Plongée dans les chroniques judiciaires en littérature avec Emmanuel Carrère, qui publie "V13", recueil de ses récits des procès du 13 novembre, et Mathieu Delahousse, reporter à L'Obs, qui couvre le procès de l'attentat de Nice ayant eu lieu le 14 juillet 2016.
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Dans le guide pour l indemnisation des victimes d'actes de terrorisme diffusé par le FGTI, on lit, sans dissimulations ou manipulations, qu une somme forfaitaire a été allouée à chacune des victimes, le montant de l'indemnité étant fixée en fonction de leur appartenance à des "cercles": les victimes du cercle 1 correspondent aux victimes directes figurant sur la liste unique des victimes. Il s'agit des personnes qui ont subi une atteinte physique et/ou psychique, ou qui ont assisté directement au décès ou aux blessures de victimes directes. L inscription sur la liste crée une présemption
qui irréfragable. Le montant est fixé forfaitairement à 30 000 euros. Les victimes du cercle 2 correspondent aux victimes indirectes. Elles sont présentes sur les lieux, mais ne sont pas blessées. Elles doivent rapporter la preuve de leur préjudice. Le montant est fixé forfaitairement à 10 000 euros. Les victimes du cercle 3 correspondent aux proches des victimes. Elles peuvent bénéficier d une indemnisation forfaitaire différenciée selon la nature du lien de parenté avec la victime directe. Un tableau donne même les sommes à envisager dans chaque cas.
Le fonds, dans son guide de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, a dressé le plus clairement du monde l'inventaire des vies brisées.
A droite, les préjudices patrimoniaux. D'abord, les préjudices temporaires : dépenses de santé actuelles, frais divers, pertes de gains professionnels actuelles. Ensuite, les préjudices permanents de dépenses de santé futures, de frais de logement adapté, de frais de véhicule adapté, d'assistance par une tierce personne, de pertes de gains professionnels futures...
A gauche, les préjudices extrapatrimoniaux. Là encore, les préjudices temporaires, c'est-à-dire le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le préjudice d'angoisse de mort imminente. Et puis les préjudices permanents : le déficit fonctionnel permanent, le préjudice d'agrément, le préjudice esthétique permanent, le préjudice sexuel, les préjudices permanents exceptionnels, etc.
Les règlements de compte y sont plus diligents que les règlements tout court. Sait-on jamais, mais on n’ose formuler l’hypothèse un jour pareil : sans doute l’incarcération l’a-t-elle protégé d’une expédition punitive ou d’une vengeance ? Peut-être la détention pour rien lui a-t-elle permis de survivre pour de bon ?
L’État n’a cure de ces hypothèses de polar. Pour le représentant de l’État, le cas d’Abdelkader B. souffre d’un autre défaut majeur : il est bancal. L’avocate Alice Meier émet donc fort, et clair, ses réserves. Elle détaille les deux préjudices. D’abord, le matériel. Elle a étudié les justificatifs fournis et regrette : « Au moment de son interpellation, il ne travaillait pas. La perte de chance pourrait être indemnisée mais… cette chance n’est guère sérieuse. Avant la détention, son activité était très légère et assez éparse. D’ailleurs, il n’y a aucune trace de son activité d’aujourd’hui. Cela nous aurait aidés. »
Ces invisibles avaient une particularité effroyable. Tous avaient été jetés en prison, pour quelques jours, plusieurs mois ou parfois de nombreuses années mais, au bout du compte, avaient été innocentés. En termes de procédure, cela signifiait qu’ils avaient été acquittés devant une cour d’assises, relaxés par un tribunal correctionnel ou qu’un juge d’instruction avait conclu pour eux à un non-lieu. Ils avaient en somme subi la prison pour rien ! J’imaginais déjà des êtres blanchis mais abîmés. Des pages qui, dans une vie, s’avèrent impossibles à tourner.
Je me répétais plusieurs fois la formule, afin de bien l’intégrer : « Aller en prison pour rien. » Il fallait imaginer ce que cela signifiait au XXIe siècle. Ce n’était pas un accident de la vie, comme on le dit du chômage, de la maladie, des divorces ou de ces pépins graves qui clouent sur un fauteuil.
Le cortège des innocentés depuis n’a plus cessé. Depuis 1970 et encore plus avec la loi « présomption d’innocence » de la garde des Sceaux Élisabeth Guigou, en l’an 2000, qui a créé cette Commission nationale de réparation des détentions, ce sont des membres de la Cour de cassation qui, au nom de l’État, ont la charge de fixer le prix de ces vies brisées. Tous les magistrats que j’ai croisés et qui ont siégé ne serait-ce qu’un jour dans cette Commission nationale de réparation des détentions ont mille anecdotes à raconter. Ils ont eu leur lot de cas de conscience : les très pauvres et très jeunes pirates somaliens arrêtés par la marine française puis acquittés par la justice, des chefs d’entreprise jurant qu’ils avaient à cause de la prison perdu les agréments officiels qui leur permettaient de travailler avec l’État…
Les avocats ont du vocabulaire. Nul superlatif n’est jamais ridicule pour s’indigner d’un jour enfermé en détention pour rien. On s’émeut régulièrement ici de la double peine infligée à un homme qui a dû subir la prison et qui, en plus, a été renvoyé de son travail. On se désespère même de triples peines : la détention, la perte de l’emploi et, en plus, le départ de la petite amie. Pire, au gré des catastrophes en chaîne, on suggère des quadruples ou quintuples peines. Cela serait drôle si ce n’était que des formules. Hélas, elles décrivent simplement à quel point une vie s’étiole quand on la met en cage.
La justice est un monde comme un autre. Dès le deuxième jour de mon séjour, une envie de voyager plane sur la petite communauté qui forme la commission. Un mois s’est écoulé depuis la dernière fois. Une avocate revient du ski. La greffière, d’une très grosse bronchite. Les assesseurs ont changé. L’avocate générale a bronzé. Et puis l’ambiance infuse une légèreté inhabituelle. Un hiver sans gel règne sur Paris et le soleil pose sur les murs de l’île de la Cité une jolie lumière dorée. Un calme rare dû aux vacances judiciaires de février a estompé l’agitation coutumière du palais de justice.
En la matière, les condamnés définitifs comme les mis en examen encore en détention provisoire seraient logés à la même enseigne. Nous n’avons plus d’illusions inutiles à ce chapitre non plus : chacun sait, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cet univers, que la population carcérale n’est pas très pointilleuse sur la présomption d’innocence… Un coup de poing dans une coursive, toute autre brimade ou vexation sont si vite arrivées. Les plaintes en la matière sont rares ou difficiles, rendant encore plus délicate l’appréhension du phénomène.
Au quotidien, notre métier de journaliste est curieux. Un bourdonnement d’informations sur tout et parfois n’importe quoi nous entoure en permanence. Une certitude s’est ancrée dans l’esprit de mes confrères : « Tout finit toujours par sortir. » Certains d’entre nous s’y emploient fort bien, d’ailleurs. Ce postulat posé, je suis toujours assez fasciné de voir que quelques « belles » et longues sagas judiciaires naissent et grandissent sans que jamais personne ait entendu parler d’elles. Le secret existe encore. C’est le cas de cette histoire.
En tout état de cause, le dispositif français apparaît sensiblement plus généreux que celui de ses homologues européens, que l’auteur examine dans son épilogue : en Angleterre – pays de Galles, les indemnisations sont rares ; en Allemagne fédérale, les barèmes sont sensiblement inférieurs… Les procédures de réparation ne sont pas si ouvertes et développées : il n’est pas certain que le même livre aurait pu être écrit chez nos voisins.