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Claudine Layre (Traducteur)
EAN : 9791036001338
256 pages
L’Atalante (23/02/2023)
3.94/5   24 notes
Résumé :
« Les gens qui habitent dans des ports gardent toujours espoir. »

Des voitures brûlent aux quatre coins du monde. À Hambourg également. Dans l’une d’elles, on retrouve le cadavre d’un fils du clan Saroukhan. Ces anciens mercenaires de l’Empire ottoman sont devenus de puissants trafiquants installés à Brême.

Qui a tué Nouri Saroukhan ?

La procureure Chastity Riley est de retour avec son collègue Ivo Stepanovic. Doivent-ils... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Fils maudit d'une famille de la mafia Libano-turque de Brême, Nouri Saroukhan a été assassiné dans sa voiture à Hambourg et c'est la procureure Chastity Riley qui est en charge de l'enquête.
Aidée de son fidèle Ivo Stepanovic, elle découvre le système des clans mafieux de Brème qui ne font jamais preuve d'humanisme et ne respecte que la notion de tribu, de famille. La seule piste concerne une amie d'enfance de la victime et l'on voit naître au fil des chapitres une belle histoire d'amour entre deux enfants de mafieux. Perturbée par le retour d'un ancien amoureux, Chastity essaie de démêler les fils de cette intrigue qui s'étire entre Hambourg et Brême.
Tout est original dans cette série : le personnage principal totalement atypique, le rythme faussement nonchalant, les dialogues parfois presque surréalistes, le style percutant et un don pour immerger le lecteur dans un milieu.
Ce roman a été récompensé en 2019 par le Prix du Polar Allemand.
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Service de presse.

Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur.

Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue MexicoSimone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.


Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
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Entre Brême et Hambourg, une nouvelle enquête passionnante de la procureure Chastity Riley, menée d'une écriture toujours aussi atypique et réjouissante, entre clans mafieux terrifiants, histoire d'amour improbable et avidité corporate jamais vraiment démentie.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/29/note-de-lecture-rue-mexico-simone-buchholz/

Comme je l'écrivais ici à la parution de « Nuit bleue » en 2021, il faut absolument rendre grâce à la collection Fusion des éditions de L'Atalante, pour nous avoir offert la découverte de cette enquêtrice judiciaire réellement pas comme les autres. Dans un contexte allemand qui nous est souvent peu familier, et avec toutes les spécificités de la grande ville portuaire qu'est Hambourg, Simone Buchholz a créé en 2008 un personnage largement hors normes – il faut peut-être bien remonter jusqu'à la Sharon McCone de Marcia Muller, apparue en 1977, pour approcher un tel phénomène -, fille d'une secrétaire allemande et d'un officier américain, investigatrice ayant un gosier nettement en pente et une vie sentimentale oscillant entre le complexe et l'agité, se sentant absolument gauche vis-à-vis de la société et de ses convenances, mais extraordinairement inventive pour en circonvenir les écueils. « Rue Mexico », publié en 2018, et traduit en 2023 en français par Claudine Layre, est le huitième épisode, juste après « Béton rouge », de cette série au succès à mon sens très mérité.

Prisonnier d'une voiture en flammes, sur un parking de l'un des grands quartiers d'affaires de Hambourg, un homme décède des séquelles de son asphyxie. Surprenant en soi, peut-être, mais le devenant encore plus lorsqu'il s'avère qu'il s'agit d'un cadre de société d'assurances, fils en rupture de ban d'un clan mafieux mahallami basé principalement à Brême, l'autre Ville-État allemande, distante d'une centaine de kilomètres. La procureure Chas doit donc accompagner une équipe mixte d'enquêteurs qui, avec l'aide de leurs homologues de Brême, vont tenter de résoudre l'imbroglio apparent, en évitant les pièges des apparences et diverses chausse-trappes dissimulées çà et là.

J'ai indiqué dans les deux notes de lecture précédentes à quel point cette série est profondément réjouissante grâce à son écriture si atypique dans le genre policier. Cela ne se dément aucunement dans ce nouvel épisode. Sa panoplie inhabituelle de moyens techniques littéraires nous donne à partager, on l'a déjà dit, un regard unique sur Hambourg et sur le quartier de Sankt-Pauli, sur la société allemande contemporaine et sur une manière spécifique pour celles et ceux luttant intensément contre le crime de conserver une forme étonnante de détachement amusé au coeur de leurs obsessions les plus sombres.

