Conçu lors d'une partie de pêche, Gus passe son enfance dans une famille qui ne s'intéresse qu'aux poissons et aux meilleures façons de les attraper. Entre un père plutôt intellectuel ne jurant que par la mouche et une mère du genre cowgirl mal dégrossie, adepte de l'appât (ce qui occasionne pas mal de disputes et controverses), l'univers de Gus se réduit à celui de la pêche. Contaminé par cette passion parentale dévorante, rien d'autre ne l'intéresse et il devient tout naturellement un prodige de la pêche. Mais il finit par se lasser de sa famille excentrique. Aussi à l'âge de vingt ans, il part s'installer en solitaire dans une petite cabane au bord d'une rivière de l'Oregon. Il croit pouvoir combler le vide qui menace de l'engloutir en consacrant toute sa force mentale à perfectionner ses techniques de pêche. Sans profiter de la beauté de l'environnement, il se met alors à ferrer de façon compulsive des centaines de truites à l'aide de sa canne qu'il a prénommée Rodney et avec laquelle il converse. La solitude tant espérée lui fait perdre la boule et le plaisir escompté n'est pas au rendez-vous. Mais cette désolation le conduit dans une quête involontaire de découverte de soi et de sens, finalement fructueuse au-delà de ses rêves les plus fous. Quand Gus se met à pêcher dans sa tête et dans son coeur, un peu malgré lui, il s'ouvre au monde pour y trouver enfin sa vérité en rencontrant les joies de la communauté, de l'amour romantique et, pourquoi pas, du divin…
La vie selon Gus Orvisston surprend par sa richesse, son inventivité. A la fois récit de nature writing mais aussi conte initiatique et philosophique, relevés d'une pointe de fantastique et d'humour discret, l'ensemble séduit par son originalité tout au long de ses 440 pages. A l'exception de quelques considérations ou conversations au sens particulièrement hermétiques, D. J Duncan ne se montre jamais trop ennuyeux car il sait toujours rebondir habilement avant de prendre le risque de lasser son lecteur. Son écriture à la fois très simple et très dense intellectuellement rend cette lecture particulièrement passionnante. J'ai mis du temps à terminer ce roman copieux lu à petites doses mais je me suis régalée !
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Un livre étrange, philosophie et poétique, déroutant et charmant. Un héros un peu perdu, aux réparties géniales, qui ne vit que pour et par la pêche. Une famille incroyable et étrange. Des amis bizarres, un cadavre, des truites, l'amour, un chien qui parle et un questionnement sur l'existence qui ne laisse pas indifférent !
Très bon livre, inclassable et farfelu, qui traite à la fois de pêche et de philosophie sans jamais être ennuyeux.
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Quelle différence existait-il entre le besoin et la cupidité? Combien de poissons un homme pouvait-il tuer avant que cela ne devienne des meurtres gratuits? Quels poissons pouvait-on légitimement tuer, et quand? Et quelle était l'étendue du sacrifice le jour où l'homme décidait d'arrêter de tuer? Pour un pêcheur professionnel, cela voulait dire la fin d'un mode de vie, la séparation d'avec les bateaux, les rivières et les mers. Et même pour la pêche "sportive", si une loi interdisant de tuer conduisait le pêcheur du dimanche à renoncer à son passe temps, cela le couperait du dernier lien qu'il entretenait avec la nature et ses merveilles. S'il pouvait sembler justifié de punir la cupidité, que dire lorsque les pêcheurs étaient condamnés pour avoir conserver quelques victimes honnêtement et chèrement acquises? Non, ce n'était pas seulement la mort des poissons qui me gênait. Ce que je trouvais choquant chez les faiseurs de montagnes-Mohicans, les pêcheurs à l'araignée, les braconniers, les chasseurs de baleine, les mineurs à ciel ouvert, les types qui répandaient les herbicides, les constructeurs de barrages, les fabricants de réacteurs nucléaires ou tous ceux qui convoitaient la chair, la viande, les minerais, les arbres, les fourrures et les dollars - y compris et en tout premier lieu moi-même -, c'était leur ingratitude et leur suffisance, cette attitude qui consiste à croire que le monde et ses créatures nous doivent tout ce que nous pouvons attraper, tuer, déchirer, modifier, piller, dévorer...et que nous ne leur devons rien en échange.
Walton met au crédit de Dieu la joie que l'on retire de toute forme de pêche à la ligne.(...)
Après tout, j'avais pêché avec peut-être davantage de passion que tout autre garçon ne l'avait jamais fait, et non seulement je n'avais pas rencontré le Dieu de Walton, mais je n'avais même pas eu la plus petite preuve de Son existence? Peut-être qu'Il ne résidait qu'au dessus de l'Angleterre. Ou peut-être qu'Il coulait des jours paisibles dans quelque Résidence Galactique éloignée où il avait de temps en temps le plaisir de faire une partie de golf au cours de laquelle, à coups de drives et de puttings adroits, Il expédiait les étoiles dans dix-huit trous noirs de l'espace, et lâchait les diables sur nous chaque fois qu'Il faisait un bogey.
C'était la rivière de feu. Maintenant c'est le barrage de l'homme blanc. Ce sont les armes du Grand Esprit. La même chose se répète : ce sont la cupidité, la cruauté et l'ingratitude qui amènent la souffrance du peuple."