Voilà un livre écrit par une plume tout à la fois accessible et remarquable, un livre que nous devrions tous lire, tant il est instructif, passionnant et captivant, tant il bouscule allègrement nombre de préjugés et de clichés.
Je dis un livre, car sous ce mot générique se cachent tout à la fois un essai sociologique, un ouvrage anthropologique, une autobiographie, des biographies, un recueil de témoignages, de réflexions philosophiques et de considérations historiques. Ce livre est tout cela à la fois.
Et qui en est l'autrice ? Sous ce terme, générique également, se cachent tout à la fois une femme française, algérienne, arabe, nord-africaine, pauvre, transfuge, honteuse, fière, éduquée, traditionnelle, superstitieuse, de culture musulmane, sage, émancipée. Cette autrice est tout cela à la fois, c'est ainsi qu'elle conclut son ouvrage. (page 199)
Rahma Adjadj, journaliste franco-algérienne de 27 ans, est partagée entre l'amour de sa famille et son désir de s'affranchir d'une culture ancestrale traditionnelle trop pesante. Son arme, sa défense, c'est le mensonge, seul moyen d'épargner à la fois son père qui ne saurait la comprendre et sa vie intime si éloignée des préceptes hérités des anciens.
Dans ce récit, Rahma va dévoiler avec pudeur et tact les personnalités familiales ; son père, sa mère, ses grands-parents, leurs histoires avec leurs drames et leurs fractures. On comprend, au fil du récit, comment s'est construit et perpétué un code de conduite par lequel les femmes n'ont pas leur mot à dire quant à leur avenir. On y découvre un monde de non-dits, de tabous, de secrets. La mère de Rahma en paiera le prix fort avec une vie ponctuée de dépressions, de tentatives de suicide et de séjours en HP.
Les parents de Rahma, pauvres et peu instruits, vont cependant inciter leurs filles à se donner à fond dans leurs études. le père est fier de la réussite de sa fille, même s'il redoute que la fréquentation des « blancs » ne l'éloigne à jamais du giron familial.
On découvre, dans cet ouvrage remarquable, que la société française n'est toujours pas prête à considérer ses citoyen.nes d'origine étrangère (maghrébine, africaine, asiatique) comme des égaux aux fameux « Français de souche ». le témoignage de Rahma, journaliste maghrébine pauvre, mal considérée par ses consoeurs et confrères bourgeois blancs de la rédaction de son journal, est sur ce point tout à fait édifiant et poignant. de même, la famille de son compagnon blanc n'est pas tendre vis-à-vis de ses origines, les clichés et les préjugés empoisonnant les conversations au point que Rahma finisse par couper les ponts, mais en préservant toutefois sa relation amoureuse
La narratrice est attachante, grâce à sa plume sincère et franche qui ne nous cache rien de ses tourments, de ses doutes, de ses interrogations, de ses regrets, de ses états d'âme, mais aussi de ses espoirs et surtout de son amour pour des parents tout aussi victimes qu'elle d'un système qui les dépasse et les empêche.
Un livre qui remue, qui bouleverse, qui bouscule les idées reçues, sans concessions, et que l'on oubliera pas de sitôt, car on prend conscience en lisant Rahma qu'il y a, pour nous tous, quelle que soit notre origine, un immense chemin encore à faire.