Songeant sans doute, comme déjà noté également, à certaines facettes (du côté du travail de l'obsession au fond des individus) du grand David Peace, mais aussi à certaines idiosyncrasies stupéfiantes développées chez Fred Vargas, jouant à merveille du contraste entre l'officiel et l'officieux, entre l'enquête le jour et les bars la nuit, on assiste ici à une construction redoutable qui nous tient en permanence dans un déséquilibre salvateur (notamment parce que Simone Buchholz manie à la perfection l'art beaucoup trop négligé du non-dit), et nous donne à nouveau envie d'en lire bien davantage.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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La romancière allemande Simone Buccholz était de passage sur Lyon le 14 mars, elle est notamment en signature à Villeurbanne dans l'excellente librairie Lettres à croquer.
Simone Buchholz est née en 1972 en Allemagne, dans la région de Francfort mais de livre en livre, elle fait le portrait de Hambourg, avec notamment un personnage de procureure atypique (le rôle de procureur n'est pas le même qu'en France, mais est beaucoup plus actif)
Après "Nuit bleue" et "Béton rouge", Chastity Riley, l'héroïne de Simone Buchholz revient avec une troisième enquête : "Rue Mexico"
Dans Rue Mexico, on suit la destinée de Nouri et Aliza deux enfants des rues qui vivent à Hambourg dans des quartiers difficiles. Dans un univers empreints de violence, ils vont devoir affronter ensemble l'adversité.
La procureure Chastity Riley aidée par l'inspecteur Ivo Stepanovitch vont plonger dans leur monde pour trouver les réponses.
Les personnages, l'histoire, l'intrigue, tout est porté par une plume et un style assez formidable !
Cette troisième enquête, au cours de laquelle la géniale Simone Buchholz cartographie les différents visages de la criminalité, dans les gangs comme dans les grandes entreprises, a obtenu le Prix du Polar Allemand en 2019 et c'est totalement mérité
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Qu'est ce qui se cache derrière toutes ces voitures qui brûlent, dans toutes les villes du monde, même à Hambourg ? En ce joli mois de mai, il y a un cadavre dans une voiture incendiée et Chastity Riley est sur place. Lorsqu'elle découvre l'identité de la victime, elle appelle Stepanovic. Un groupe d'enquête est constitué de flics que Chastity apprécie, on y retrouve Calabretta. de ses amis d'avant, c'est le seul que Chas revoit, raison professionnelle oblige. Chastity est seule, surtout la nuit, seule dans le silence avec les cigarettes et la bière comme compagnons et ce n'est pas Stepanovic le solitaire qui peut y changer grand-chose. Il y a vraiment un air de désenchantement qui hante Chastity depuis « Béton rouge ».

L'enquête se déplace de suite à Brême, la grande voisine de Hambourg, deux grandes villes soeurs du nord de l'Allemagne, avec leurs différences mais qui se ressemblent, liées par la mer et l'ouverture sur le monde, rivales avec le foot. A Brême Chastity entre dans une autre histoire, celle d'Aliza et Nouri. Une belle histoire d'amour qui finit tragiquement. Ils n'auront pas le temps de partir vivre à Mexico, c'était leur rêve, ils voulaient fuir leurs familles respectives, les Saroukhan et Anteli, deux clans où règnent la toute puissance des hommes.

Grâce à Simone Buchholz j'ai découvert les Mahallami , groupe ethnique tribal originaire de Turquie et dispersé dans le Moyen-Orient avec une forte présence au Liban, avant de fuir vers l'Europe. « Mais alors, ils ont quels passeports ? Quelle importance de savoir qui est de quel pays et qui a quels papiers pourtant on parle tout le temps de quoi ? de passeports, de nationalités, alors que, bon sang, ce sont des êtres humains ». Rejetés partout où ils se réfugient. La clandestinité c'est une porte entrouverte vers les organisations criminelles et le repli sur soi avec le clan comme seul univers et une haine qui brûle chez certains comme ces voitures qui quotidiennement brûlent dans toutes les villes du monde. Mais on n'est pas mieux avec nos affairistes obnubilés par les profits, aiguillonnés par la coke. Gagner toujours plus, peu importe les moyens. Nouri avait gagné assez d'argent pour aller à Mexico avec Aliza mais ils n'auront pas le temps de partir. La faute à des traditions d'un autre temps et au mal actuel qu'est l'argent.

Dans ce roman Simone Buchholz raconte une belle histoire d'amour née entre deux enfants qui se sont sentis proches l'un de l'autre avant que leurs familles décrètent que ce n'était pas possible. L'enquête progresse et en même temps grandit un sentiment de révolte sociale. le lecteur ne peut pas rester indifférent. Il en ressort ému et avec un sentiment d'impuissance. Tout brûle autour de nous, partout, inéluctablement. Il est bien loin le temps de la première rencontre avec Chastity Riley ( « Quartier rouge » ) lorsqu'elle vivait dans la bonne humeur, avec ses ami(e)s. Un air de fête flottait alors dans sa vie. Désormais tout est noir.

