumission à la nature était mon domaine, or je ne voulais prendre aucune part en cette affaire, et par conséquent je me refusais à suivre le cours de mes cycles menstruels, par exemple, et préférais pleurer tout un lundi avant de découvrir au mardi venu la (prétendue) cause de mes larmes. Oui, tout cela valait bien mieux que de se préparer comme il faut à passer un lundi cafardeux, ou de s’imaginer que ce lundi serait en quelque manière inéluctable. Mes humeurs n’appartenaient qu’à moi. Elles ne reflétaient en rien une prétendue nature. Je refusais d’admettre que quoi que ce soit en moi pût avoir un mouvement cyclique, mensuel. Et si un jour j’avais des enfants, ce serait uniquement « quand je l’aurais décidé », affranchie de ce glas que font sonner toutes les redoutables horloges dont regorgent les magazines féminins. Qu’on ne me parle pas de « broodiness », ce prétendu « instinct de couvaison» : je n’étais pas une poule.
Commenter  J’apprécie          00
Pas besoin d’une analyse freudienne pour comprendre comment trois femmes d’âge mûr, vacillant à l’orée de la périménopause, avaient pu se trouver aimantées par un si clinquant symbole de fertilité et de reviviscence, au beau milieu d’une métropole de béton stérile… Et en effet, lorsque nos regards se croisèrent, il y eut des sourires embarrassés à la ronde. Mais dans mon cas, l’embarras ne fut pas celui qu’il eût été, dans le temps — le temps où je lisais Lolita pour la première fois, quand j’étais jeune femme. En ce temps-là, la cage de mes circonstances, selon moi, était le genre auquel j’appartenais.
Commenter  J’apprécie          00
Nous avions chacune un endroit où aller. Mais un instinct phénoménal nous avait attirées ici, et le regard prédateur que nous affichions en reluquant ces tulipes me fit penser à Nabokov, décrivant la genèse supposée de Lolita : « Si je me souviens bien, le frisson d’inspiration initial fut provoqué bizarrement par un article paru dans un journal à propos d’un singe du Jardin des plantes qui, après avoir été cajolé pendant des mois par un chercheur scientifique, finit par produire le premier dessin au fusain jamais réalisé par un animal : cette esquisse représentait les barreaux de la cage de la pauvre créature2. » Ce passage m’a toujours paru intéressant — même si je n’en crois pas un mot. (Quelque chose a bien dû inspirer Lolita. Je suis convaincue qu’aucun primate n’y a été mêlé.)
Commenter  J’apprécie          00
La tulipe est une fleur sans grande sophistication — un enfant pourrait en dessiner — et celles-ci étaient d’un criard… Roses, avec des reflets orangés. À les regarder là déjà, je les aurais voulues pivoines.
Commenter  J’apprécie          00
Du point de vue de la mère, le plus agréable dans une station balnéaire, c’est qu’on y faisait comme tout le monde sans s’y poser de question. On suivait le troupeau. Pour une famille sans père comme l’étais désormais la sienne, cet aspect collectif procurait un camouflage idéal .
Commenter  J’apprécie          00
Chanter ne signifie pas simplement beugler à tue-tête, n'est-ce pas ? Il n'est pas juste question de savoir qui a le plus gros vibrato ou la note la plus haute, non, c'est le phrasé qui compte, il faut être délicat, saisir l'émotion d'une chanson, s'emparer de son âme, pour que quelque chose de vrai se produise chez celui qui écoute quand un être ouvre la bouche pour chanter ; c'est mieux de ressentir quelque chose de vrai plutôt que de se faire martyriser les tympans, non ?
Commenter  J’apprécie          00
Ce n'est pas le cas des gens originaires du Bangladesh, ex-Pakistan oriental, ex-territoire indien, ex-Bengale. Eux vivent sous la menace constante du désastre aveugle : pluies torrentielles, cyclones, ouragans, glissements de terrain. La moitié du temps, la moitié de leur pays se trouve submergée ; des populations entières sont périodiquement balayées de la surface de la terre, l'espérance de vie est au mieux de cinquante-deux ans, et ils sont parfaitement conscients de ce que quand on parle d'apocalypse, de victimes qui se comptent par dizaines de milliers, ce sont eux qui arrivent en tête de liste, et qu'ils seront, par exemple, les premiers touchés, à être engloutis, telle une nouvelle Atlantide, quand ces foutues calottes polaires se mettront à bouger et à fondre. C'est le pays le plus ridicule qui soit au monde, le Bangladesh. Une sorte de canular divin, Dieu s'essayant à l'humour noir.
