Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir.
J'ai choisi la peinture parce qu'elle m'était autant nécessaire que la nourriture. Elle me semblait être une fenêtre par laquelle je pouvais m'envoler dans un autre monde.
1958
Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir.
Je réunis plusieurs citations en une seule à la manière de Chagall lui-même qui place ses souvenirs et visions sur la même toile en éventail :
Muni de mes vingt-sept roubles, les seuls que j’aie reçus de mon père dans ma vie (pour mon enseignement artistique), je m’enfuis, toujours rose et frise, à Pétersbourg, suivi de mon camarade. C’est décidé.
Je m’appelle Marc, j’ai l’intestin très sensible et pas d’argent, mais on dit que j’ai du talent.
Seule la grande distance qui sépare Paris de ma ville natale m’a retenu d’y revenir immédiatement… C’est Louvre qui mit fin à toutes ces hésitations… Ici, au Louvre, devant les toiles de Manet, Millet et d’autres, j’ai compris pourquoi mon alliance avec la Russie et l’art russe ne s’est pas nouée. Pourquoi ma langue, elle-même, leur est étrangère.
À commencer par le marché où, faute d’argent, je n’achetais qu’un morceau d’un long concombre, l’ouvrier dans sa salopette bleue, les disciples les plus zélés du cubisme, tout témoignait d’un goût net de mesure, de clarté, d’un sens précis de la forme.
Mais mon art, pensais-je, est peut-être un art insensé, un mercure flamboyant, une âme bleue, jaillissant sur mes toiles.
Personnellement, je ne crois pas que la tendance scientifique soit heureuse pour l’art. Impressionnisme et cubisme me sont étrangers. L’art me semble être surtout un état d’âme.
Époque qui chante des hymnes à l’art technique, qui divinise le formalisme
Mes tableaux enflaient dans la Potsdamerstrasse, tandis que tout près on chargeait les canons.
Vitebsk est « un pays bien à part ; une ville singulière, ville malheureuse, ville ennuyeuse »
Vous avez vu chez moi ce vieillard en prière ? C'est lui. C'était bien, lorsqu'on pouvait travailler tranquillement. Parfois ce tenait devant moi une figure si tragique et si vieille, qu'elle avait plutôt l'air d'un ange. Mais je ne pouvais pas y tenir plus d'une demi-heure... Elle puait trop.
Elle (Bella, épouse de Chagall), matin et soir, portait dans mon atelier de doux gâteaux de sa maison, du poisson grillé, du lait bouilli, diverses étoffes décoratives, même des planches qui me servaient de chevalet. J’ouvrais seulement la fenêtre de ma chambre et l’art bleu, l’amour et les fleurs pénétraient avec elle. Toute vêtue de blanc ou tout en noir, elle survole depuis longtemps à travers mes toiles, guidant mon art.
Vêtu d’une chemise russe, une serviette de cuir sous le bras, j’avais bien l’allure d’un fonctionnaire soviétique.
Je pense que la révolution peut être grande tout en conservant le respect de l’autrui.
Ce qui d’abord m’a sauté aux yeux, c’était une auge. Simple, carrée, moitié creuse, moitié ovale. Une auge de bazar. Une fois dedans, je la remplissais entièrement.
Le cirque est un spectacle magique, qui passe et fond comme un monde.
L’essentiel c’est l’art, la peinture, une peinture différente de celle que tout le monde fait. Mais laquelle ? Dieu, ou je ne sais plus qui, me donnera-t-il la force de pouvoir souffler dans mes toiles mon soupir, soupir de la prière et de la tristesse, la prière du salut, de la renaissance ?
Je me réveille dans le désespoir
D'une journée nouvelle, de mes désirs
Pas encore dessinés
Pas encore frottés de couleurs.
Marc Chagall - Si mon soleil
Seul est mien
Le pays qui se trouve dans mon âme.
J'entre sans passeport
Comme chez moi.
Il voit ma tristesse
Et ma solitude.
Il m'endort
Et me couvre d’une pierre parfumée.
En moi fleurissent des jardins.
Mes fleurs sont inventées.
Les rues m’appartiennent
Mais il n’y a pas de maisons,
Elles ont été détruites dès l'enfance,
Les habitants vagabondent dans l'air
À la recherche d’un logis.
Ils habitent dans mon âme.
Voila pourquoi je souris
Quand mon soleil brille à peine.
Ou je pleure
Comme une légère pluie
Dans la nuit.
Il fut un temps où j'avais deux têtes,
Il fut un temps ou ces deux visages
Se couvraient d’une rosée amoureuse
Et fondaient comme le parfum d’une rose.
À présent il me semble
Que même quand je recule
Je vais en avant
Vers un haut portail
Derrière lequel s'étendent des murs
Où dorment des tonnerres éteints
Et des éclairs brisés.
Seul est mien
Le pays qui se trouve dans mon âme.
pp. 23-4
Ma Source
Loin de tous les chemins
Loin des chemins qui me conduisent vers la vie
Et vers la mort
Je suis couché comme noyé dans une fosse
Et couché là j'attends
Mes pieds se reposent
Et mes yeux cessent de pleurer
Je vais vers toi
Comme vers mon sommeil
Tantôt plus chaud, tantôt plus froid mon corps
Les montagnes vacillent autour de moi
Toutes les vallées me rappellent mon enfance
Mais toutes mes paroles
Coulent vers ma source
De là-haut, reconnais-moi
Ne me laisse pas seul dans le désert
Je veux devenir ton ange
Et te chanter, faible comme je suis
Il brûle dans mon coeur le signe
Dont tu m'as fait cadeau
A peine sorti du ventre maternel
Quand j'ai vu ta lumière
Je ne veux pas que la nuit
Recouvre mon visage pour toujours
Je rêve de tes mondes
Je vole dans tes ciels
Comme je vole, se couvre ma vie
Et je ne sais plus le chemin
Tant de mondes passent devant mes yeux
Leur souffle m'engloutit
Les étoiles en haut m'ensevelissent
Des anges ailés de ciel en bas courent sur moi
Et ils boivent ma force
Les jours, les années s'écoulent de moi
Je deviens pareil à l'éternité
D'en bas monte vers moi le fleuve
De Bach et de Mozart
J'entends leur souffle qui sonne
Moi-même je deviens un son
Le monde sonne de toute éternité
Des fleurs nouvelles poussent près de moi
Et leur odeur me tire du sommeil
Comme sur la palette d’un peintre, il n’y a dans notre vie qu’une seule couleur qui donne un sens à la vie et à l’art, la couleur de l’amour.