Simone BUCHHOLZRue Mexico , titre original «Mexicoring» ( Allemagne 2018 ). Traduit de l'allemand par Claudine Layre pour les Éditions de l'Atalante, collection Fusion. Parution 23 février 2023. ISBN 9791036001338.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
« Fritz Baumann, bonjour », dit le collègue venu nous accueillir à la loge du portier. Il serre la main à tout le monde, tout en semblant mémoriser nos noms. Ce type décontracté, aux yeux bleu clair intelligents et aux cheveux blonds presque blancs qui vont bientôt réussir à l’être, a d’ailleurs une tête à ne rien oublier. Il prête attention à tout, car tout est essentiel.
Après nous avoir salués, il met les mains dans ses poches de pantalon, recule d’un pas et nous dévisage. C’est un peu désagréable pour nous, mais je comprends qu’il le fasse. Parfois, j’aimerais bien me comporter comme lui : commencer par me faire tranquillement une idée des nouvelles têtes, même si ça les surprend un peu. N’empêche que je supporte plutôt mal ces regards à la comme-c’est-bizarre.
Baumann non, on dirait.
Il finit par cesser de nous dévisager.
Nous enlevons nos blousons et manteaux. Il fait tiède à Brême, l’air y est plus doux qu’à Hambourg, ce qui m’étonne un peu.
Baumann demande : « Alors ? » C’est toujours une bonne question.
Stepanovic remet sa chemise dans son pantalon, d’où elle était à moitié sortie pendant le trajet : « Nous devons annoncer aux Saroukhan qu’un membre de leur famille est mort, ça ne va sans doute pas être très facile. Ou peut-on aller sonner chez eux sans problème ?
– Bien sûr que vous pouvez y aller. Sauf que personne ne vous laissera entrer. Mais je vous ferai accompagner par quelqu’un qui vous servira d’ouvre-porte. »
J’observe avec intérêt les mâles alpha se flairer. C’est comme à chaque fois : quand Stepanovic tombe sur un autre chef de tribu, il le scanne, cordialement mais avec acuité.
Baumann le scanne à son tour.
« Nouri Saroukhan. »
Stepanovic opine du chef.
« Autant que je sache, il ne faisait plus partie de la famille. »
Stepanovic hausse les sourcils, on ouvre grand la bouche, intérieurement.
« Je vais y revenir. »
On referme la bouche.
Rocktäschel intervient : « Faut quand même qu’on leur annonce le décès. » Baumann le regarde dans les yeux. « Votre visage me dit quelque chose. »
Rocktäschel redresse son dos ou plutôt son armure.
« Lennart Rocktäschel. Mon père était un collègue à vous. »
Tressaillement sur le front de Baumann puis autour de sa bouche. Il se dirige vers Rocktäschel, lui pose la main droite sur l’épaule avant de se tourner vers nous.
« Venez dans mon bureau. Et appelez un hôtel. Vous allez devoir rester quelques jours. »
Lindner sort son téléphone pour chercher des chambres disponibles.
Rocktäschel déclare qu’il dormira chez sa mère. C’est sûrement génial de dormir chez maman.
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C’était comme si les bâtiments s’écroulaient sur les gens. Un, deux cubes colossaux, carrés gigantesques, tous morts. Des architectes sous speed ont voulu jouer à Tetris mais ont perdu le contrôle. Ici et là, monstrueux, des blocs de béton lavé et d’acier ; dans les années 60 et 70 du siècle dernier, ils étaient blancs et brillants – depuis, la lumière s’écaille par grosses plaques.
Partout des fissures.
Entre elles, du verre réfléchissant impitoyable. Les rares vitres ouvertes ont peut-être été défoncées ou brisées, en tout cas elles ont disparu – va savoir comment se sont formés ces trous noirs dans les façades. Les rues sont des abîmes ; bien qu’on ait planté un arbre solitaire ou créé un espace vert courageux ici ou là, c’est un lieu qui ne convient à aucun être vivant, quel qu’il soit.
À mes pieds, sur un amas d’enduit tombé des murs, j’aperçois un briquet bleu ciel – cela me semble à la fois triste et réconfortant -, je le ramasse. Le vent chaud fait tourbillonner un sac en plastique, suivi par un deuxième. Peut-être que les sacs en plastique seront un jour les meilleurs mouettes.
Il arrive que je me raccroche ainsi à des objets de passage, cela retarde un peu l’essentiel, mais cela ne me protège pas, il faut bien que je me consacre à l’affaire qui m’amène ici ; je mets le briquet dans ma poche de pantalon, chasse de mes pensées les sacs en plastique virevoltants et m’approche de l’homme quasiment mort dans la voiture à demi calcinée.
J’ai reçu cette sorte d’appel matinal qui vous met en piste sans tarder. Est-ce que je pourrais me rendre sur les lieux ? Une voiture en flammes. Encore une. On m’a dit qu’il serait temps de résoudre ce problème de véhicules incendiés.
