La Reine Blanche et le Ramoneur

Jardins secrets
« La Reine Blanche et le Ramoneur » de Claude Soloy : en jouant sur les contrastes, ce titre m'a d'emblée intriguée. La quatrième de couverture ne m'en a pas appris davantage, si ce n'est qu'une vaste galerie de personnages, pour le moins loufoques et à la libido débridée, en peuplait les pages, depuis la fin des années 30 jusqu'au début du troisième millénaire. De plus, ce qui n'a pas manqué de titiller ma curiosité, c'est que tout le récit gravite autour du quartier du Gros-Horloge, à Rouen. Un microcosme dont les moeurs feront l'objet d'une étude très approfondie.

Mon avis :
La magie des mots a pour vertu de repousser les murs et d'élargir l'horizon. En l'occurrence, Rouen a beau se trouver à un jet de pierre de chez moi, j'ai vraiment trouvé ma lecture exotique ! À en croire les brochures qui en font la promotion, la rue du Gros-Horloge serait l'artère piétonnière la plus touristique de France. Et toutes les nationalités qu'on y croise tendent en effet à le confirmer.
Tout promeneur qui s'attardera dans cet incontournable périmètre y verra une coquette vitrine de la capitale normande et, s'il est un tant soit peu altruiste, il sera aussi saisi par le décalage en voyant les sans-abri et les artistes de rue mondialement inconnus venus s'approprier le pavé. Reflet d'une société indifférente à l'autre malgré la prolifération des réseaux dits « sociaux ». Preuve que partout les mondes cohabitent sans jamais se rencontrer. Rouen. Autrefois aux cent clochers, aux mille contrastes aujourd'hui.
Cependant, ce livre n'a pas la prétention de se pencher sur un problème de société, il ne glose pas non plus sur le sort des exclus, ni ne dénonce l'hypocrisie et l'opportunisme politiques. Il n'est pas là pour ça. Même si un vilain nuage chimique mais « non toxique » a récemment survolé la ville, en en faisant profiter bien d'autres au passage, ce livre offre une belle respiration, un arc-en-ciel, un petit coin de ciel bleu. Il faut aussi dire que celui-ci, paru en 2007, présente, par bien des aspects, un caractère intemporel.

Qui sont donc cette mystérieuse Reine tout immaculée et son négatif, cet obscur Ramoneur ? Ce n'est pas le rôle d'une chronique, qui ne ferait que déflorer l'intrigue, de répondre à cette question, pourtant cruciale j'en conviens. Je peux seulement dire qu'on suivra de près le parcours d'Aglaé, depuis sa petite enfance au lendemain de la guerre. Pour mettre l'eau à la bouche, j'ajouterais que l'éducation sentimentale des différents protagonistes sera parsemée d'une multitude de graines de tournesol. Et il y aura de quoi faire pousser bien des rêves dans de luxuriants – luxurieux aussi – jardins des désirs.
Regarder par le trou de la serrure pour percer les secrets d'alcôve présente certains risques. L'atmosphère de toutes ces aventures érotico-burlesques, qui oscillent entre Rabelais et Amélie Poulain, ont bien failli frôler la faute de goût si l'ensemble n'avait pas été coloré d'une profonde poésie.
Avec la gaudriole pour fil rouge, on aurait pu sombrer dans l'érotisme déliquescent et dégringoler la pente de l'humour gras. À l'inverse, en plus d'être inclassable, tant je l'ai trouvée originale, l'écriture s'avère plutôt fine. À condition, bien sûr, de prendre au second degré, voire davantage, les différentes « saillies » qui émaillent le récit. On comprend aisément que l'univers dépeint n'existe nulle part ailleurs que dans l'imagination exubérante de l'auteur.

Ici, un vent de nostalgie souffle sur le parcours de vie des gens ordinaires, qui reçoivent les joies comme elles viennent et affrontent vaille que vaille les peines du quotidien. La patine du temps a souvent le don d'éclairer d'une lumière bien plus douce des souvenirs pas toujours aimables. Rouen a connu d'autres heures sombres au cours de son histoire mais ce roman a le parfum des beaux jours, le goût des jours heureux. C'est en chaussant des lunettes roses – et qui déshabillent aussi – qu'il faut aborder ce livre insolite, qui fait beaucoup rire, surprend pas mal et réussit même à émouvoir.
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