Sa couverture promet un récit tout droit venu de la littérature maritime. Mais débordant du genre, l'ouvrage s'annonce, dès les premières pages, comme le véritable roman d'une vie.
Une fois de plus la collection 10/18 réserve à ses lecteurs une bonne surprise.
L'auteur, Charles Tillon, entreprend, dans "la révolte vient de loin", de raconter ses souvenirs.
Il entame son récit par une chronique passionnante : l'évocation de son enfance.
Né en 1897, il fut d'abord élevé, à Saint-Grégoire, par deux de ses tantes et par sa grand-mère avant de rejoindre, à Rennes, ses parents installés place des Lices.
Le rappel est précis. Les descriptions sont bluffantes.
L'auteur parle peu de lui mais restitue ce qu'il a vu et compris de ce temps, fait de souvenirs perdus à jamais, où le cheval encore est roi.
Comme toutes les enfances, la sienne est faite de moments de tendresse, d'incompréhension envers le monde des adultes et d'amour.
Le siècle toute neuf amène au pouvoir "le bloc des gauches"qui promettait d'ôter à la bourgeoisie ses splendides quiétudes.
La première grande crise politique et sociale à laquelle il assiste est la séparation de l’Église et de l’État ...
Charles Tillon entremêle de l'Histoire à ses souvenirs.
La vision est claire, intelligente. Le témoignage est précieux.
La France de Mr Loubet vient chuchoter aux oreilles de ses arrière-petits-enfants.
L'exposition universelle ... l'emprunt russe ... la révolution de 1905 ... le temps passe ...
Puis vient le retour à Rennes, la vie au-dessus du café que tient sa mère.
La grande foire du samedi, place des Lices, est riche en découvertes.
Mais le printemps de 1914 sera le dernier de l'insouciance. La guerre est proche.
L'archiduc est assassiné.
Le meurtre de Jaurès est lâchement perpétré.
Le temps n'est pas au pacifisme. La propagande escamote la douleur des séparations.
Pourtant les sardinières et les brodeuses, dans la région de Penmarch à Pont-l'Abbé, se couchent sur les voies de chemin de fer pour empêcher de partir vers Quimper les trains où les gendarmes entassaient les fils, les époux, les frères.
Charles Tillon s'engage, pour cinq ans, dans la marine et, son sac au carré à l'épaule, embarque sur un vieux croiseur, "le Guichen" ...
Le récit maritime, dans cette passionnante deuxième partie, prend corps.
Le propos est celui d'un marin, d'un "bouchon gras", d'un quartier-maître mécano.
L'évocation est précieuse de ce temps où la cloche piquait les quarts, où le bâtiment, aux postes de l'équipage, tanguait autour du balancement de chaque hamac, de ce temps où la torpille allemande menaçait ....
La troisième partie, qui est celle de la colère, de la révolte puis de l'injustice et du bagne, contient quelques longueurs.
Le récit se ralentit, traîne quelque-peu et vient rafraîchir l'enthousiasme de la lecture.
A cause d'une pétition, une lettre réclamant un retour immédiat du vieux croiseur en France, Charles Tillon sera envoyé, au Maroc, au pénitencier militaire de "Dar Bel Hamri, à 180 kilomètres à l'est de Casablanca ...
Parue en 1969, "La révolte vient de loin", dont le genre se situe au carrefour de la biographie, du livre d'Histoire, de la littérature maritime et du témoignage politique, est écrit dans un style efficace mais non dénué d'élégance.
C'est une chronique intelligente de ce début de siècle qui vécut la tragédie de la "Grande Guerre".
C'est un livre dont on sort difficilement ...
Commenter  J’apprécie         320
Mais pourquoi faut-il qu'à chaque fois que le vaisseau du pouvoir porte la fortune de la gauche, il doive se mettre à donner de la bande à droite au premier grain? Vieille question qui dépasse les générations.
Administrateurs des biens des décédés, disait Michelet des historiens.
Ne bien apprendre que ce qu'on aime, c'est ignorer ce qu'il faudra souffrir pour subir ce qu'on haïra.
Qui ne va pas au-delà de ses livres se fait une jugeote de papier.