Les bagnoles en feu ne m’intéressent pas plus que ça. Tu sais très bien pourquoi tes voitures brûlent, Hambourg.
Sauf que cette fois, ce n’est pas seulement un véhicule qui a cramé, mais aussi un être humain. Faire brûler des gens dans des voitures, ça, ce n’est pas possible, putain.
J’avais renoncé à mon café, vite enfilé mes bottes et pris un taxi. Quand je suis parvenue au nord de la ville, un pompier balisait un large périmètre. Il m’a dit que la Fiat noire n’avait pas brûlé longtemps, qu’ils étaient rapidement arrivés sur les lieux. Ils étaient déjà en intervention dans le coin : depuis l’été dernier, il y a partout des véhicules qui brûlent le matin, ils manquent pas d’air, la vache, nos belles bagnoles.
« Oui, oui. » Parler voitures me prend la tête.
« …et aujourd’hui, elles ont cramé ici, à City-Nord. »
Toujours un peu en vrac à cause de mon extrême fatigue, je me suis dit : de toute façon, ça brûle dans tous les coins. Tout le monde râle à cause des brasiers et du bruit des hélicoptères qui cherchent les foyers d’incendie dès le crépuscule ; mais pourquoi s’exciter sur ces sujets ? Ils devraient plutôt s’interroger sur ce qui amène les gens à mettre le feu. La fureur, la colère, la bêtise. Or on se bouche les oreilles comme si on pouvait du même coup se boucher le cerveau.
Le feu n’a abîmé que l’avant de la Fiat – vue de derrière, elle a l’air presque neuve. Mais il y a encore de la fumée dans l’habitacle, les gaz toxiques se sont répandus à travers tous les interstices.
Les secours ont découpé la portière conducteur.
Je demande : « La voiture était fermée à clé ? » L’urgentiste est agenouillé sur le bitume et pose une perfusion à l’homme inconscient. Son collègue lui insuffle de l’oxygène.
« Toutes les portes étaient verrouillées. Ça m’étonne un peu qu’il n’ait pas appelé à l’aide, tout le monde a un portable aujourd’hui. Ou qu’il n’ait pas ouvert la portière – c’est toujours possible, normalement.
– Peut-être qu’il dormait.
– Peut-être qu’il était bourré. » On dirait un reproche.
« Mais il va s’en sortir, non ? »
Haussement d’épaules.
« J’en sais rien. Tout dépend combien de temps il est resté là-dedans. Et quel mélange il a respiré. Les pompiers disent qu’ils sont arrivés dix minutes après l’alerte mais, bien sûr, le véhicule brûlait déjà depuis un moment – comment le savoir avec précision ?
– Quelles sont ses chances de survie ?
– Pas terribles au bout de douze minutes dans la fumée. »
L’homme allongé sur la civière fait plus vieux que son âge. Traits élégants, barbe de trois jours, peau douce et lisse, cils et sourcils foncés très fournis. Même pas trente ans. Boucles noires mi-longues ou presque.
Il porte un costume sombre, pas spécialement coûteux on dirait. Ils ont déchiré sa chemise aux tons clairs pour pouvoir le réanimer rapidement. Jusqu’ici, cela n’a pas été nécessaire, son cœur bat encore.
Tout autour, partout : l’aube.
« Ce type est solide, lance l’urgentiste en se relevant. Plutôt costaud. »
Je le trouve surtout gracile, mais je ne le dis pas, j’ose à peine le penser, de crainte que même ça ne l’affaiblisse.
Le voilà manifestement bien pris en charge, la perfusion et le masque à oxygène sont en place. Deux infirmiers soulèvent la civière avec précaution et la glissent dans l’ambulance.
« Vous l’emmenez où ?
– À l’hôpital de Barmbek.
– Merci. »
Le médecin me regarde, un peu perplexe : « De rien. »
Ils démarrent.
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Calabretta, Stanislawski, Schulle et Brückner sont arrivés. C’est vraiment chouette de les retrouver, ces quatre-là. Ils constituent une sorte de security spirituelle. Une copie de sauvegarde du passé. Nous sommes comme une vitre que la vie aurait brisée en sautant à travers à plusieurs reprises ; nous avons voltigé en l’air comme des éclats de verre qui savent où est leur place et qui se recollent à chaque fois. Pour former une nouvelle vitre, plus aussi lisse ni aussi propre par endroits, mais toujours à peu près transparente.
En un tour de main, les collègues de la Mordkommission se sont installés au bureau du groupe d’enquête – ce sont de vrais pros, très flexibles. Schulle et Anne Stanislawski sont scotchés àleur téléphone, Calabretta est devant son ordi portable. Brückner note au tableau blanc les infos que ses collègues dénichent au fur et à mesure oralement ou sur le Net. Sous le nom de Nouri Saroukhan a été tracé un trait vertical à droite duquel on lit :