Commenter  J’apprécie          00
L’établissement Hussein-Ishmael était la propriété de Mo Hussein-Ishmael, un homme fort comme un Turc, dont le crâne était orné d’une couronne d’épis en guise de cheveux, qui formaient ensuite une fort jolie queue de canard dans le cou. Mo croyait ferme qu’en matière de pigeon, il fallait s’attaquer directement à la racine du mal, laquelle n’était pas la fiente, mais le pigeon lui-même. L'ennui, c'est pas la merde, c'est le pigeon semeur de merde, tel était son mantra favori.
Commenter  J’apprécie          00
Romance  was beyond me : it required a form of personal mystery I couldn't manufacture and disliked in others. I couldn't pretend that my legs do not grow hair or that my body does not secrete a variety of foul substances or that my feet aren't flat as pancakes.
Commenter  J’apprécie          00
« -Enfin, il y a un million de problèmes à régler dans cette île pourrie que vous appelez un pays… littéralement un million. Elle veut parler des « Dictatures en Afrique de l’Ouest » ? fit Judy, mimant des guillemets avec ses doigts. « La complicité des Anglais avec les dictatures de l’Afrique de l’Ouest. Elle passe à la télé, elle publie des articles dans les journaux, elle s’exprime à la putain de séance de questions au Premier ministre. C’est une idée fixe. Très bien. Ce n’est pas mon problème… »
Commenter  J’apprécie          00
» A New-York, j’ai vu des gens des classes pauvres être traités d’une façon que je n’aurais jamais crue possible. Avec un mépris total. […]
-Il y a tellement de façons d’être pauvre », murmura Hawa, prise d’une inspiration soudaine. Elle s’affairait à ramasser une tas d’arrêtes par terre.
« Et d’être riche » répliquai-je, et là dessus le frère de Hawa, souriant faiblement, acquiesça. »
Commenter  J’apprécie          00
"Au moins, dit Leah Hanwell, qui semblait gonflée d'une nouvelle énergie, Nathan Bodge, va les intéresser. D'après ce que tu dis, ajouté à ce qu'on sait déjà sur lui, la police voudra au moins l'entendre." [...] "Tu as raison, enchaîna Nathalie Blake. C'est la seule chose à faire".
Commenter  J’apprécie          00
Le bâton coinça les portes de l’ascenseur - tel était précisément le but de la manœuvre. Une alarme retentit. Les trois enfants dévalèrent les escaliers en criant, gravirent la pente et passèrent par-dessus le mur d'enceinte pour s'asseoir sur le trottoir de l'autre côté. Nathan Bodge croisa les bras autour de ces genoux, qu'il avait ramenés sous son menton. "Combien de trous t'as ?" demanda-t-il ? Les deux filles restèrent silencieuses. "Quoi en bas, là ..."Il pointa un doigt vers l'entrejambe de Keisha pour appuyer ses dires.
Commenter  J’apprécie          00
Elle avait l'impression de ne pas avoir d'opinions propres, en tout cas pas comme d'autres semblaient en avoir. Une fois le cours terminé, elle voyait immédiatement qu'elle aurait pu argumenter tout aussi brutalement et avec autant de brio le cas contraire: préférer Flaubert à Foucault; défendre Austen plutôt qu'Adorno. Les gens croyaient-ils réellement en quoi que ce soit? Elle n'en avait pas la moindre idée. Soit Zora était seule à ressentir les choses de cette façon curieusement impersonnelle, soit tout le monde simulait comme elle. Zora supposait que c'était précisément cela, le secret que l'université finirait par lui révéler.
Commenter  J’apprécie          00
Voilà pourquoi Kiki avait tant redouté d'avoir une fille : elle avait su qu'elle serait incapable de lui épargner le dégoût de soi. Dans cette optique, elle avait tenté au début d'interdire la télévision et jamais le moindre bâton de rouge à lèvres ni le moindre magazine féminin n'avait à sa connaissance franchi le seuil de la maison des Belsey; mais toutes ces mesures de précaution - et d'autres - avaient été vaines. Cette haine qu'éprouvent les femmes à l'égard de leur corps flottait dans l'atmosphère, ou du moins c'est ce que pensait Kiki. Elle s'infiltrait dans la maison avec les courants d'air, ou sur les semelles des chaussures; elle émanait des journaux. Il était impossible de la maîtriser.
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Zadie Smith (1431)Voir plus


{* *}