Fac de Hambourg
Études de droit (interrompues)
Compagnie d’assurances AKTO (employeur actuel)

Et à gauche :

Clan Saroukhan
Brême
Aussi Hambourg maintenant ?

Le côté gauche, c’est le chantier de Stepanovic,, Rocktäschel, Lindner et sans doute aussi le mien ; le droit, celui de la Mordkommission, en tout cas au début, les premières heures, les premiers jours. Ensuite, on met toutes nos infos en commun.
Stepanovic a téléphoné en fumant manifestement un demi-paquet, son visage est tout gris, il s’appuie au chambranle de la porte. Sa chemise est froissée. Assieds-toi donc.
Il salue de la tête la Mordkommission qui s’active : « Chers collègues. »
Les enquêteurs font un bref geste de la main et opinent sans vraiment faire attention. Anne Stanislamwski est la seule à lever la tête, tout en tortillant entre deux doigts ses boucles d’un roux vénitien. Sur son front, entre les taches de rousseur, se sont creusées trois rides ; elle presse son oreille contre l’écouteur et marmonne on ne sait quoi dans l’appareil. Depuis peu, étonnamment, les cheveux blonds de Schulle, qui réagit à peine à l’arrivée de Stepanovic, sont bien peignés et divisés par une raie ; Brückner semble vouloir apprendre par cœur ce qu’il a écrit au tableau – contrairement à Schulle, il aurait urgemment besoin d’une coupe pour arrêter de ressembler à un surfeur vieillissant. Calabretta accompagne son hochement de tête d’un sourire jovial mais comme tourné vers l’intérieur, lui aussi est au téléphone.
L’essentiel, c’est qu’il soit là ; ça, c’est vraiment chouette.
« Tout se passe comme sur des roulettes. » Stepanovic aime bien la façon dont le travail s’effectue. Dans le calme et la concentration. « Au fait, on a récupéré une machine à café ? »
Je regarde Lindner, qui rougit parce qu’il ne s’en est pas occupé : il tente d’aider Rocktäschel à trier et imprimer les photos de la scène de crime en restant assis à côté de lui.
« Ben alors, Lindner, vous auriez pu marquer des points. C’est trop bête. »
Il me rend mon regard, une veine tressaille sur sa tempe, sur la mienne aussi je crois. Il y a des gens avec lesquels la vie est encore plus difficile qu’avec d’autres.
Stepanovic a capté, il se rapproche de moi.
« Tâchez de vous entendre, chers amis. Départ pour Brême dès aujourd’hui, les collègues des bords de la Weser sont d’accord. Lindner, Rocktäschel – rentrez chez vous prendre des affaires, on va y rester quelques jours. »
Il me regarde.
« Tu viens avec nous ? Ça promet d’être intéressant. »
Calabretta lève les yeux de son ordinateur. « Allez-y, on gère. Encore quelques coups de fil et nous aussi on va sur le terrain. »
Je dis : « D’accord, Calabretta, on fait comme ça. »
Et je pars boucler ma valise.
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Une voiture en flammes. Encore une. On m’a dit qu’il serait temps de résoudre ce problème de véhicules incendiés.

Les bagnoles en feu ne m’intéressent pas plus que ça. Tu sais très bien pourquoi tes voitures brûlent, Hambourg.

Sauf que cette fois, ce n’est pas seulement un véhicule qui a cramé, mais aussi un être humain. Faire brûler des gens dans des voitures, ça, ce n’est pas possible, putain.
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Mieux vaut les avoir à l'intérieur de la tente et les voir pisser dehors que de les avoir à l'extérieur et les voir pisser dedans.
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